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La période historique qu'il embrasse n'oblige pas seulement à raconter, avec leur vrai caractère, les événements les plus divers et les plus considérables , la chute de la Dynastie de 1 830 , le passage rapide et menaçant du Gouvernement provisoire , Tadminis- tration prudente et réparatrice du Président de la République , enfin le rétablissement spontané et irré- sistible de l'Empire; elle impose le devoir de juger les hommes, encore vivants, qui, à des points de vue très-opposés, ont pris part à toutes ces luttes, et de parler d'eux, à côté d'eux, presque en face d'eux, de façon à obtenir, sinon l'approbation des idées de l'historien, du moins l'aveu. de sa véracité et le respect de son caractère. Pour que l'auteur, qui avait le sentiment de ces difficultés , ne s'en soit pas laissé effirayer, il a fallu qu'il fût soutenu par la pensée d'une œuvre néces- saire et urgente à entreprendre. Cette œuvre, c'était d'expliquer la France actuelle à l'Europe et à elle- même. L'opinion publique, en France et en Europe, n'a pas dû échapper aux appréciations que les partis. — II — intéressés à Tégarer, ont répandues sur les grands événements de ces dix dernières années. Indépen- damment des passions qui empêchent d'ordinaire les vaincus de confesser leur défaite, l'ardente ambition des doctrines et des systèmes se dissimule toujours , dans le présent, les désastres qui compromettent l'avenir. Il est donc naturel que le Régime Parlementaire de 1 830 n'explique pas sa chute par ses rivalités et par sa turbulence ; le Régime de Février, par l'inca- pacité de ses hommes et par la stérilité de ses idées ; les agitateurs déçus de l'Assemblée législative, par la véhémence populaire qui porta l'héritier du Premier Consul sur le trône relevé de TEmpire ; et beaucoup d'esprits circonvenus auront pu croire qu'il y avait eu , par-dessus tout , depuis dix années , de l'incapacité dans les revers, et de l'adresse dans les succès. Il était de l'intérêt de la vérité, de la morale et de la politique de dégager les graves événements qui se sont accomplis sous nos yeux de ces vaines théories fondées sur le hasard, et de faire éclater, à l'aide de rimpartiale histoire, tout ce qu'il y a eu de simple et de conforme à la nature des choses , soit dans les revers de ce qui a échoué, soit dans les succès de ce qui a réussi. Ceux qui, pour apprécier Tétat présent de la France, pour juger de la force de ses lois, de la ten- — m — dance de ses mœars, de la stabilité de ses institu- tions, consultent les illusions ou les rancunes des partis , peuvent croire que le gouvernement de Juillet ne serait pas tombée si le roi avait changé plus tôt ses ministres; que la République se serait maintenue , si THÔtel de ville n'avait pas décrété les 45 centimes; que rÉlu du 1 0 décembre n'aurait pas prévalu , si les opinions monarchiques de l'Assemblée avaient voulu s'wtMidre; mais ceux qui pèseront avec maturité les hommes, les faits et les circonstances, reconnaîtront que la nature des choses a tout dominé et tout con-» duit. Le régime de Juillet est tombé par le jeu na- turel de ses éléments; la République a péri par Tap- plication de ses doctrines ; l'Assemblée a été anéantie, avant d'être dissoute , par TefiFet de ses propres pas- sions ; et le rétablissement , dans la personne de l'héritier de Napoléon, de la Monarchie de 1804, forme et couronnement de la société moderne, a été le résultat général et nécessaire des principes, des besoins et des vœux de la France. La force d'expansion de la France nouvelle a pré- valu, à la longue, contre les formes factices qu'on lui avait imposées depuis 1815; et c'est pour cela que, tandis que tous les autres régimes sont sortis du malheur ou du hasard, TEmpire est sorti, en 1852, comme en 1804, d'une acclamation populaire. Il n'y a donc, sous la diversité apparente des événements qui viennent de s'accomplir, qu'une 1 — IV — seule et même chose : Tesprit de la révololion de 89 reprenant sa marche interrompae. A la fois résultat et forme de cet esprit , le régime actuel de la France a élevé au-dessus des préjugés, des idées, des ambi- tions des minorités, les intérêts et les volontés de la nation elle-même. Rien ne saurait donc prévaloir contre ce que la force des idées et la logique des faits ont établi. Si le but de Fauteur a été atteint , et s'il a réussi à mettre dans son jour, avec la situation présente delà France, les causes qui Tout produite, le résultat de ce livre sera de faire tomber les illusions de toutes parts, d'ôter aux hommes d'ordre leurs craintes et aux révolutionnaires leur confiance. Pénétré des difficultés de son sujet, l'auteur s'est efiforcé de les atténuer, en s'attachant à parler des faits avec exactitude , des questions avec clarté et des hommes avec modération! Il a été quelquefois nécessaire, pour éclairer certains caractères ou cer- tains événements, de recourir à des révélations intimes: mais Tauteur ose se rendre ce témoignage, que s'il n'a jamais reculé devant un vérité nécessaire, il n'est jamais allé au-devant d'un scandale inutile. L'auteur, en finissant , veut dire quelques mots sur lui-même , non pour le besoin d'aucune justification , mais parce que ces quelques mots sont nécessaires à son œuvre, et lui donneront son vrai caractère. Depuis un peu plus d'un quart de siècle , celui qui écrit ces lignes soutient contre les principes anarcbi-^ qoes, selon la mesure de ses forces ^ une lutte qui, à défaut d'éclat y n'a manqué, il ose*le dire, ni de résolution, ni de péril. Plus d'une fois, il s'y atten- dait, il a trouvé la calomnie dans cette arène. Ses ad- versaires cherchaient ainsi à diminuer l'autorité de sa parole , désespérant peut-être d'en affaiblir l'efficacité. Heureusement sa vie , déjà longue , est là ; sa vie , dans laquelle ne s'est rencontrée ni une mobilité , ni une contradiction , ni une faiblesse. • Accepter, soutenir, défendre , à toutes les époques , les grands événements accomplis dans le sens de Tordre et du pouvoir; renoncer aux intimités des hommes les plus considérables, toutes les fois que ces hommes lui ont paru incliner vers les passions révo- lutionnaires ; signaler les progrès de l'orage, à mesure qu'il le voyait s'avancer; se refuser enfin à tout con- tact , quand cet orage éclata : telle est la voie qu'il s'honore d'avoir suivie; tels sont les principes qui l'ont dirigé, et qui, Dieu aidant, le guideront toujours. Voilà comment il a pu, tout en soutenant et en défendant les hommes et les idées d'ordre du gou- vernement de 1 830, rendre justice à ce qu'il y avait de noble, de loyal, de traditionnel dans le gouverne- ment de la Restauration. Voilà comment il peut, en soutenant aujourd'hui les grandeurs du nouvel Em- pire, et en glorifiant les magnificences du premier, se montrer impartial et bienveillant pour les hommes — VI — émineDts qui tentèrent, avec courage^ de développer dans le régime de Jaillet ce qa'il contenait d^éléments conservateurs 'et salutaires. Il n'a jamais penché que d'un côté, du côté du pouvoir; il n'a jamais com- battu que pour repousser, pour extirper des esprits , pour anéantir , s'il est possible , les passions subver- sives et les anarchiques doctrines du parti républicain. II n'est pas le seul qui , dans les oscillations de nos temps difficiles , ait tenu cette conduite , dont il s'applaudit et dont il s'honore. Ce qu'il a fait dans sa polémique, dans ses. livres, d'autres l'ont fait aussi à la tribune ou dans les conseils des gouvernements. Il peut citer M. le comte Mole, M. le duc Pasquier, M. Guizot , et beaucoup d'autres, serviteurs dévoués des principes de moralité et d'ordre , sous des gou- vernements successifs, dans des conditions diverses , et avec les changements apparents ou les nécessités réelles que les crises politiques imposent , même aux esprits les plus stables , les plus réfléchis et les plus désintéressés. Deux sortes d'hommes changent dans les révolu- tions. Il y en a qui renoncent aux principes du mal pour aller au bien . Honneur insigne à ceux-là ! mais c'est un honneur que l'auteur n'a point à réclamer. Il y en a qui désertent les principes du bien pour aller au mal, et qui, après avoir servi les doctrines de moralité , de pouvoir et d'ordre , s'attèlent au triom- phe des factions. Honte éternelle à ces derniers! Mais c'est là une honte que l'auteur n'a point, et que. — VII — , s'il plaît à Dieu ^ il n'aura jamais à redouter pour sa mémoire. Toutefois, Fimmutabilité absolue est y en politique, une cbimère et souvent une faute grave. C'est une faute de refuser son concours aux intérêts de la société en péril. Autre chose est de laisser entamer ses convic- tions, autre chose de s'enfermer dans ses rancunes. Lorsque la révolution de Février eut précipité la France et TEurope dans un abîme, d'où l'acle du 2 décembre 1851 les a retirées, l'auteur de ce livre ne s'inclina pas devant les factions victorieuses. Tandis que les soutient et les fonctionnaires de la mo- narchie faisaient porter en foule leurs assurances de concours à la République, tandis que des maré- chaux illustres se hâtaient d'offrir leur épée à la dictature de THôtel de ville, Tauteur, à qui deslutt^ récentes donnaient droit au repos, s'enfermait au foyer domestique, demandant à Tétude l'affermis- sement de son âme, et l'apaisement de ses patrio- tiques douleurs. Une seule chose eut le pouvoir de l'arracher à son silence, ce fut Taudace du socialisme menaçant de détruire la société. On lui proposa , au fond de sa retraite, la rédaction d'un journal destiné à combattre cette plaie nouvelle; il répondit bien haut, en les signant de son nom, ces paroles qui firent rugir la démagogie jusqu'à la tribune : « On ne discute pas le socialisme, on le supprime. La faux ne discute pas avec l'ivraie. » — VIII — Lorsque des jours meilleurs , dus à la sagesse des paysans, qui éclata le 10 décembre, eurent rendu quelques chances à Tordre et quelque efficacité à la discussion, Tauteur rentra dans la publicité et reprit son poste de combat. Il indiqua , du premier mot , sans hésitation, dans une série d'articles que publia un journal important , et dont ce livre conserve la trace, la seule solution à poursuivre, le seul but à atteindre : la Présidence réelle du rince Louis-Na- poléon , rappel au peuple , et, comme couronnement nécessaire, le rétablissement de i'Ëmpire. Quoi d'étonnant qu'ayant Constamment signalé les progrès incessants des idées anarchiques, et, dans ses longues luttes, ayant toujours rappelé la nécessité de fortifier le pouvoir, l'auteur de ce livre se soit prononcé comme il Ta fait , dans cette crise d'où le pouvoir devait sortir délivré de ses entraves factices, que l'esprit de système lui avait imposées ? Ceux qui sont en contradiction avec eux-mêmes, ce sont ceux-là qui, après avoir eu le mérite de lutter, pendant les dix- huit années du règne de Louis-Philippe, en faveur de Tordre, de la conserva- tion et de Tautorité , désertent aujourd'hui le terrain qu'ils avaient voulu conquérir, et qui, pour recon- struire une œuvre écroulée, prendraient volontiers pour auxiliaires tous ceux qu'ils ont eux-mêmes si longtemps, si glorieusement et si inutilement com- battus. A. Granier de Càssagnag. HISTOIRE DE LA CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPB ET DE LA REPUBLIQUE DE 1848 JUSQU'AU RÉTABLISSEMENT DE L'EMPIRE. ^ - - I - I -■ LIVRE PREMIER. LE PEUPLE. — l'armée. LE CLERGÉ. LES PUISSANCES ÉTRANGÈRES SOUS LE GOUVERNEMENT DE JUILLET. Le gouvernemeot de jaillet tombe inopinément , dans sa plos grande sécorité et dans sa plus grande force. — II se renverse lui-même. — Le peuple, l'avait favorablement accueilli. — L'armée, sans Tappuyer avec chaleur, * le défendit toujours avec loyauté. — Le clergé loi fait ane opposition mo- dérée, mais persistante. — Causes légitimes et torts de cette opposition. — L'Europe n'apporta ni appui ni obstacle. — Principes de la politique extérieure de Louis-Philippe. — Modestie et sécurité. — Dispositions éê l'Europe envers la monarchie de 4830. — Les cours du Nord appré- cient inexactement Tétat de la France. — Conséquences de cette erreur. — Yalear du principe de non intervention , ses bons et ses mauvais Résultats*. — Politique d'expédients qu'il suggère. — Essais d'une politique nationale. — M. Thiers et le traité de 4840. — M. Guizot et les mariages espagnols. L Le gouvernôment du roi Louis-Philippe, aprèa dix-sept ans de durée et des luttes ardentes, suivies 2 GHDTP DU BOl LOUIS.PHILIPPE. d'un calme profond ^ semblait à ahacun, au dedans comme au dehors, réunir toutes les conditions d'un établissement solide, lorsque la rivalité de quelques hommea politiques affaiblissant la prestige 4u pou*^ voir et l'autorité des lois, livra inopinément la société sans défense à une poignée d'hommes, qui étaient sans espéraaces la veille, Qt qui furent sans force le lendemain. Néanmoins, quoique la stabilité de ce gouverne- ment, si rapidement écroulé, fût réelle et considé- rable , sd force ne lui venait ni de l'active affection du peuple, ni du chaleureux dévouement de l'ar- mée, ni de la sympathie du clergé, ni enfin de l'appui des puiss^Qces étrangères. Sans avoir souhaité oq appelé la monarchie de 1 830 , les opinions modérées et les intérêts honnêtes Tavai^t sincèrement acceptée, et lui savaient gré de .ses persévérants efforts en faveur de Tordre. Ce ré- ^me n'avait précisément pour caractère ni d'être national, ni d'être glorieux; son titre, c'était d'être utile. L'agriculture, qui a besoin de repos; le commerce, qui a besoin de sécurité, s'attachaient à un souve- rain qui leur donnait l'un et l'autre. Les vrais démo- crates, ceux qui se vouent à la démocratie pour elle- même, non pour des places, se résignaient à des institutions favorables au développement de la raison publique. Enfin, les royalistes sincères, ceux qui dans la royauté voient le principe qu'elle person^ LIVRE PREMIER. ) mfia , non les faveurs qu'elle dispense , m ralliaient autour de ce que la révolution nous avait laissé de monarohie. Pour eux ^. ce n'était pas ce qui sauve la France, le roi! mais c'était ce qui la rassure , uq roi ! Gomœe le berger de Virgile , ils honoraient ces pénates de bais , en attendant que la Fortune les m d'or. Les classes moyennes, qui avaient fait la révola* tion de juillet, et qui avaient pris le pouvoir, pon* yaient donc le garder sans de sérieux obstacles , an sein d'uo pays qui accordait au gouvernement de leur choix, sinon une adhésion ardente, du moins un loyal concours. C'est en effet au milieu de ces éléments de durée, c'est au plus beau moment de sa sécurité et de sa force , qu'une révolution imprévue et soudaine, sus^ citée par Taveugle rivalité de quelques hommes poli* tiques, viendra délruire, en quelques heures, et sans lutte, un gouveruement qui avait toujours et fadle* ment triomphé de ses ennemis. L'examen des divers éléments sociaux fera voir que telle fut la destinée du gouvernement de 4830 : fortifié par ses adversaires, affaibli par ses amis» il périra par la seule et par la plus improbable des chances qu'il eftt contre loi, celle de se renverser lui^-méme. Sans étrt précisément pofmlaire , la révolution de juillet fut néanmoins acoueillie avec faveur par le 1. 4 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. « peuple, même dans les campagnes, où les esprits avaient été le moins préparés à sa venue. La loi électorale de la Restauration avait tenu la presque totalité du pays en dehors des affaires. Il n'y avait pas 9 à cette époque, autant de journaux qu'il s'en est créé par la suite; ceux qui existaient ne pos- sédaient pas cette publicité immense que de nouvelles habitudes leur ont donnée ; et surtout la presse n'était pas entrée , au même degré que plus tard , dans les mœurs publiques. Le peuple était donc resté étranger, surtout dans les campagnes, aux questions et aux luttes qui passionnaient les régions élevées de la société, et la révolution y éclata comme un orage que n'avait précédé aucun éclair. En abaissant les conditions d'âge et de cens , pour les électeurs et pour les éligibles , le gouvernement nouveau ne se montrait pas précisément beaucoup plus favorable au peuple que l'ancien. La branche d'Orléans partageait avec la maison de Bourbon ce préjugé sans fondement et si longtemps reçu^ qui attribuait au peuple les désordres de la Révolution ,^ tandis que ces désordres, desquels les populations rurales ne cessèrent jamais de rester pures, fu- rent, depuis les Etats Généraux jusqu'au Consulat, l'œuvre des clubs de Paris et des villes, primitive- ment organisés, dirigés et exploités par la bourgeoisie riche ou ambitieuse. Ce fut cette défiance injuste et mal fondée envers les populations rurales qui rejeta la monarchie des barricades du peuple sur les classes LIVRE PREMIER. 5 moyennes, c'est-à-dire de la majorité sur la mino^ rite, de Télément politique le plus inodeste et le plus calme sur Télément le plus capricieux et le plus re- muant. Ce n'est donc pas pour les faveurs qu'il en recevait que le peuple de i 830 se montra favorable au nou«- veau règne. Pour lui, tout le changement se réduisait à une oligarchie détrônant une aristocratie. Les po^ pulations elles-mêmes étaient d'ailleurs demeurées à peu près en dehors de ce grand événement, préparé et accompli, comme toutes les crises décisives de la première révolution , par les éléments ambitieux et turbulents accumulés dans la capitale; mais la nation se sentait vengée de Thumiliation infligée, en 4814 et en 1815, à son indépendance et à sa gloire mili- taire, par un régime menaçant pour les principes et pour les intérêts de 89 , établi sous la protection des armées étrangères. La France était encore couverte, en' 1880, de vieux soldats des guerres de la République et de l'Empire. Ces nobles et illustres débris, la plupart du peuple , vivant avec lui et comme lui , avaient natu- rellement conquis ce respect et cette autorité dus au courage et à la gloire. Ces vétérans ne conspiraient pas. Comme ceux dont Sylla avait couvert l'Italie, ils attendaient César. La chute de Charles X ne le leur rendait pas , mais elle les délivrait d'un régime qui était pour eux un vivant affront. D'ailleurs , la révolution de juillet déployait le drapeau tricolore ; ce 6 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. drapeau appelait les aigles, et qui pouvait dire qu'elles ne viendraient pas 8*y poser un jour ? D*un autre côté, il semblait au peuple des campa- gnes , qui n'avait pas cessé d'être calme et fidèle, et qui recevait de Paris, toute faite, une révolution qu'il n'avait ni demandée, ni attendue, que la Providence elle-même lui donnait enfin raison contre les dédains et la hauteur de Taristocratie. Il y a encore, dans presque toutes les communes rurales de France , un vieux manoir auquel les lois ont enlevé la puissance seigneuriale, mais auquel les mœurs ont généralement conservé cette durable in- fluence que donnent les lumières , la fortune et la bienfaisance. Souvent , les habitants des campagnes trouvaient, comme ils l'y trouvent encore , un bon voisin où fut jadis un bon maître; mais quelquefois aussi ils y trouvaient un esprit chagrin , sec et rogne , qui protestait encore, après un demi-siècle, contre les formidables événements sous lesquels durent se courber nos pères, et qui perpétuait, sur ses do- maines , les préjugés rapportés de Témigration. Le peuple sentit, en 1830, qu'avec Charles X s'en al- laient définitivement les traditions féodales, déjà bien affaiblies sans doute, mais d'autant plus bles- santes qu'après avoir perdu l'autorité, elles conser- vaient les prétentions; et il pardonna volontiers à la révolution de juillet, qui ne lui donnait pas le gou- vernement, mais qui lui donnait l'égalité. Ainsi, quoiqu'on ne pût pas dire que le peuple LIVRE PREMIER. 7 désitàit la révolution de 1 830 , il raccitdllit néfto- moins avec ooûfiftflce et môme avec joie. Ce n'était pad tine sympathie ardente et nn appui chaleareum que le nouveau gouvernement devait en espérer^ mais il pouvait s'en promettre cette force réelle et considérable qui résulte de Tadhésion tacite et res^ pectueuse d'un grand pays, et cette force ne lui manqua jamais. Dans les luttes nombreuses et vio<* lentes qu'il eut à soutenir, le gouvernement de juillet eut de son côté toujours les vœux du peuple , quel-^ quefois son appui. Il n'eut réellement d'adversaires que parmi les ambitieux et les factieux , tous étran^ gers an vrai peuple, et ce fut sous leurs efforts réunis qu'il succomba. Il est donc très-vrai de dire que la nation ne l'avait pas appelé , mais il est tout aussi vrai de dire que la nation ne l'a point renvoyé. III. N'étant pas populaire dans le pays ^ le gouverne- ment de juillet ne pouvait pas l'être dans l'armée , qui est , en France , la fidèle représentation des sen- timents, des vœux et des espérances du peuple. Lsl dynastie nouvelle devait pourtant trouver toujours dans l'armée ce qu'elle trouvait dans le peuple , si- non une adhésion passionnée, au moins nn concours* ferme et loyal. Il n'y avait, en effet, entre la dynastie et l'armée, s CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. rien d'originel et de traditionnel qui eût pu consacrer leur alliance. Les fleurs de lis racontaient la gloire des Valois et des Bourbons, comme les aigles raoon* tent la gloire de TEmpire , parce que les Valois , les Bourbons et les Bonaparte furent et sont des dynas* ties militaires ; mais les d'Orléans n'étaient qu'une dynastie politique y éclose à la chaleur des luttes par- lementaires, et n'ayant que la tribune pour pavois» Le roi avait brillamment débuté, fort jeune encore, dans la première campagne de la révolution; mais emporté, avec Dumouriez, dans le tourbillon qui ren- versa les Girondins, il disparut de la scène politique au commencement de 1 793 , et ne prit ainsi aucune part aux grandeurs militaires de la République. Il ne pouvait pas être resté bien populaire parmi les soldats, en 1793, puisqu'on quittant F armée, avec le vainqueur de Valmy et de Jemmapes, il passa dans le camp des Autrichiens ; et il ne pouvait que difficilement le redevenir, en 1 81 4 et en 1 81 5, puis- qu*il rentrait forcément en France avec les émigrés. L'avènement même de la dynastie nouvelle, por- tée au trône sur les bras de Témeute, à la suite d'une révolution victorieuse de l'armée , sur les cadavres de tant de braves soldats de la garde, enfants du peuple comme tous les autres , morts en combattant pour ce qu'on leur disait être la cause de Tordre, ne pou- vait pas avoir créé entre elle et Tarmée un bien ferme lien. Chacun de ces pauvres soldats, abattu par des concitoyens égarés, quelquefois mis^able- LIVRE PREMIER. 9 ment assassiné par un enfant , laissait un vide dans une famille d'artisans ou de laboureurs; et la mère inconsolable, qui l'attendait pour ses vieux jours , ne pouvait pas, quoi qu'elle fit, séparer sa douleur de rétablissement d'un pouvoir qui en avait été, si Ton veut , beaucoup plus l'occasion que la cause. Les ambitions politiques, exaltées par la lutte et aveuglées par le triomphe, peuvent un instant prendre et donner le change sur les principes les plus simples de la justice, célébrer des fêtes, instituer des décorations , dresser des colonnes en l'honneur d'une insurrection victorieuse , noyant les débris d'un trône dans le sang de ceux qui l'ont fidèlement dé- fendu; mais le bon sens et l'équité, qui triomphent toujours, à la longue, des erreurs momentanément les plus applaudies, disent aux rois, comme aux peuples , que la première chose et la plus importante, c'est l'honneur du soldat , mourant pour le devoir, sans le discuter. Ce n'est pas du reste que les princes d'Orléans aient jamais, en aucune occasion, ou manqué de courage, ou failli aux instincts militaires de la lignée d'Henri lY . Louis-Philippe, colonel de dragons en 1790, montra, en face des Autrichiens et des Prussiens, cette ré- solution simple et ce calme courage qui n'abandon- nèrent jamais Louis-Philippe, roi des Français, soit * en face de l'émeute, soit parmi les membres in- connus d'une légion de meurtriers. Lorsque ce vieux souverain , affaibli par Tàge et plus encore par les 10 CHUTE DU ROI LOUIS-PllILIPPE. douleurs domestiqués, stirprid, le 24 février, paf rémeute hurlant aux portes de sod palais , crut de- voir renoncer à sa couronne, pour mieux rassurer à son petit-fils , cette dernière et funeste signature d'abdica^tion , tfacée d'une main ferme, inontra dtt moins, par les menus et futiles détails de calligra-- pbie qui étaient dans les habitudes de Louis-Phi- lippe, que si son esprit, comme celui de bien d^autres, n'eut pas le sentiment net et précis de la situation , son âme resta toujours inaccessible au trouble et à la peur. Les fils du roi se montrèrent tous , de l'aîné au plus jeune, dignes de l'armée au milieu de laquelle ils apprirent le métier de soldat. Dangers et gloire, tout leur fut commun avec elle. Afivers, Saint ---Jeaii d'OUoa, Tanger, Mogador, toutes ces nobles étapes d'un régime de paix qui osa s'honoref par la guerre, amassèrent aux jeunes princes Un patrimoine d'hoh-^ neur vaillamment gagné; mais ce fut Surtout durant la longue et pénible lutte qui , de 1 830 à 1 848 , dotma l'Algérie à la France, que les princes d'Orléans acquir retil à leuf maison un lustre militaire qu'elle n'avait jamais atteint. L'Afrique a justement consacré , par de durables souvenirs, le passage de ces jeunes et braves princes, qui ont ajouté par leur courage une page de plus à la légende guerrière de la France. De pareil* titres , * qui font partie de l'honneur national, ûe sOttt pas effacés par les révolutions; mais le roi Louis-Philippe LIVRE PREMIER. ^i n'était peut-être pas encore arrivé au terme de son exil , que plusieurs de nos officiers les plus renom- més allaient, non pas seulement se soumettre au gouvernement provisoire de la République, 6d qui pouvait être un acte de devoir, mais lui offrir leur épée, ce qui ne pouvait paraître qu'un acte de dé- vouement et de respect. Faut-il attribuer à cette rapide défaillance, pré- sage d'un complet abandon , le parti que prirent les deux fils du roi ayant Tesprit le plus militaire , de quitter subitement l'Algérie sans faire un appel au pays ? Reculaient-ils plutôt, comme le roi, devant la répugnance peut-être exagérée d'une lutte, qu'il faut savoir accepter quand elle a pour but de conserver au pays la libre disposition de lui-même? Nous ne savons ; mais Tindignation de Farmée , sacrifiée à la honteuse domination des clubs, et à laquelle le gouvernement provisoire avait Tau- dace d'offrir l'aumône de Toubli, n'osant pas dire du pardon * , était juste et profonde. N'aurait-elle pas pu suggérer à deux princes , désintéressés dans la question, puisqu'ils n'étaient héritiers du trône ni l'un ni l'autre, la pensée de mettre entre les mains pures et héroïques des soldats, jusqu'à ce que la France eût prononcé elle-même , le supréoie pouvoir < Une Proclamation à Varmée, du 25 février 4848, signée Gar- mer-Pagès et Lamartine ,, contenait ces audacieuses paroles : « Jurez amour au peuple , où sont vos pères et vos frères 1 Jurez fidélité à de nouvelles institutions, et tout sera oublié! » 42 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. pris par quelques ambitieux j contre tout bon sens et tout droit ? L'obscurité de plusieurs membres du gouverne- ment provisoire, l'inconsistance personnelle ou poli- tique de tous, le dépit de la garde nationale de Paris, honteuse de sa folie, le juste eifroi de Tindustrie et du commerce, menacés par les utopies socialistes, pouvaient, au jugement de beaucoup d'esprits, servir de base à une tentative ayant pour objet, non pas une autre usurpation de pouvoir sous une forme différente, mais un appel loyal à la souveraineté du peuple français. L'armée d'Afrique jugea, dès le premier moment, avec une légitime sévérité, celte révolution de Paris, fruit d'un jour d'aveuglement et d'une heure de surprise, et dans laquelle Thonneur du soldat avait été livré aux insultes de la multitude. Lorsque le gouvernement provisoire, à peine con- stitué, annonça à M. le général Cavaignac sa nomi- nation au ministère de la guerre, le général, qui connaissait mieux que qui que ce fût le personnel de ce gouvernement, n'hésita pas à refuser, avec hauteur et avec dédain, le pouvoir qu'on lui offrait, en alléguant surtout l'indignité de la situation qui avait été faite à l'armée '• Ce premier mouvement d'ho- < Cette curieuBe révélation est due à M. Louis Blanc : « Je m'unis , dit-il , à mes collègues Flocon et Ledru-Rollin , pour faire élever M. Eugène Cavaignac à la dignité de lieutenant général , et agrandir sa fortune tout à coup associée aux destins de la ré- publique. Il y avait un ministre de la guerre à choisir ; le général fut proposé , accepté , et le gouvernement provisoire lui en écrivit. LIVRE PREMIER. 43 norable fierté, qui portait M. le général Gavaignac à refuser le ministère de la guerre, offert par ses amis politiques , exprimait évidemment le sentiment gé- néral de l'armée d'Afrique; or, qui peut dire ce que, bien dirigé, un pareil sentiment aurait produit? Quelque jugement que Ton porte sur les causes qui purent déterminer les deux princes, fils du roi, à écouter si docilement les instances que M. Arago leur adressa, au nom du gouvernement provisoire, et sur ce qui serait arrivé, s'ils avaient résolument pro- testé et résisté , au nom de la souveraineté nationale usurpée , on peut toujours affirmer que l'armée fran- çaise, sans être pénétrée d'un attachement originel et profond pour la monarchie de juillet , ne lui mar- chanda néanmoins jamais un concours loyal et éner- gique, dans les crises les plus graveà et les pitis dou- loureuses de la guerre civile. A Paris comme à Lyon, au 6 juin 1 832 comme au 1 4 avril 1 834 , le soldat donna, sans hésiter, son appui et son sang au dra- peau et au trône ; et, deux heures avant de prendre la route de l'exil , Louis-Philippe fut accueilli par les » Comment exprimer ce que nous éprouvâmes à la lecture de sa réponse? C'était la notification de son refus conçue en termes d'une arrogance mal dissimulée. Il paraissait nous reprocher de n'avoir pas placé les troupes assez haut dans nos préoccupations et nos égards ; le citoyen disparaissait derrière le soldat. Le futur ordon- nateur des massacres de juin se laissait deviner. Un seul cri, je m'en souviens, sortit de toutes les bouches, cri de surprise, ou plutôt d'in^ dignation. Que signifiaient, en effet , ces airs de proconsul indépen- dant? » — Pages d*histoire de la révolution de Février^ chap. xxi. U CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. cordiales aoclamations des régiments réunie sur 1^ place du Carrousel. Les promesses qae coQtenaieqt ces cris, les soldats les auraient tous tenues jusqu'au dernier, si le gouvernemeut avait fait appel à leur courage. Calme et fidèle, Tarmée ne créa donc jamais une difficulté au pouvoir. Elle resta constamment inac- cessible aux entreprises des démagogues, préservée par son esprit et par sa discipline. Uarmée doit donc compter au nombre des forces, non-seulement apparentes, mais réelles, sur lesquelles reposait le gouvernement de Louis-Philippe, et dont il ne sut, ne voulut ou n'osa se servir. Laissée à l'écart, sans rôle digne d'elle, pendant la dernière crise, elle ne put qu'assister à la chute du trônç, u'ayaut pas été appelée à le maintenir, IV. Sans être jamais sorti d'une opposition modérée et légale , le clergé françaiSt pris dans son ensemble, ne se montra pas favorable au gouvernement de juillet. Le premier motif qui faisait agir le clergé était un sentiment fort ancien , traditionnel dans ses rangs , et d^ailleurs erroné. Quoique appartenant, pour la plupart, aux familles populaires, les pasteurs des plus pauvres campagnes ont paru longtemps per- suadés que la défense de la religion ne pouvait être LIVRE PRSMISR. |5 jamaifl sumi efficacement confiée qu'à un gouverne* ment appuyé sur les traditions et sur les personnes de Tancien régime. Sn s'attad^ant k cette croyancoi le clergé laissait voir qu'il ne savait pas bien distinguer les amis qui le servent de ceux qui se servent de lui. Indépendamment de ses propres torts et de ses propres foutes , le clergé de 1 789 dut incontestable* ment ses désastres à cette aristocratie sans foi et sans mœurs, à TalUance de laquelle il sacrifia celle du peuple croyant et simple ; et quoique tous aient besoin de la religion 9 c'est encore aujourd'hui, commç ton^ jours, le peuple qui T implore le plus souvent et avec le plus de confiance. L'ami le plus fidèle et l'appui le plus ferme de la religion est donc nécessairement ce peuple des campagnes , qui est en marne temps la base et la source de l'ordre ; et les dynasties dans lesquelles la religion trouvera les défenseurs les plus sincères et les plus puissants seront toujours et naturellement celles que le peuple anra lui-même appelées* Le second motif qui détermina la défiance du clergé était malheureusement trop juste; c'est la guerre in- oonâdérée et sans cause raisonnable que le gouver- nement de juillet se laissa entraîper à faire aux sentiments religieux des provinces, lorsqu'il ordonna l'enlèvement des croix placées hors des églises, et lorsqu'il proscrivit les cérémonies extérieures du culte. .C'était déjà nn tort et un malheur immense pour 46 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. le gouvernement de juillet , d'être né d'une coalition parlementaire et d^une émeute parisienne, au lieu d'être sorti du vœu et des entrailles mêmes de la France. Tous ses eiforts auraient dû tendre à se faire pardonner cette origine, en appelant, autant que pos- sible , sur ses actes , la sanction de Tesprit droit et pratique des populations rurales, et en modérant, par la prudence et par le calme des provinces, un pouvoir inspiré par les passions et emporté par la fougue de Paris. G*est ce qu'il ne put pas ou n'osa pas faire; et parce que la rue, dont il subissait le contact et Talliance, profanait Saint-Germain l'Auxerrois, il se fit, malgré lui, le profanateur des sentiments religieux des provinces; abattant les croix, parce qu'on les brisait à Paris; proscrivant les cérémonies extérieures du culte, parce qu'on les troublait à Paris; subissant enfin de plus en plus et imposant au peuple français la pression des éléments révolutionnaires accumulés dans la capitale, et confirmant le privilège qu'ils semblaient avoir, depuis 1789, de dominer et de bouleverser périodiquement la France. Les hommes qui étaient seulement impartiaux ne purent s'empêcher de gémir de ce spectacle. D'un côté, les populations rurales , élevées dès l'enfance et entretenues avec soin dans le respect des choses reli- gieuses, se sentaient scandalisées par un goavernement qui débutait dans la carrière en les foulant aux pieds* D'un autre côté, les esprits élevés et dignes, qui avaient rêvé pour les provinces non pas lear an- ) LIVRE PREMIER. 47 cienne indépendance, mais qaelque liberté morale, se sentaient blessés en reprenant le joug des coteries et des intrigues parisiennes. Les idées et les intérêts qne le nouveau régime avait détrônés n^eurent donc que des griefs trop plausibles à faire valoir, pour amoindrir dans les populations Tinfluenise de son autorité : aux esprits religieux , ils dirent : Voilà le retour de l'im- piété ! aux esprits indépendants : Voilà le retour des clubs! Dès ce moment, une ligue calme, réservée, silen- cieuse, s'organisa parmi le clergé, en vue de la con- duite ultérieure d'un régime qui débutait par un acte d'hostilité; et, plus tard, la prédilection marquée ou la faiblesse du règne pour les doctrines philosophi* ques rallia au clergé , dans la défense des principes religieux, un grand nombre de pères de famille, même parmi ceux qui donnaient leur appui au gou- vemement nouveau. L'enseignement philosophique avait eu, en son temps, son importance et son utilité. C'était durant les premières années de ce siècle, lorsque les classes élevées de la société française, entraînées par une aberration qui, de notre temps, ne paraîtrait croyable à personne, affichaient le plus grossier athéisme, ou abritaient ce qu'elles nommaient leurs lumières sous les doctrines d'une philosophie matérialiste, avec l'égoïsme pour dieu. Les populations rurales, pré- servées par une heureuse ignorance, et armées de ce bon sens que donne la vie du foyer domestique. 4S CHUTE DU RO! LOUIS-PHILIPPE. n^avaient jamais cessé, bien au contraire, de récla- mer , môme sons le régime de la terreur et de Robes-* pierre ^, r usage de leurs églises, et la liberté de leur foi. La foi du peuple formait donc alors le plus éclatant contraste avec la dépravation intellectuelle de ces classes aristocratiques et lettrées, parmi lesquelles les esprits les plus modérés s'accordaient à proclamer, pour le moins , l'inutilité de la religion ' ; et tandis que le peuple attendait de la sagesse du Premier Con- sul, en 1 804 , la réconciliation du gouvernement avec rÉglise, ce fut des hommes éminents et éclairés des grands corps politiques que vinrent les plus sérieuses diflScultés contre le Concordat'. Dans ces régions élevées de la société, qui n'accep- taient pas les principes religieux, mais qui acceptaient les principes philosophiques, il y avait donc, pour les esprits d'élite , préservés de la contagion , un rôle courageux et utile à prendre; c'était de montrer l'absurdité et le néant de cette philosophie matéria- liste , dont l'œuvre naturelle ne pouvait être que la * Voir les Papiers saisis chez Robespierre. — HisU parlement, de la Révol. franc., t. XXXV, p. 396. ^ « 11 y a , disait Benjamin Constant , une morale fondée sur le calcul, sur l'intérêt, sur la sûreté, qui peut à la rigueur se passer de la religion.... La classe qui s'est déclarée Tennemie de la reli- gion a toujours été la plus éclairée, la plus indépendante, la plus in- struite. » — Principes politiques y p. 274, 262. * Il faut lire, dans le Mémorial de Sainte-Hélène, le récit que fait rfimpereor de ces difficultés, 47 août 4846. LIVBB PREMIER. 4f dégradation des esprits et des caract^s , et qai n'en était pas moins , depois le rétaUissement des chaires publiques^ le fondement de renseignement officiel. Deux hommes entreprirent cette œavre , et la me- aèrent à bien ; Maine de Biran y dès 4 802 , par la publication d'excellents mémoires; Royer-Gollard , dès 1810, par un enseignement fort applaudi à la Sorbonne. L'attitude courageuse et intelligente prise par ces deux éminents esprits eut, dans les régions de renseignement, les résultats qu'on en devait at* tendre. Leur droite et ferme raison acheva la déroute des sophismes matérialistes, déjà commencée, dans une sphère plus élevée et plas large, par les Bonatd, les Boulogne, les Fontanes, et surtout par M. de Chateaubriand. V. T^ furent , au commencement de ce siècle , les services rendus à la civilisation par la philosophie. Us étaient réels, mais bornés, puisqu'ils se réduisaient à la guérisondes esprits malades, dans le cercle étroit des classes aristocratiques et lettrées. L'action des doctrines des philosophes est d'ailleurs fort limitée par sa nature même. Avec la philosophie, même la plus sublime , on ne fonde qu'une école; avec la religion , même la moins parfaite , on fonde un peuple. L'action de la philosophie spirilualisle, circonscrite 1. t% CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. dans les sphères où die avait à coDdbattre le matéria- lisme, avait donc eu son efficacité réelle ; mais lorsque le matérialisme eut été généralement abandonné par les classes élevées et lettrées, la philosophie nouvelle, qui avait atteint le but , cessa d'être réellement utile; et lorsque, favorisée par le gouvernement, elle pé* nétra , par renseignement public et obligatoire, dans les classes dirigées par les principes de la religion | elle devint dangereuse. D'abord, par la contention d'esprit qu'exige la sub- tilité de ses doctrines, cette philosophie, comme toutes les autres , est à peu près complètement inac-^ cessible au plus grand nombre; car, d'après le plus autorisé de ses interprètes, cette philosophie ne par- vient à faire comprendre Tidée de Dieu à un adepte qu'après lui avoir enseigné la Psychologie, l'Esthé- tique et la Morale , trois choses d'elles-mêmes très- difficiles ^ . Ensuite, même aux esprits qui ont pu gravir, Tun après l'autre, les trois sommets de ces sciences ardues, la philosophie ne révèle qu'un Dieu obscur et vague ; un Dieu qui ne peutétre ni la base d'une morale certaine , ni l'objet d'un culte précis ; un Dieu énigma- tique , commode et sans foudres ; un Dieu qu'elle- même n'est pas bien sûre de comprendre , car elle assure qu'il faut « l'étudier sans cesse et l'adorer en silence '• » ^ Victor Cousin, Cours d*h%8toire dé ta philosophie, 47* leçon. — Résumé de la doctrine. 3 Jbid. LIVRE PREMIER. 21 Ce n'est donc pas sans de légitimes appréhensioiis que le clergé et tous les hommes religieux virent l'importance exagérée et l'autorité excessive laissées par rÉtat lai-méme à renseignement d'un système de philosophie. Il venait après tant d'autres ; il était discutable^ comme tous les autres ; il se trouvait, par sa nature ménie, inaccessible à la presque totalité des citoyens; et néanmoins son langage semblait dire qu'il venait apporter aux hommes la connaissance de Dieu et de la Morale , comme si la religion ne donnait pas cette notion à tous , aux ignorants comme aux savants , avec infiniment plus de netteté et de oerti* tude! Le roi Louis-Philippe , qui n'était ni irréligieux ni philosophe , et qui se félicitait , à vingt ans , en ter- mes touchants, de Féducation pieuse qu'il avait reçue ^ , n'était certes pas l'instigateur de cette guerre faite à l'action légitime et nécessaire de la religion , par des systèmes au moins stériles. Il avait trouvé 1 Voici qaelqaes extraits du journal du prince : — 25 décendire 4790* c Je me suis confessé hier matin.... Après le souper, rentré dans ma chambre pour dire quelques prières ; j'ai été à la messe de minuit à Saint-Eustache; j*ai fait mes dévotions à cette messe. » — 23 janvier 4794. « Dîné jeudi à Mousseaux; le lendemain , levé à midi ; dit mes prières et mon office. » — 22 mai. « Je souffre beaucoup G ma mère! que je vous bénis de m'avoir préservé de tous ces maux , en m'inspirant des sen* timmits de religion qui font ma force.... Sans cela, je succomberais et me livrerais à tous les dérèglements de la jeunesse. » — Journal du duc de Chartres, Paris, 4S00. n CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. cette philosophie dans les rangs des forces révolution- naires auxquelles il devait la couronne, et il avait compté avec ce héros de juillet j comme avec tous les autres. Cest même une justice à rendre à son règne , qu'il se répandit en bienfaits envers le clergé , qu'il dota généreusement les églises , qu'il fit , surtout durant ses dernières années , les plus sincères efforts pour réparer le mal des premières; mais le coup était porté , les préventions étaient vivaces, et les pères de famille le rendaient solidaire des abus et de la tyrannie d'un système d'enseignement public dominé par des philosophes, dont il était lui-même hors d'état de secouer le joug. Néanmoins, il faut bien le reconnaître , le clergé fut mal inspiré dans Topposition générale et constante qu'il fit au gouvernement dé juillet. Quelque médiocre que soit un régime régulier, et celui de 4 830 n'était pas médiocre , il est d'ordinaire l'expression la plus complète et la plus élevée de Tordre contemporain. A ce titre , c'est l'intérêt et le devoir du clergé de r aider, de le fortifier, de l'éclairer; de lui offrir, de la part des saines doctrines , un concours dont il a besoin , et à défaut duquel il accepte , quelquefois malgré lui, le concours des doctrines fausses. Si le gouvernement de Louis-Philippe avait été cordiale- ment, énergiquement soutenu par le clergé, dont Faction morale est si puissante, il aurait peut-être décliné l'alliance des philosophes et des révolution*- « LIVJIË PREMIER. U naires , et opéré dans renseignement public des ré- formes dont lai-méme comprenait l'importance et la nécessité. Eclairé par une catastrophe soudaine et imprévue, le clergé de France donna sans réserve à la Républi* que de 4 848 le concours qu'il avait refusé à la mo- narchie de 4830. Il fit bien, parce qu'après tout le gouvernement provisoire lui-même valait encore mieux que les clubs et le socialisme ; mais ce doa- loureux avertissement de la Providence lui aura montré ce qu'on risque à jouer avec le désordre, et à travailler imprudemment à Taffaiblissement des gou- vernements honnêtes. Cependant la conduite du clergé , quoique aveu- glément hostile, ne sortit jamais des limites tracées par les lois à l'opposition constitutionnelle. Il ne s'as- socia à aucune tentative déloyale ou violente dirigée contre le gouvernement du roi Louis-Philippe. Il y avait même , dans ses rangs , un très-grand nombre d'évêques et de prêtres qui rendaient pleine justice aux intentions du roi, et qui tenaient compte à son gouvernement des difficultés inhérentes à la forme des institutions. En thèse générale , si la monarchie de 1 830 ne trouva pas une force réelle dans le concours du clergé , il ne faut pas moins reconnaître qu'on ne le vit jamais mêlé aux troubles puMics, et que la royauté ne lui dut ni son affaiblissement, ni sa chute. S4 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. VI. Oq pourrait dire de TEarope j comme du people français, qu'elle n'apporta non plus au gouverne- ment de juillet ni appui , ni obstacle. Le vague désir et T espérance toujours caressée de parvenir au trône furent tout à coup remplacés , en 1830, dans le cœur du roi, par les sérieuses inquié- tudes que devait faire naître sa situation nouvelle. Après avoir été , pendant quinze années , comme le Dauphin de Topinion libérale, et avoir ajouté aux joies de la famille et aux agréments de l'opulence le charme d^un tel rôle, il fallait, tout à coup et sans transition , accepter les conséquences sérieuses et re- doutables d'un pouvoir reçu au milieu des troubles publics , et qui ne pouvait , de longtemps encore , être conservé et exercé qu'au prix de toutes les chances d'une lutte. La charte nouvelle avait beau consacrer, comme l'ancienne, la fiction de l'inviolabilité royale; F exil de Charles X et de sa famille montrait la confiance qu'il fallait raisonnablement avoir dans une telle clause, en supposant que le sort de Louis XVI ne Teût pas appris, une fois pour toutes, à ses succes- seurs. Le présent était agité, l'avenir était sombre, et les clameurs populaires , qui ébranlaient trop sou- vent les voûtes du Palais-Royal , étaient un réveil un peu brusque et un peu violent , après les rêves de Neuilly. LIVRE PREMIER. 25 Dès ce moment, la pensée da roi fut envahie et obsédée par l'idée d'une catastrophe, qui ne le quitta complètement jamais. D'un autre côté , Témigration avait laissé dans son âme une impression inefifaçable. Il était résolu, bien avant 1830, à n'émigrer jamais, et à ne point pâtir une troisième fois des fautes ou des malheurs de la branche ainée. A mesure que les événements se développèrent, et, avec eux, les difficultés du gouvernement, la dé- fiance du roi se fortifia, loin de s'affaiblir. L'agen- cement politique de la France et de l'Europe ne lui paraissait pas devoir résister, au delà d'une certaine mesure d'efforts et de temps , aux secousses que lui imprimaient les luttes des partis et aux cheminements souterrains des forces révolutionnaires. Dans les plus beaux jours de sa prospérité , c'est-à-dire durant les dernières années de son règne , il exprimait souvent à ses ministres ces idées de découragement , et il leur disait : « Je ne vois pas des hommes d'ordre se for* mer et grandir derrière vous ; vous êtes les derniers Romains. » Cette disposition générale d'esprit dans laquelle l'exercice d'un pouvoir difficile jeta et maintint le roi Louis-Philippe, inspira les données fondamentales de sa politique extérieure. La jeunesse du roi correspondait à la première fa- veur qu'eurent en France les idées et les formes par- lementaires. Il n'échappa jamais complètement à la séduction qu'exercèrent sur lui quelques rêveurs de ItS CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. TAssemblée constituante, qui caressèrent toujours Ti- dée d'établir en France le système anglais. Madanie de Siilery, sa gouvernante, lui avait inculqué ces prin- cipes; le général Dumouriez, qui fut, pendant de longues années, son correspondant régulier et assidu, les fit pénétrer dans sa foi politique : c'était d'ailleurs comme une tradition de la maison d'Orléans d^aimer et d'imiter les mœurs de l'Angleterre. D'an autre côté , le roi / qui se sentait trop révolu- tionnaire par son père, et bien assez pariui*mème, ' ne voulait pas pousser les choses plus loin de ce côté. Le ré^me constitutionnel , avec deux chambres et une presse à peu près libre de tout faire, sans en exeepter le mal, était une forme qu'il trouvait juste assez démocratique pour sa situation. Il s'y comptai- ' sait , et il supposait que la France pourrait peut-être se l'approprier à la longue. En tout cas , il se con* sidérait comme aidé et protégé par la forme constitu- tionnelle. Il en favorisa donc l'établissement autour de lui; et quand il se vit enfermé au milieu de la Belgique, de T Angleterre, de l'Espagne et de la Suisse , il se crut à l'abri des atteintes de l'Europe. Maintenir et vivifier autour de la France les gouver- ments constitutionnels, comme dernière concession aux agitations révolutionnaires , et comme barrière aux idées absolutistes, ce fut là le premier, et peut* être même pourrait-on dire Tunique principe du roi, en matière de politique extérieure. Nul n'aurait touché à la Belgique, à la Suisse, à l'Espagne, sans y trouver LIVRB PREMIER. tl répée de la France. Ed dehors de ces limites, la mo- narchie de juillet était disposée à soatenir les justes causes par des conseils, par des observations, par des instances, mais pas d'une autre manière. La conservation d'un tel équiUbre, au milieu de l'Europe , avait évidemment pour première conditioa le maintien de la paix. Le roi Louis-Philippe n'avait aucun goût pour la guerre extérieure. Il avait vu la Convention toujours tenue en échec, et TEmpereur lui-même forcé de ployer, finalement , sous une dernière coalition euro- péenne ; et, sans vouloir chercher ou analyser la dif* férence des temps et des situations , il se fit à lui- même la théorie d'une politique modeste, en vue d'obtenir un règne tranquille. L'alliance anglaise lui sembla propre à atteindre ce but. IL la croyait bonne pour la paix , mauvaise pour la guerre , et il en eût demandé une autre à la chance des événements , si la nécessité d'une lutte s'était imposée à sa politique. Ainsi, vivre au dedans avec la révolution, se faire au dehors , avec les peuples libres, un bouclier contre les principes absolutistes ; au demeurant, ré- gner en paix, et s'abstenir de toute ingérance sérieuse dans les questions extérieures où la France n'étail pas directement en jeu ; ce fut là , sous le gouverne* ment de juillet, la règle qui détermina la conduite de la politique étrangère. Les dispositions de TEurope envers la mooardiie de 1 830 turent très-diverses. 38 CHDTB DU ROI LOniS-PHlLIPPE. Le peuple anglais Taccaeillit avec chaleur, le torysme avec réserve, mais avec sincérité. Le nou- veau roi était connu et apprécié en Angleterre; il y avait de vieilles et de cordiales relations, entre- tenues par son enthousiasme sincère pour les lois et pour les mœurs de ce pays. D'ailleurs, il y avait comme d'antiques liens entre la maison d'Orléans et le gouvernement britannique; le Régent avait inaugnré en France l'alliance anglaise, et M. de Tal- leyrand, servi par les intérêts modernes de la paix et du travail , put la renouer avec des moyens pins honnêtes que cenx du cardinal Dubois. Les dispositions de TËnrope continentale, c'est-à- dire de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse, furent bien différentes ; et c^est ici l'occasion de dire que, depuis le commencement de ce siècle, la diplo- matie du Nord n'a pas montré une intelligence au niveau de sa réputation. VIL Le sentiment général qui a dirigé, depuis la fin du dernier siècle, la diplomatie de l'Ënrope conti- nentale, a été une défiance constante envers la France, et une malveillanœ à peine dissimulée en- vers ceux de ses gouvernements qui se rattachaient plus ou moins à la révolution. Ce sentiment avait pour base une appréciation aussi inexacte que super- ficielle de la France, telle que la révolution l'a faite. LIVRE PREMIER. 99 La France sortie de la révolotioii de 4789 a, si Ton peut ainsi parler , deux caractères : Ton perma- nent, Tantre accidentel. Le caractère accidentel de la France , c'est d'être agitée et bouleversée par des ambitieux qui, la plu- part du temps, n'ont la conscience ni du mal qu'ils font, ni du danger qu'ils coureat. Est-ce que Meu- nier, Bamave , Mirabeau Ini-méme croyaient pos- sible, trois mois avant qu'elle fût faite, la ré- volution à laquelle ils travaillaient aveuglément? Est-ce que M. de Chateaubriand, M. Casimir Périer, M. Laffitte lui-même supposaient , quand ils faisaient la guerre aux ministres de Charles X , qu'ils étaient au moment de renverser son trône? Est-ce queM.Du- vergier de Hauranne, M. Gustave de Beaumont, M.Odilon Barrot lui-même avaient, en organisant les banquets, la pensée qu'ils préparaient, à très-bref délai, l'avènement de la république? Telle a donc été constamment l'origine des boule- versements en France ; ils ont été l'œuvre de l'ambi- tion et de l'aveuglement des classes et des hommes politiques, qui ont amené une révolution sans le sa» voir et sans le vouloir, et non du peuple lui-même, resté à l'écart de l'agitation et des luttes, et préservé, par cela même, de l'altération que la violence, la mauvaise foi et les brigues effrénées des partis font subir, à la longue, à l'esprit des nations les plus sensées. Le caractère permanent de la France , telle qu'elle m CHUTE DO BOl LOriS-PBlLIPPE. «Bt sortie de la révolatioD, c'est de s'être constam- moit, et malgré ses troables ^Dfoods, régalariaée , amélitH^, fortifiée. Ce que la France dot aux réformes proposées par Louis XYI ee 1 787, rcfirises, sons les décombres faits par la révolnlion, ^ndncs, coordonnées et éteblies pvlepremierCoasal, fat immense. L'agricnUore exo- nérée des charges féodales, le commerce délivré des douanes intérieures, le travail livré i ses inspira- timis par l'abolition des joraDdes, la justice moralisée par l'extinction de vingt-cinq mille prétoires sdgnea- rianx, enfin les forces vives da paj^ centuplées par l'admission équitable de toutes les capacités à tous les âmpkûs; tel fut l'CMilre noovean qui rem{daça et qui couronna l'Mtire ancien , dans la France tnns- feraiée et rajeunie. Assurément, les Inttes, les dédùremenls, les ca- tastrophes ne furent épargnés, penilant on demi- siède, ni à l'État, ai aux familles; mus quoique lODgneiDmt et dorement éprouvée, la France ne s'est pas moins, comme nous disions, toujours et gradoeU^oent améliorée et fortifiée. Cela proove bim qu'ai die les troubles de la surface n'altèrent jamais, d'une manière pn^bnde, les oi^anes mêmes de l'exisleace, et qu'elle possède, an plus éminent degré , les éléments qui font les nations vivaces et fcH-tes- r>e teUes Dations sont donc fort loin d'être essenlielleiDmt atteintes pw le poistm révolation- naire; et c'était n'avoir nulle notion exacte de ta LIVftB PRBMIEfi. 34 nature , des reasources et de l'avenir de la France , qne de Tavoir considérée, pendant ce demi-siècle, comme le foyer central du désordre, et de Tavoir isolée, au milieu de la famille européenne, comme un membre pestiféré et maudit, qui devait être sa- crifié au salut des autres. C'est néanmoins ce qu^ont fait , depuis un demi- siècle, les cabinets du Nord. Par un système d'hosti- lité permanente, ils ont affaibli, autant qu'il était en eux , tous les gouvernements de la France qui se rattachaient à la révolution, les empêchant ainsi de se consolider, et de travailler par conséquent , avec efficacité , au rétablissement de Tordre. Ce système insensé d'énervement appliqué à la France a finale- ment tourné contre Tordre général, parce que la France ne peut pas être en feu sans incendier l'Europe. Suivez Thistoire des relations extérieures de la France, depuis l'établissement du Directoire jusqu'à celui du deuxième empire : partout se révèle, au dehors, cette inintelligence de l'état réel de la France, et cette malveillance envers les gouverne^ ments qui procèdent, d'une façon plus ou moins directe, delà révolution -de 1789. Assurément , on ne pourrait pas dire que le Direc^ toire fût un grand gouvernement, ayant ou des vues très-nobles , ou un patriotisme fort éminent ;. mais c'était, à tout prendre, le premier gouvernement* régulier qui eût fonctionné, en France, depuis 32 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPB. Loais XYI. Il essayait de faire vivre la république à l'aide des lois , et il valait mieux en définitive que la dictature sanglante et avilissante des comités de la Convention. Eh bien, loin d'aider le Directoire dans sa tâche y qui était le rétablissement de Tordre, avec Tappui des hommes intelligents , impartiaux et honnêtes , TEurope suscita contre lui des conspira- tions royalistes, plus cupides et plus insensées les unes que les autres. Cette politique eut pour résultat naturel, d'abord de prolonger indéfiniment le dés- ordre, ensuite de forcer le Directoire à s'appuyer, souvent malgré lui, sur des hordes démagogiques, dont il connaissait l'incapacité, Texaltation et la fé- rocité mieux que personne , mais enfin dont le con- cours le défendait contre ses ennemis. Le Directoire renversé et le Consulat établi, est-ce que l'Europe changea de politique à l'égard de la France? Il sembla, au contraire, que l'arrivée au pouvoir du plus grand capitaine et du plus grand homme d'État des temps modernes eût augmenté l'aveuglement des puissances. De coalition en coali- tion, elles poussèrent le Premier Consul dans cette voie de gloire militaire et de conquêtes, où l'Empe- reur ne fut jamais complètement libre de s'arrêter ; et elles le condamnèrent, malgré lui, à l'immortalité de ses victoires. S11 y eut jamais un gouvernement forcé à la mo* ' dération au dedans, à la paix au dehors, ce fut as^ sûrement celui du roi Louis-Philippe. Dans la situa-* LIVRE PREMIER. 33 lion que lui avaient faite, d'un côté le nom de son père , de l'autre son arrivée au pouvoir par la voie de rémeute, le principal danger qu'eût à craindre et à éviter le roi Louis-Philippe, c'était de paraître trop révolutionnaire. Il n'était donc pas le maître de choi- sir entre l'ordre et l'agitation. La modération et la paix étaient sa politique obligée. Un tel roi servait donc plus sûrement, plus effica- cement qu'aucun autre la cause générale de l'ordre européen, ou tout au moins les intérêts particuliers de la Russie, de TAutriche et de la Prusse. Cepen- dant, le gouvernement de juillet fut perpétuellement en butte à la malveillance de TËurope continentale , et les diplomates si vantés du Nord ne comprirent pas qu'un trône brisé à Paris couvrirait de ses éclats l'Italie et l'Allemagne. Je pense comme vous qu'il n'y a que la sécurité qui puisse vous garantir des dangers queleonques. Je conçois l'exagération des alar* LIVRE DEUXIÈME. 5» La révolation de 1 830 , à laquelle il pot oontriboer indirectement y dont il fat l'héritier, sans en avoir été ni rantenr, ni la cause, vint donner pleinement raison à la pensée qu'il avait constamment nourrie. On peut donc dire que le duc d'Orléans avait prévu sa grandeur future ; mais quand on dirait même qu*il l'avait espérée , il faudrait peu^étre une grande sévé- rité pour lui faire un crime de cet espoir. Ainsi , ce n'est pas comme conspirateur, comme mauvais parent ou mauvais prince, que Loui8-Phi«* lippe d'Orléans arriva au trône, mais comme repré- sentant convaincu et obstiné des idées libérales et constitutionnelles. Ce fut môme là son malheur, mais ce fut là aussi son excuse. Sorti de France à l'époque mes des personnes qui vous sont attachées ; je ne les partage pas , parce que je cnns que vous n'êtes point un but direct. Le procès de LouTel prouvera que son mme ne se rattache à rien de politique* Ainsi j'approuve fort la fermeté de votre âme, qui, dans tous les cas, est préférable à toutes les précautions qu'on pourrait vous suggérer. » Dans une troisième lettre, du 4 2 octobre 4 SiO, Dunnmriez se montra plus eiplicite. Pendant une mission de M. Decazes à Londres,. le gé- néral avait eu divers pourparlers avec lui , dans le but d'obtenir une position en France. Le 42 octobre, Oumouriez écrivait au dnc d'Or- léans et faisait allusion, en- ces termes, à Tinaiicoèt de ses déawr- cbes et à la naissance du duc de Bordeaux : f Je vous envoie le brouillon de la dernière lettre que j'ai écrite & M. Decazes ; elle est restée sans réponse , comme Je m'y attendais. ' Cela dépendait du seie de l'enfant. » Le bonheur qu'on a eu va achever de tourner les têtes, et pro- duira de nouveaux dangers , parce qu'on abusera des faveurs de la Providence. Tenex-vous phis quiet, plus tranquille que jamais, et attendez U Lettres inédites de Dumouriez au duc d'Orléans, — Collection d'autographes de Tanteitr. 56 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. . OÙ la tourmente en chassait les Lameth , les d'Aiguil- lon et les autres partisans de Toligarchie parlemen- taire, il ne parut jamais comprendre qu'entre 1792 et 1 830 il y avait la démocratie française, sortie de la Révolution, organisée par le Consulat et illustrée par l'Empire. En ce qui touche le deuxième grief des partisans de la branche aînée contre la monarchie de juillet , c'est-à-dire leur exclusion assez générale des fonc- tions publiques , ce fut d'abord l'effet ordinaire des révolutions, dans lesquelles les intérêts prennent sou** vent le masque des principes; mais ce fut aussi comme une revanche prise par les doctrines libé- rales, dont les partisans s'étaient vus repoussés, pen- dant quinze ans, avec une rigueur injurieuse , par le gouvernement de la Restauration. Ni le régime qui tombait, ni le régime qui triomphait, ne s'étaient sentis assez forts pour être impartiaux et magnanimes. Les fonctions publiques étaient pour eux comme des places de guerre, dont on avait besoin pour sa garde, et sur la possession desquelles les haines ne permettaient pas de transaction. Les libéraux man- quaient de confiance; mais les légitimistes auraient manqué de gratitude. Dans un pays de fortunes modestes comme la France, et à une époque où les habitudes industriel- les étaient bien moins développées qu'aujourd'.hui ? la participation aux avantages des fonctions publiques était d'un prix considérable, surtout pour les familles LIVRE DEUXIÈME. 57 aristocratiques, étrangères ao négoce, et qai n'a- vaient ni les traditions ni les aptitudes profession- nelles. La génération légitimiste qui tombait en 1830, à rage des travaux sérieux et des carrières utiles , se trouva tout à coup sans objet dans ses désirs et sans but dans ses efforts. Elle glissa peu à peu sur la pente des dissipations faciles et brillantes; et c'est ainsi qu'elle arriva aux révolutions nouvelles, sans avoir produit et mis en lumière des hommes assez éminents pour les dominer. Quelque vive et implacable qu'elle pût être, la haine du parti légitimiste contre la monarchie de juillet fut et devait être toujours impuissante. Comme elle portait nécessairement en elle les rancunes de l'ancien régime contre le nouveau , elle avait pour résultat de donner infailliblement au gouvernement l'appui des sympathies populaires. Par un effet natu- rel des choses , toutes les classes qui ont gagné à 1^ révolution de 1789 se défient de celles qui y ont perdu. Un roi de la maison d'Orléans était donc, pour les premières , un allié et une garantie. II. C'est d'ailleurs par des voies insensées, par Té- meute et par la guerre civile, que les partisans de la branche aînée , ces hommes si fiers des principes d'ordre dont ils se disaient la plus haute expression , essayèrent de ressaisir le pouvoir. Tels furent le coup 58 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. de main du 2 au 3 février 1 832^ connu dans l*his* toire des conspirations sous le nom de Complot de la rue des Prouvaires ; et cette descente en Vendée de la fin d'avril de la même année, à laquelle ils entraînèrent madame la duchesse deBerry, sans que le plus grand courage permit à gui que ce fût de s'aveugler sur ses résultats. L'expérience et le bon sens prouvait qu'il n'est rien au monde de plus puéril et de plus impuissant que ces conspirations de carrefour et de cabaret y où quelques centaines d'hommes s'exaltent dans les té- nèbres, méditant des surprises ou des violences, comme si les grandes choses n'exigeaient pas au con- traire le ccmcoars spontané et enthousiaste des multi-* tudes , c'est-à-dire Tappel aux nobles sentiments et le {riein jour. Le complot de la rue des Prouvaires ne différait pas essentiellement des entreprises de ce genre es-^ sayées de tout temps. « Douze chefs , dit un homme bien informé , commandaient un arrondissement , sous les ordres d'un maréchal de France , et chacun d'eux avait sous ses ordres quatre chefs de quartier, agis- sant sur des escouades de dix hommes, lesquels avaient mission de se créer chacun un groupe , dont Tensemble devait form^ un corps d'armée. x> Quant au. but et aux HK>yens, les démagogues les plus forcenés n'auraient pas rêvé autre chose : « L'ftc« tion avait été résolue pour la nuit du 2 au 3 février. Cette niiit*là ^ un grand bal devait avoir lieu aux Tui- LIVRE DEUXIÈME. 59 leries. Ld famille royale , les ministres , les principaax fonctionnaires y seraient ; on comptait les prendre tous y et couper ainsi radicalement la direction de l'État*. » Qui ftit pris? ce furent les conspirateurs, lesquels , alors comme toujours , avaient leurs affiliés les plus ardents aux gages de la police , et furent enveloppés jusqu'au dernier par une invasion d'hommes armés , habilement et résolument conduite. * Cette déconvenue, dénouée en cour d'assises, ne déconcerta pas les chefs du parti. Le plus témé- raire, M. Berryer, adressait à madame la duchesse de Berry, vers la fin de mars 1832, une dépêche écrite au jus de citron, sur les blancs des feuillets d'un Annuaire du Bureau des longitudes j et qui se ter* minait ainsi : « Hâtez-vous d^arriver, Madame ; ou , sinon , nous ferons le mouvement sans vous*. » Madame, qui était résolue, Accourut; mais ceux qui l'attiraient en France n^étaient qu'enthousiastes ; et, après l'avoir menacée de faire le mouvement sans elle, ils Tobligèrent à le tenter sans eux. Rien ne prouva jamais plus clairement rinintelli* gence d'un parti que cet essai de soulever la Vendée, en faveur d'une opinion politique et d'un rcn mineur et absent; car c'était montrer du même coup qu'on ne comprenait ni la Vendée de 4832, ni celle de 1793. ^ Lucien de la Hodde, Histoire des sociétés secrètes, p. 84 . 2 Créttneaii-loly, BisUrirt d$ U Vmdée mUitaire, t. IV, ch. n. 60 CHUTE DU ROI LOUISPHILIPPB. Lorsque les paysans du Bocage se soalevèrent au mois de mai 1 793 , la constitution civile du clergé était établie, depuis le mois d'octobre 1790; la royauté était abolie , depuis le 22 septembre 4 792, et Louis XYI était immolé, depuis le 21 janvier 1793. Malgré ces nouvelles théories religieuses et politiques et malgré ce crime, les paysans bretons n'avaient pas protesté; et si la Convention s'en était tenue là, la Vendée de la Rochejacquelein et de Cathelineau au- rait accepté la république. La levée de 300,000 hommes, ordonnée le 24 fé- vrier 1793, détruisait les immunités traditionnelles des Bretons; et la paroisse de Saint -Florent prit les armes, pour conserver une liberté que lui avait assu- rée l'ancien régime. Les généraux révolutionnaires , instruments des clubs de Paris, donnèrent ensuite, en persécutant le clergé fidèle à ses devoirs , un se- cond prétexte à Tinsurrection ; et la population rurale du Poitou , de l'Anjou , du Maine et de la Bretagne accourut ainsi tout entière à la défense de ce que les hommes ont de plus précieux, la liberté des croyances et la sécurité domestique. Ce fut donc la Convention elle-même qui, par des violences inutiles, susôita les guerres de la Vendée; guerres saintes entre toutes, dans lesquelles les paysans luttèrent, non pas contre la république, mais contre une odieuse persécution ; guerres essentiellement démocratiques , dans lesquelles les campagnes relevèrent le défi d'une capitale asservie par les factions; guerres dont le LIVRE DEUXIÈME. 64 peaplç seul eut la glorieuse initiative , et dans les- quelles Fancienne noblesse n'eut d'autre honneur que de sufvre dignement l'impulsion qui lui venait de ses vassaux. Ainsi, ce n'était pas pour obtenir le rétablissement de la vieille monarchie , mais pour obtenir la liberté , la sécurité et le repos , que l'ancienne Vendée lutta si héroïquement contre la tyrannie révolutionnaire. Pour la pacifier, Hoche n'eut qu'à être juste et hu- marin envers elle; et Napoléon la servit bien plus en lui donnant une administration paternelle et des routes, que les Bourbons en lui rendant les lis. Le régime modéré et pacifique du gouvernement de juillet acheva de conquérir les Vendéens aux idées et aux institutions modernes; et le capitaine Galleran, du ir de ligne, appelé comme témoin devant la cour d'assises de Blois, le 6 octobre 1832 , après la triste et vaine tentative de guerre civile , put pronon* cer , avec toute raison , ces paroles remarquables : « La Vendée est un pays mal connu. Les géné- raux, les préfets, les hauts fonctionnaires, ne se dou- tent pas de la véritable situation des choses. Les métayers, les paysans, sont tous de braves gens , ani- més d'un véritable patriotisme; en leur faisant une exacte justice, on pourra compter sur eux. L'opinion du pays est plutôt républicaine qu'autre chose, n M. de Gaqueray, l'un des accusés, s'étant écrié : a Les Vendéens sont des légitimistes ! » le capitaine Galleran reprit : « Quand je dis républicains, je veux 62 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. dire républicains dans lears moaars, leurs babitufles, leur iotérieur ' . » C'est la bonoe espèce. Cette peinture vraie du caractère de la Vendée moderne, faite par un observateur loyal et sensé, montre ce qu'il y avait de folie dans Tespoir de sou- lever I en faveur d'une théorie politique , des popu- lations rurales paisibles , auxquelles la monarchie de 1830 garantissait précisément toutes les libertés pour lesquelles leurs pères avaient jadis si énergiquement combattu. Aussi le plan d'insurger le Midi et la Ven- dée, conçu par des gentilshommes de Tancienne cour, ayant plus de bravoure que de discernement, fit-il éclater dans tout son jour l'incapacité des légi- timistes comme parti politique. Le rêve ne dura qu'un jour, et le réveil fut affreux. Arrivée à Marseille le 28 avril 1832, et cachée à trois lieues de la ville , madame la duchesse de Berry reçut deux billets de M. le duc Des Cars. Le premier, daté du 29, portait : « Félicitations sur l'heureuse arrivée ; Marseille fera son mouvement demain. » Le second , daté du 30 , portait : « Le mouvement a manqué; il faut sortir de France ^. » Tout était donc fini , dès le début. A quoi sévirait l'histoire du reste? Madame traversa le Midi, dé- guisée tantôt en paysan, tantôt en servante; et son plus grand succès fut d'avoir échappé aux gendar- 1 Jûumal dê$ Débats, octobre 4832. ^ Grélineau-Joly, UUt. de h Venâée miittoira, t. IV, ch. ix. LIVRE DEUXIÈME. 63 mes, par Thabileté de sep travestissements. Elle trouva en Vendée quelques gentilshommes fidèles, qui lui offrirent ce qu'ils avaient^ leur épée et leur isole- ment ; et le drame , aussi mal conçu que misérable- ment conduit y se termina, le 7 novembre 1 832, par la vulgaire arrestation de Nantes. Ce furent là les deux essais violents des partisans de la branche ainée contre la monarchie de 1830. Ces deux essais semblèrent avoir épuisé leur énergie, car ils se traînèrent ensuite et jusqu'à la fin dans les lacs d'une alliance contractée avec les démagogues , on dans les essais, malheureux d'une opposition plus tracassière que résolue. Telle fut l'espèce de défi que les chefs du parti légiti- miste adressèrent, en 1 845, au gouvernement de juil- let, lorsqu'ils allèrent, chargés de serments prêtés au roi Louis-Philippe, en renouveler d'anciens prêtés à M. le comte de Chambord. La France libérale, qui ne voyait aucun danger dans ces démonstrations vaines, sans écho dans le cœur du peuple, resta calme et in- différente; et les partisans de la branche atnée, im^ puissants à produire une grande émotion dans le pays, durent se contenter d'un petit scandale dans la Chambre. En général , la conduite des légitimistes , pendant toute la durée du gouvernement de juillet, fut, dans le langage comme dans les actes , au-dessous de ce qu'un grand parti politique doit à son principe et à son but. Mêlés à toutes les guerres sans loyauté que 6i CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. les ambitieux faisaient aux ministres ; associés à toas les petits complots de presse ou de tribune, ils ne surent se signaler que par un esprit de turbulence et par des œuvres de destruction. Leurs votes furent invariablement acquis aux candidats de la déma- gogie ; et ils avaient aidé à nommer tous les députés qui proclamèrent la république. La légitimité est assurément un principe conserva- teur ; mais les légitimistes agirent , pendant dix-sept ans, comme un parti révolutionnaire. Ils se condui- sirent constamment comme si le désordre était leur but; et ils sacrifièrent follement ce qiie la révolution de juillet avait maintenu de la royauté à la haine d'une dynastie. IL Quoique les forces révolutionnaires de tout genre eussent atteint , sous le gouvernement de juillet, leur plus haut degré d'énergie, et que finalement elles raient remplacé, non*seulement elles ne Tout pas réellement vaincu , mais elles ne lui ont même pas fait courir un danger sérieux, toutes les fois qu'elles se sont montrées à découvert , et qu'il a voulu se dé- fendre. Malheureusement pour la monarchie de 1 830 , ces forces révolutionnaires , qui l'ont assaillie à sa der- nière heure , et qui se sont partagé ses dépouilles , avaient toutes leurs racines dans ses principes et dans LIVRE DEUXIÈME. 65 ses précédents, ce qui lui rendait plus délicate et plus difficile la tâche de les combattre. Née d'un système d'opposition , elle a péri par ce même sys- tème tourné contre elle ; tant il est vrai que le désor- dre porte fatalement ses fruits, même dans les mains les plus pures! Quand M. le duc de Broglie organi- sait la société Aide-toi, le ciel t'aidera j il ne pensait pas ouvrir la voie dans laquelle tous les organisateurs d'agitation et de désordre devaient passer un jour ; quand M. Guizot faisait tressaillir la jeunesse libérale à la Sorbonne, il ne croyait pas aider M. Micheletà faire hurler plus tard la jeunesse démagogique au Collège de France ; et lorsque le duc d'Orléans se fai- sait recevoir, le 2 novembre i 790 , au club des Jaco- bins, il était loin de soupçonner que de telles semences d'anarchie produiraient, à un demi-siècle d'intervalle, ces sociétés sinistres des Droits de V homme, des Fa- milles et des Saiso7iSj d'où sortit une légion d'assas- sins ligués contre le roi Louis-Philippe ! Ces imprudences du passé étaient devenues des obstacles dans le présent, et diminuaient le prestige de l'autorité publique.  parler franchement, quelle pou- vait être l'impression de toutes les consciences hon- nêtes, lorsque l'avocat Joly, défendant un conspirateur obscur devant la cour d'assises de Paris , établissait , piè- ces en mains, que certains ministres du roi avaient été, sous la Restauration, membres des sociétés secrètes'? * Affaire dite de la rue Pastourel, jugée vers la fin de 4843. — Voy. Chenu, les Congpirateurs , p. 38. 5 (iO CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. Lo caractère do propagande politique imprimé au haut onseignement pendant les dernières années de la Restauration , devait avoir et eut en effet des cou- séquoncos funestes , dont la première fut d'affaiblir et d'égarer renseignement lui*mème. Les professeurs qui avaient vu M. Guizot, M. Viliemain, M. Cousin descendra) do leurs chaires pour devenir ministres, et qui se sentaient la même ambition sans se sentir lo même talent , durent chercher dans l'exagération de» doctrines ce qui leur manquait du côté du brillant ou do la solidilé. Ia\ plus déplorable flagornerie en- voie la jeum\«so remplaça , dans quelques chaires du Oollogx^ do FmuiW la dignité paternelle du profes- s^oral, (H rauUùiion prit ouvertement la place de la scioiuv. Ias premiers professeurs s étaient contentés ite flattor la jeunesse^ leurs successeurs la corrwn- IVux malheurs immenses furent le frait de cet ê3»re«ueul de renseignemeal pubîio : les Écot» de- YinrvHit un fvn er d anarthie^ oà les sociétés secrèles et K» enieuies ïwaitinreni Khijouts un pefsomsel înex- l^miueute el eathcmsi^^e; ei le ^^uveraement ^ ayant e* petspiictiv^ ucji? j^^oer^tiv^i e^sffee^ ne poQT»i fi«$ ^h;^^M^ à èiar^.r. ivttir::^ eci ie lui sa^r^èraîl* le v>«vi^ eî^^cnl ^ wru:ii et^ e^tfekiwitîts^ à cw awvai^ ei à e^ oedmss de i LIVRE DEUXIÈME. 67 an point de vue de la formation des forces révolu- tionnaires : depuis 1821 , époque où Dugied et Flot- tard organisèrent en France les Ventes de la Charbon- nerie, jusqu'en 1835, époque où Barbes et Blanqui organisèrent la Société des Familles^ le personnel des sociétés secrètes s'est à peu près uniquement composé d'étudiants^ de médecins , d'avocats , de professeurs, d'hommes de lettres, de commis, c'est-à-dire d'élé- ments appartenant à la classe bourgeoise et aisée. Ce personnel vaniteux, égoïste ou impuissant, sorti déjà gâté des Ecoles, essayait d^usurper par la violence le rang, F influence et l'honneur qu'il n'espérait pas obtenir par le mérite: D'un autre côté , ce sont ces mêmes éléments bour- geois et lettrés, des bacheliers, des médecins, des avocats, des artistes, qui ont élaboré, dès 1830, les nombreuses variétés du socialisme et du commu- nisme, et qui ont soulevé, en 1851 , ces masses cré- dules et égarées allant, à travers le pillage et l'in- cendie , conquérir des sous-préfectures et des recet- tes particulières pour leurs rusés directeurs. Voilà les hommes capables , indépendants et moraux dont Fad- mission devait , au dire de certains , purifier le corps électoral de la monarchie de juillet ! De tels éléments, il est à peine nécessaire de le dire , étaient un affaiblissement pour la monarchie do juillet ; et comme il était dans la nature des choses qu'ils reçussent des institutions elles-mêmes un dé- veloppement indéfini , ils préparaient au gouverne- 5. 68 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. ment un avenir difficile. Néanmoins, si Taccroisse- ment des forces révolutionnaires , aux yeux de tous les hommes clairvoyants, assombrissait rhorizon, Faction présente du pouvoir n'en était ni arrêtée ni sensiblement gênée. C'était un orage, ce n^était pas un abime. Il en était de même d'un danger en apparence plus considérable, et dont la nature mystérieuse a fait exagérer singulièrement les proportions : nous voulons parler des sociétés secrètes. Elles ont menacé dix-sept ans le gouvernement de juillet; mais elles ne l'ont jamais vaincu , pas même le jour où elles ont pris sa place. IV. Les sociétés secrètes ne se sont organisées sérieuse- ment en France qu'après 1 830 ; elles ont été , il faut l'avouer, le fruit de ce régime. La Charbonnerie était morte en 1 822 , noyée dans le sang des quatre ser- gents de la Rochelle; car on verra que c'est là le sort de toutes ces associations monstrueuses : elles com- plotent un attentat, elles l'essayent; puis elles suc- combent et elles périssent, étouffées sous les cada- vres de leurs dupes. L'agitation violente de 1830, après avoir remué la société française jusque dans ses profondeurs, avait fait surgir cinq mille républicains ou soi-disant tels. Il n'y en avait pas un de plus dans la pétition signée LIVRE DEUXIÈME. 69 à Paris au mois d'août 1830, et dont M. Flocon, alors fort jeune, fut le principal instigateur. En sup- posant toutes les signatures authentiques, données librement et en parfaite connaissance de cause, il est permis de croire que dans cette liste le nombre des démocrates sincères, résolus à n'accepter un rôle que dans la république , était au moins balancé par celui des ambitieux , prêts à recevoir une situation de tout régime qui voudrait la leur donner. Ce fu- rent donc ces cinq mille républicains qui, après n'avoir pu ni envahir la chambre, le 4 août, ni rintimider par la suite, s'organisèrent en sociétés secrètes, pour détruire, par la ruse et par la violence, la monarchie de juillet. C'était une minorité imper- ceptible qui commençait la lutte; on verra que les cinq mille républicains du 4 août 1 830 étaient en- core bien diminués, le S4 février 1848. Sur environ dix sociétés qui durent leur naissance au désordre de juillet, une seule devint secrète, im- portante et redoutable : ce fut celle des Amis du peu- ph. Elle eut promptement trois éléments considéra- bles d'action : un personnel intelligent et ardent, un journal audacieux, et des appuis à peine dissimulés dans la Chambre. La France est devenue familière, aux dépens de sa sécurité, avec les noms alors obscurs des princi- paux membres de la société des Amis du peuple: c'étaient MM. Marrast, Flocon, Trélat, Guinard, Go- defroy Cavaignac, Raspail, Blanqui, Antony Thou- 70 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. ret, Bergeron, Cahaigne, Vignerte, Delescluse et Félix Avril'. Faut-il faire observer que, parmi cette jeunesse vigoureuse , il n'y avait personne qui n'eût sa place au soleil à conquérir? Certains avaient es- sayé, pour parvenir, de s'ouvrir les voies régulières; et il est permis de supposer que l'émeute ne les au- rait pas eus tous , si le gouvernement les avait ac- cueillis^. Une fois constituée, la société des Amis du peuple se donna la Tribune pour organe ; et elle eut à la Cham- bre pour appuis, confidents et complices, MM. de Lafayette, Dupont de l'Eure, Audry de Puyraveau et Cabet. Conspirer, agiter les esprits, effrayer les intérêts, remplir la France d'inquiétude et Paris de tumulte, ce fut là l'œuvre naturelle des Amis du peuple , et ils l'accomplirent sans relâche. Leurs desseins étaient atroces ; mais ils échouaient toujours devant l'éner- gique résistance de la garde nationale de Paris, qui était alors le boulevard de l'ordre. Les Amis du peu- ple ne mettaient donc pas le gouvernement en péril ; et le maréchal Lobau , qui les combattit et les vain- ^ Voy. Histoire des sociétés secrètes de 4830 à 4848, par Lucien de la Hodde , p. 35. — Nous aurons souvent recours , pour ce qui concerne les sociétés secrètes, à ce livre fort curieux et très-sûr. 2 M. Marrast sollicita en 4 830 , avec l'appui du général Lamar- que , une situation honorable au ministère de l'instruction publique. Si le ministre d'alors avait eu le bon esprit d'accueillir M. Marrast , il est probable que ce dernier ne fût pas devenu républicain , d'au- tant mieux qu'il était alors notoirement légitimiste. LIVRE DEUXIÈME. 7< quit avec des pompes, aa mois de mai 1831 , montra avec quelles armes on peut résister au désordre, quand on a la ferme résolution de ne pas fuir devant lui. Le 5 juin 1 832 , jour des funérailles du général Lamarque , la société des Amis du peuple accomplit sa destinée et livra son grand assaut à la société. Le choléra sévissait à Paris; madame la duchesse de Berry allumait la guerre civile dans la Vendée; les Amis (Uc peuple trouvèrent que de tels fléaux affai- blissant la patrie, le moment était propice pour la subjuguer. Ils s'insurgèrent le 5 juin , spéculant sur le désordre d'un deuil public, et faisant leur jouet d'un cadavre. Tout donna dans cette bataille, ceux qui avaient des principes et ceux qui n'avaient que des ambitions; et cependant, lorsque toutes les sociétés eurent ali- gné et placé leurs combattants, ce les forces réunies, dit une autorité compétente, pouvaient former un chiffre de deuœ mille hommes , dont siœ à sept cents pour les Amis du peuple. L'effectif de tout le parti républicain dans la capitale ne dépassait pas trois mille hommes ' . » Comme, à cette époque, Paris était voué à Tordre, et que l'idée d'une nouvelle révolution ne souriait qu*aux insurgés , le sort de l'émeute fut bientôt dé- cidé, quoiqu'elle eût envahi en quelques heures les * Lucien de la Hodde , Histoire des sociétés secrètes. 72 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. deux tiers de la capitale. Attaquée le 6 juin au point du jour par le maréchal Lobau , elle expirait le 7 avant la nuit; laissant ce que les émeutes laissent après elles, du sang et des ruines. On fit le procès à une centaine de batteurs d'estrade, et Ton condamna vingt émeutiers inconnus. Les Amis du peuple, qui avaient organisé l'insurrection, eurent l'adresse de se soustraire au procès. Suivant une remarque fort juste, peu de chefs avaient paru sur les barricades , et Ton n'en trouva aucun dessous. La bataille du 5 et du 6 juin fut l'anéantissement de la société des Amis du peuple. Les républicains n'ont jamais eu depuis lors une armée aussi nom- breuse et aussi bien organisée; et cependant elle ne mit pas un instant le gouvernement en péril , parce qu'elle n'avait pas avec elle la seule force qui puisse rendre les émeutes Victorieuses , l'aveugle connivence des honnêtes gens. V. A la société des Amis du Peuple succéda la société des Droits de V Homme ^ organisée vers la fin de 1832 avec ces mêmes éléments bourgeois, c'est-à-dire avec des médecins, des avocats, des étudiants, des pro- fesseurs et des commis. Elle eut un comité directeur de onze membres, dont les plus notables étaient MM. Audry de Puyraveau, Voyer d'Argenson, Gui- nard, de Kersausie et Godefroy Cavaignac. La Tribune, LIVRE DEUXIÈME. 73 plus violente que jamais , fat encore le journal de cette société secrète. M. Marrast était son meilleur rédacteur. Paris fut divisé par la société des Droits de V Homme en cent soixante-trois sections, donnant chacune vingt affiliés , sous la direction d'un chef. Les noms de ces sectionsdisent suffisamment quels sentimentsdo- minaient la société. Il y avait las sections Robespierre^ Maraty Couthon, Lebas^ Saint-Just^ Babeuf j Lou^ vel j Ça ira , le Niveau , les Gueuœ , Guerre aux cAfl- teauœ. Abolition de la propriété mal acquise^ le ViTigt et un janvier, M. Recurt se produit alors, comme chef de la section des Gâteux ^ Il devint quelques mois plus tard membre du comité directeur. Le but de cette nouvelle société était celui des so- ciétés qui l'avaient précédée, et sera celui des socié- tés qui la suivront : elle voulait s'emparer du pou- voir par un coup de main, et imposer à la France le gouvernement d'une faction. |1 s'^était formé, sous le nom de Section d'action^ un groupe de tètes plus folles ou plus coupables, investi du droit d'engager la bataille. Il était sous le commandement d'un gentilhomme breton , ma- niaque d'émeutes, nommé le capitaine Kersausie. Il avait pour aides de camp deux démagogues très-exaltés, d'un jugement peu sûr, devenus plus tard trop célèbres l'un et l'autre, et dont l'un est mort fou l'année dernière , Barbes et Sobrier. ^ De la Hodde, Histoire des sociétés secrètes , p. 430. 74 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. Quand la noavelle société eut bien démasqaé son bat, qui n'était qu'une parodie de la Terreur, Carrel, rédacteur en chef du National ^ se sépara d'elle. Sans ayoir les proportions que la médiocrité de son parti lui donna j Carrel était un esprit et un caractère d'élite, li voulut et il pouvait , comme Marrast , appartenir au gouvernement de 1830. Collaborateur de M. Thiers dans la presse libérale, il était logique et juste qu'il parcourût la même carrière ; une regrettable incurie rejeta dans l'opposition un homme qui aspirait au Conseil d'État , et qui eAt servi la monarchie avec utilité pour la société et avec honneur pour lui- mâme. Pendant que la société des Droits de V Homme se préparait à Paris, elle organisait à Lyon, vers le mi- lieu de 4843, un comité directeur, chai^ d entraî- ner diverses associations d'ouvriers, et la plus im- portante de toutes, celle des MutuelUstes. Le comité lyonnais, dans lequel entrèrent d'abord MM. Jules Favre et Baune, ne réussit que trop bien. Ses travaux et sa propagande mirent en évidence, à Lyon, AI. Charles Lagrange; à Saint-Étienne , M. Canssi- dià«; à Nancy, M. Clément Thomas, maréchal des logis dans un régiment de cuirassiers qu'il vonlnt soulever , et dont les soldats Farrétèrent. D accord sur le but et sar les moyens , les conjurés slnsurgèrent à Lyon le 9 avril 1834, à Paris le 43. On sait le résultat. De ces deux iDsarrections, la plus amlntieuse et la plus facile à vaincre, ce fut celle de LIVRE DEUXIÈME. 75 Paris; elle fat écrasée en deux jours. Celle de Lyon en exigea trois. Ni à Paris, ni à Lyon, aucun chef ne périt dans le combat. Leurs dupes étaient résolues à vaincre ou à mourir ; mais les chefs tenaient infini* ment à vivre, afin de pouvoir gouverner. Le 20 mai, pendant le procès qui suivit l'insur- rection, Lafayette mourut. A la nouvelle de cette mort, les accusés illuminèrent Sainte-Pélagie. C'était bien la peine, comme on voit, d'avoir pendant qua- rante ans sacrifié son pays à Témeute , pour n'obte* nir, à la fin d'une carrière si agitée, que son sacri- lège dédain ! Le désastre du 1 3 et du 1 4 avril 1834 brisa la société des Droits de VEomme, comme celui du 5 et du 6 juin \ 832 avait brisé la société des Amis du Peuple. Néan- moins^ quelques tronçons de Thydre se renouèrent, et de sa dernière convulsion naquit, le 28 juillet 1835, l'attentat de Fieschi. Le monstre expira dans le sang du maréchal Mortier, et des malheureuses fem- mes qui formèrent cette horrible hécatombe. VL Cette grande déroute d'avril 1 834 changea un peu la face des sociétés secrètes. Les éléments les plus puissants en étaient dispersés, les uns en prison, les autres dans Texil. Ainsi disparurent du milieu des con- spirateurs actifs et pendant quelques années, MM. Gui- nard, Cavaignac, Marrast, Clément Thomas, deKer- 76 CHUTE DU ROI LODIS-PHILIPPE. sausie, Lagrange, Caussidière, condamnés par la cour des pairs. D'antres se retirèrent, attendant de meillears joors, comme MM, Flocon, Recnrt, Raspail et Trélat. Restèrent deux incorrigibles agitateurs , Barbes et Blanqui. Ils organisèrent , au commencement do 1 835, la société des Familles , qai n'eut ni de longues ni d'é- clatantes destinées , et qui n'enrôla qu'environ un mil- lier d'adeptes \ La plupart de ses membres furent arrêtés au mois de mars 4836, pendant la conspira- tion dite des Poudres, et condamnés au mois d'août. Cette société est la seule qui n'ait pas eu le temps de faire verser du sang. Pendant la captivité de Barbes et de Blanqui , un de leurs amis, Martin Bernard, créa, vers la fin de 4 836 , la société des Saisons. C'était une modification considérable des sociétés secrètes, en ce que les Saisons écartèrent à peu près complètement Félément bourgeois, les commis- voyageurs, les rentiers intri- gants, les médecins et les avocats, et se recrutèrent exclusivement dans les degrés les plus bas de la classe ouvrière. L'amnistie du 8 mai 4 837, cette sentimentale conces- sion , rendit la liberté à tous les conspirateurs , qui reprirent leur œuvre, beaucoup plus expérimentés que jamais, et tout aussi incorrigibles. A peine libres , Barbes et Blanqui se réunirent à Martin Bernard. 1 L. de la Hoide, J7tslotre des sodétis secrèles, p. 207. LIVRE DEUXIÈME. 77 Ils avaient à peu près douze cents affiliés au com- mencement de 1 838. Les excitations atroces du Moni- teur républicain^ rédigé secrètement par quatre ou cinq énergumènes, poussaient à l'émeute. Barbes hési- tait j au milieu d'un isolement immense et en face d'un attentat inutile. Blanqui lui força la main, et la folie sanglante du ISl mai eut lieu. Barbes combattit seul, et Ton ne vit ni Martin Bernard ni Blanqui derrière les barricades ^ Suivant la destinée de toutes les sociétés secrètes, celle des Saisms périt noyée dans le sang du 1 2 mai. On le voit , les associations révolutionnaires dimi- nuent sinon d'exaltation, au moins d'influence. Elles se relèvent sans doute à chaque coup qui les abat , mais elles se relèvent toujours moins fortes. Leur décadence ne s'arrêtera pas durant les années qui vont suivre; et c'est juste au moment où elles n'au- ront ni chefs, ni soldats, ni munitions, que la rivalité des hommes politiques leur livrera la société sans défense. VIL Après la stupeur qui suivit le 1 2 mai , les débris des Saisons se rapprochèrent. Ils furent réunis et < Voyez L. de la Hodde, Histoire des sociétés secrètes , p. 249, où il est eût : « La présence de M. Martin Bernard sur le champ de bataille n'a pas laissé de traces. Pour ce qui est de M. Blanqui , nous affir- mons que s'il a combattu glorieusement , il n'y a que lui qui le sait. » 78 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. réorganisés sous le titre de Nouvelles Saisons^ par un ancien libraire du Dauphiné, nommé Dourille. C'était une réunion dépenaillée de pauvres hères; elle se traîna quatre ans de cabarets en cabarets, se soute- nant par des cotisations administrées par les chefs, qui ne trouvaient néanmoins dans cette étrange indus- trie qu'une existence de bohèmes ^ Un élément révolutionnaire nouveau, le Commu- nisme, apparut en 4840. Le Saint-Simonismey ou- vertement prêché en 1830 par le Globe; le Fourrié- risme, régulièrement soutenu depuis 1832 par deux journaux , le Phalanstère et la Démocratie pacifique, pouvaient bien être considérés à juste titre comme deux systèmes de communisme ; mais ces deux doc- trines, aux allures paisibles, et affectant un caractère d'initiation scientifique, n'avaient jamais inspiré à la société une sérieuse appréhension. Bien différent était le communisme terroriste. Celait une folie furieuse qu'on pouvait croire morte à la fin du dernier siècle , avec Babeuf et Darthé , ses plus vrais et ses plus vulgaires représentants. Une douzaine de barbouilleurs, inconnus du public, re- prirent la prédication de la doctrine, et la lancèrent dans les ateliers. De tous ces nouveaux démolisseurs, M. Cabet est le seul dont le nom ait surnagé , et en- core était-il le moins violent et le moins dangereux. Il formula ses idées dans un livre intitulé : Voyage en * Les affiliés se plaignirent souvent de cette exploitation. — Voy. Chenu, les Conspirateurs^ p. 31, 2. LIVRE DEUXIÈME. 70 Icariej et il les appuya par la publication du journal le Populaire. Quoique cet appel s'adressât aux pas* sions les plus viles et les plus basses , et peut-être à cause de cela, le communisme n'eut pas un très-grand succès. Dans un grand banquet qui eut lieu à Belle- ville , les communistes de toute nuance ne dépas-* sèrent pas un millier de convives ^ Il y eut, en 1 840, une secte de socialistes matérialistes ^ sous la direc- tion d'un nommé Coffineau *. Elle travailla sur les grands chemins, et fut jugée aux assises de 1847. Après le i 3 juillet i 842 , la mort inopinée du duc d'Orléans réveilla de leur longue inaction les conspi- rateurs des Amis du peuple et des Droits de Vhomme. L'amnistie les avait tous ou relâchés ou rappelés. Vers la fin de 1 842, M. Flocon demanda et obtint d'entrer dans le comité des Nouvelles Saisons. Il y fut, dit un membre influent du comité, moins admis que souf- fert *. Les chefs des sections affectaient un grand dédain pour ces journalistes parasites, toujours au conseil, jamais à Taction ; et ils appelaient M. Flocon et ses amis des marchands de papier *. A l'époque où M. Flocon entra au comité , les Nouvelles Saisons ne comptaient pas plus de huit cents membres. A la fin de 1846, les Nouvelles Saisons étaient très- affaiblies. M. Martin, dit Albert, entra au comité. Il * L. de la Hodde, Histoire des sociétés secrètes y ^, 269. 3 Chenu, Hist, des sociétés secrètes, p. 49. 3. L. de la Hodde, les Conspirateurs , p. 328. * Chenu , les Conspirateurs j p. 58, 80 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. y apporta de Tactivité, de larésolotion, des relations étendues dans les classes ouvrières, sans ajouter néanmoins beaucoup ni au chiffre ni aux espérances de la société. La société des Saisms pouvait avoir six cents hommes; une société dissidente j dans laquelle Chenu était chef de section, pouvait en avoir quatre cents. Joignez à cela environ cinq cents vieux conspi- rateurs toujours prêts à s'insurger, on aura le chiffre total d'environ quinze cents clubistes désorganisés et sans armes, auxquels soixante mille hommes de garde nationale livreront le pays ^ Pendant la chaleur des banquets, M. Caussidière convoqua à Paris quatre chefs des comités de pro- vince. Le congrès eut lieu au mois d'octobre 1847. Albert désabusa complètement les quatre émissaires , et refusa positivement son concours à une prise d'ar- mes, qu'il considérait comme insensée. M. Ledru- Rollin tint le même langage. « Il déclara aux délé- gués, d'un ton sec, qu'aucune insurrection ne devait éclater, et que par conséquent il n^en était pas le chef*. » Le 2i février au soir, trois jours avant la catastro- phe, les conspirateurs n'avaient encore ni plans ni moyens. « Je vis Albert le soir, dit Chenu ; il m'a- voua que le comité n'avait rien prévu , et que l'on n'avait pas d'armes^. » Depuis le commencement du 1 Voy. L. de la Hodde, Histoire des sociétés secrètes^ p. 380. ^Itnd., p. 384. 3 Chenu, les Conspirateurs, p. 72. LIVRE DEUXIÈME. 81 règne, jamais les forces révolutionnaires n'avaient été plus désorganisées et plus faibles. La police, qui vivait au milieu d'elles, savait leur secret et leur im- puissance. Pour succomber sous de tels ennemis , il a fallu s'opiniàtrer à ne pas les combattre. VIII. Si, du point où le lecteur est parvenu, on jette un regard en arrière; si l'on considère le gouvernement de juillet dans ses rapports avec ses propres éléments, et si Ton met en balance les forces qui l'appuyaient et celles qui le combattaient, on est amené à se de- mander comment il aurait pu périr, s'il né s'était renversé lui-même. Le peuple ne Tappuyait pas avec ardeur, c'est vrai , mais le peuple l'acceptait et lui obéissait. Ja- mais, dans aucun lieu, dans aucune circonstance, soit en Vendée, soit à Paris, soit à Lyon, le vrai peuple ne prit parti, contre le gouvernement, ni pour les insurgés légitimistes , ni pour les insurgés démago- gues. Cette immobilité du peuple, au milieu de l'agi- tation des partis, était, pour le gouvernement, un signe d'adhésion et de respect, et par conséquent une force. L'armée n'avait pas un esprit d'entraînement pour la royauté de juillet, mais elle Ta constamment se- condée dans le maintien de l'ordre et des lois. Trois formidables émeutes, écrasées par les armes, un 6 9% CHUTE DU ROr LOUIS-PHILIPPE. inaltérable dévoaement au drapeau et à raatorité, pendant dix-sept ans de règne , montrent claireïnent qu'aucune attaque ouverte n'aurait prévalu contre le trône , et disent ce que Tarmée aurait fait au dernier moment, si un appel avait été adressé , à temps, à sa loyauté et à son courage. Le clergé, encore tout froissé des mécomptes et des pertes d'influence politique que lui avait fait subir la révolution de 1830, fît la faute de ne pas donner au gouvernement de juillet un concours qui l'eût éloigné des philosophes et des universitaires; mais le clergé ne franchit jamais la limite d^une oppo- sition constitutionnelle et modérée; et, s'il ne for- tifia pas, comme il l'aurait pu, le gouvernement du roi Louis-Philippe, toujours est-il vrai de dire qu'il l'affaiblit à peine, et qu'il ne l' ébranla nullement. Les puissances étrangères subirent, plus encore qu'elles ne le choisirent, le rôle qu'elles eurent, sous la monarchie de 1830, envers la France. Il était bien difficile qu'elles accueillissent favorablement le prin- cipe, même temporaire, de la non-intervention, qui les désarma en Belgique, et qui les arrêta en Italie. Elles auraient pu et elles auraient dû tenir plus de compte au roi Louis-Philippe des difficultés de son règne , et la consolidatioiï de l'ordre général n'aurait rien perdu par l'adoption d'une politique plus bien- veillante envers la France; mais la popularité du gouvernement de juillet fut toujours en raison in- verse de ses bonnes relations avec l'Europe contî- LIVRE DEUXIÈME. 93 nentale. Sa stabilité ne souffrit donc jamais da man- yais Yonloir de la Sainte-Alliance, et ce manyais Yonloir s'était, à la fin, sinon radicalement effacé, du moins considérablement amoindri. Qaant aux ennemis dont le gouvernement de juil- let eut à repousser les violents et perpétuels assauts , ils étaient au nombre de deux, également impuis- sants ou vaincus , les partisans de la maison de Bour- bon et les sociétés secrètes. Les attaques violentes du parti légitimiste étaient anciennes, et presque oubliées. Ses membres, c(Hnme s'ils avaient été découragés, semblaient avoir renoncé à toute tentative qui eût pour objet immédiat une troisième restauration. Alliés habituels des diverses nuances de Topposition , ils bornaient leur ambition à des batailles de tribune , qui étaient rarement des victoires; et, ne pouvant changer la dynastie, ils travaillaient à changer les ministres. Les sociétés secrètes ne comptaient plus comme force armée et militante. Criblées d'espions, elles vivaient et complotatient sous les yeux de la police, qui les voyait s'agiter avec une sorte d'indifférence et de pitié. Toute émeute directement tentée par elles n'eût abouti qu'à un échec inutile et sanglant. Elles étaient tombées à l'impuissance politique et à la dé- gradation morale de l'assassinat individuel , ce qui les plaçait, avec la tourbe dés malfaiteurs vulgaires, sous la juridiction du bourreau. Appuyé sur de tels éléments de force , et combattu 6. 84 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. par de tels ennemis, le gouvernement de juillet pou- vait très-légitimement avoir et inspirer confiance dans sa durée. Ce n'est par aucun des côtés qu'on vient de voir qu'il pouvait tomber et qu'il tomba. Le peu- ple, l'armée, le clergé^ les puissances étrangères auraient longtemps laissé la direction du pays et des affaires aux électeurs, aux chambres et à la dynas- tie, sans qu'il fût au pouvoir des légitimistes ou des sociétés secrètes de la leur enlever. C'est donc ailleurs, c'est dans les classes politiques elles-mêmes , c'est dans la rivalité des partis et dans le choc des ambitions, et non pas dans les éléments généraux de la société française , qu'il faut chercher, soit les difficultés sérieuses qu'eut à surmonter le gouvernement de juillet, soit les causes de sa chute. Ces difficultés eurent leur source et leur siège clans les classes et dans les hommes politiques, dépositaires ou organes du pouvoir; et la révolution de 1848 va sortir uniquement de la rivalité, de l'ambition et de la lutte des partis parlementaires. C*est la troisième fois que la France, en pleine sé- curité , va être troublée et bouleversée par les hom- mes qui avaient charge de la conduire ! LIVRE TROISIEME. DIFFICULTÉS ET PÉRILS. LES CLASSES. — LES PARTIS. LES HOMMES POLITIQUES. • Difficoltés du régime parlementaire en France. — Il n*esi pas fondé sor les traditions nationales. — Le pooToir royal a toajoars eu riDitiative des progrès. — Les réformes ont été opérées contre le gré des classes poli- tiques. — Le calme du peuple. — Le corps électoral sous le gouTemement de 4830. — 11 a été accusé de corruption par des partis corrompus. — Solliciteurs de l'opposition. — La garde nationale de Paris. — Dangers qu'elle fait coorir à l'ordre public. — Esprit turbulent de la bourgeoisie parisienne. — Les partis sons la monardiie de 4830. — Us ne conte- naient en général que des ambitieux. — Us n'avaient aucune doctrine. — Le parti légitimiste. — M. Berryer. — L'extrême gauche. — M. Ledru- Rollin. — La gauche. — M. Oiilon Barrot. — Le solitaire de l'Assemblée, M. de Lamartine. — Le parti conservateur. — M. Duchatel. — Chefs suc- cessifs du parti conservateur. — M. Laffitte. — M.Casimir Périer. — M. le maréchal Soult. ~ M. le duc de Broglie. — M. le comte Mole. — M. Thiers et M. Guizot; leur éducation, leur caractère, leur rôle, leur ta- lent. — Le danger des institutions parlementaires est dans la mobilité des esprits et dans la violence des passions. I. Sans qu'on pût prétendre, d'une manière absolue, que le ]]égime parlementaire est impossible en France, rexpérience autorise à dire que son établissement y rencontre plus de difl&cultés qu'ailleurs, puisque, ayant été essayé trois fois depuis 4789, il a toujours, par son libre jeu, amené une révolution. 86 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPB. La raison de cet échec constant du régime parle- mentaire, en France, n'a rien d'idéal on de chimé- riqne; elle est fondée snr Tinstinct national et sur la tradition. De tont temps, en France, le pouvoir royal a eu rinitiatîve des progrès, et c'est de lui que vien- nent toutes nos grandes institutions. Cest en effet la royauté qui a produit : sous Louis le Gros, Textension du système communal; sous saint Louis , le meilleur type du droit ooutu- mier ; soos Charles YII , le noyau de Tannée p^ma- nente; sous Louis XI, le plus grand effort de Tunité luAicmale; soos Henri lY, la tolârance religieuse; sons Louis XIII , la prédominance du pouvoir royal ; sous Louis XIY, Funiformité des tarifs de douane, du droit crimind et de la procédure civile. Poursuivant cette tradition glorieuse, et désirant la couronner par les plus belles et par les plus utiles réformes qui eussent jamais été tentées , le bon et mal- heureux Louis XYI essaya d^étaUir, deux ans avant la révolution, les conseils de la commune et du dé- partement, Tégalité de Timpôt territorial, Tunité ab- solue des douanes pour tout le royaume, la sub- stitution de la justice CM-dinaire aux tribunaux des seigneurs et T^ale admissicm de tous aux emplois publics. La résistance égoSi^ et opiniâtre des pri- vilégiés, c'est-è-dire du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie parlementaire, lui coèta le trône et la vie. La destinée de la monardiie, en Franee, a été, non-seulement de pr»idre Tinitiative des pro- LIVRE TROISIÈME. 87 grès, mais encore de les opérer presque toujoun contre la volonté des classes politiques. Sans parler des souverains qui , de Louis le Gros à Louis XI y durent opérer les réformes Fépée à la main , on ne citerait peut-être pas un roi qui ait pu fimder, autrement que de haute lutte , nos institu- tions les plus importantes et les plus durables ' . Pour établir la liberté religieuse, consacrée par redit de Nantes, Henri lY eut à vaincre la longue et opiniâtre résistance du Parlement de Paris; et ce ^ Ainsi durent être enregistrés, en lit de justice , c'est-à-dire du très-exprès commandement du roi : En 4 382 , sous Charles VI , Inédit de 4 375 de Charles V, qui fixe la majorité des rois à quatorze ans ; En 4393, sous Charles Vill, Tordonnance qui organise la justice; Sa 449S, sons Louis Xn, rordonnance de Blois qui complète cette organisatioB; En 4 §23, sons François I«, Fédit qui crée an lieutenant crimioel dans chaque bailliage et sénéchaussée; En 4554, sous Henri II, Tédit qui crée un présidial dans chacun des prindpaux bailliages et sénéchaussées du royaume; En 4563, sous Charles IK, Tordonnance sur Tabréviation des procès, ainsi que Tédit sur la juridiction des juges consuls; En 4566, Tédit de Moulins, qui ôta aux tribunaux des seigneurs et des hôtels de ville, pour la réserver aux juges royaux, la cou- naissance des causes civiles et des causes criminelles; En 4 597, sous Henri IV, Tédit portant création des greffiers dvila et criminels; En 4598, 1 édit de Nantes, aooordant aux protestants le libre exar- dce de leur culte ; En 4 654 , Tordonnance de Louis XIV contre les duels ; En 4667, l'ordonnance sur la procédure dvfle; En 4673, Fédit portant éUblissement de greflès pour la conser- vation des hypothèques, ainsi que 1 édit réglant les épices, vacations et autres frais de justice. 88 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. corps ne céda que sous la pression des paroles les plus fermes et des menaces les plus résolues V Pour établir l'Académie française , Louis XIII dut attendre, pendant deux années , Tentérinement , fait en termes restrictifs, de ses lettres patentes *. Pour établir la procédure civile, réglée par l'or- donnance de 1 667, et conservée presque littéralement dans l'un de nos codes, Louis XIV fut obligé de dé- ployer, dans un lit de justice , la toute-puissance de l'autorité royale'. Pour établir le Code civil , dont les premiers titres avaient déjà été repoussés à une immense majorité , ^ Ayant mandé au Louvre deux membres de chaque chambre, Henri IV leur dit : « On dit que je veux favoriser ceux de la religion , et Ton veut entrer en quelque méfiance de moi. Si j'avais envie de ruiner la religion catholique, je ne me conduirais pas de la façon. Je ferais venir vingt mille hommes, et je chasserais d'ici ceux qu'il me plai- rait... Je dirais : Messieurs les juges, il faut vérifier TËdit, ou je vous ferai mourir ; mais alors, je serais tyran. Je n'ai point conquis ce royaume par tyrannie ; je Tai par nature, et par mon travail. » Vos langueurs et vos difficultés donnent sujet de remuements étranges dans les villes... Empêchez que de telles choses n'arrivent plus ; que je n'aie plus à parler de cette affaire , et que ce soit pour la dernière fois. Faites-le ; je vous le commande , et vous en prie. » État de la magistrat, en France, 1788, p. 207. 3 Les lettres patentes portant fondation de l'Académie française sont de 4635; elles ne furent vérifiées par le Parlement que le 40 juillet 4637, avec cette clause restrictive : a  la charge que ceux de ladite Assemblée et Académie ne con- naîtront que de l'ornement, embellissement et augmentation de la langue française, et des livres qui seront par eux faits, et par autres personnes qui le désireront et voudront. » * État de la magistrat, en France, 4788, p. 207. \r LIVRE TROISIÈME. 8» le Premier Consul fat réduit à menacer d'un coup d'État le Tribunat et le Corps Législatif ^ . Pour établir le Concordat, il fallut d'abord sur- monter l'hostilité scandaleuse du Conseil d'État; et, même après le premier renouvellement du Tribunat et du Corps Législatif, ce grand acte politique n'obtint du dépit vaincu de ces deux assemblées que l'appro- bation du silence''. Cette résistance perpétuelle et presque tradition- nelle des classes et des corps politiques aux plus sages et aux plus fécondes institutions a habitué le peuple français à attendre et à recevoir du trône les améliorations et les progrès , comme elle a générale- ment retiré aux assemblées délibérantes la faveur de l'opinion publique. Daunou, conventionnel et philosophe modéré, disait « que les véritables intérêts des gouvernés sont compris dans les garanties individuelles; que la liberté personnelle, la sécurité domestique, le déve- loppement de rindustrie privée , l'indépendance des affaires particulières , sont les seuls intérêts réels ; et qu'il n*y a rien à demander au gouvernement , sinon qu'il les garantisse ^. )) Le peuple s'est toujours contenté, en France, de ces garanties individuelles, dont parle Daunou. A condition d'avoir la liberté pour ses instincts reli- 1 Thiers, Hitt, du Consulat^ t. III, liv. xiii. * Ibid., t. XIlï, liv. XIV. ' Daunou, Essai sur les garanties individuelles, p. 7. 90 CHUTE DU ROI LOUIS- PHILIPPE. gjeax, l'égalité poor sa dignité persoimeUe, la aéca- rilé pour son foyer et poor son patrimoine^ le pea{ria sert fidèlâaeQt et respecluensement le pouvoir qnî les lot donne; mais ces garanties, et cent antres, ne suffisent [las anx ambitieux des assemblées , aux salons qni les excitent , on aux journaux qui les pas- sionnent. C'est inrariaUement de leur sein que sont sorties ncK révolntions. Aassi les populations rurales, industrielles et commerçantes, dont le travail régu- lier est la pranière loi , tendent-elles de pins en plus à ccmsidérer comme la clef de voAle nécessaire à une société telle que la nôtre on gouvernement ferme et joBte, contenant tous les partis en les d(»ninant, et donnant à la sécurité des intérêts ce qu'U ^ à la liberté des passions. Le r^;ime des assemblées souveraines a pu soarire à une noUesse écartée par le favoritisme, à des prélats fastueux ei à des bourgeois enrichis , jaloux de l'au- torité des ministres, comme en France, sons Louis XV et BOUS Louis XVI ' ; et il peut être sans péril dans QD pays occupé, où les mœurs conmierciales ont des racines profondes, où le crédit est ancien et agoori, où d'ailleurs les passons politiques, dans t^irs plus grands écarts , s'a^tent invariablement i la limite de la loi , comme en Angleterre ou anx Étals-Unis. ■ On ?aiL li tentative faite par Ions les parionenb de France, sou£ Louis X^ , pour s'ériger en corps politique, à l'instar dn parte- iuentd'Angleierre;et, dès l'oinrertiH« des LIVRE TBOISIÈlfB. M quoiqu'il paisse paraître étrange de raneraer la Pifo- vidence des réTolutioDS qu'elle dédiatne, il n'ea est pas moins vrai que celle de 1 848 a purgé le paya des sa!itiments hypocrites et des pratiques dépravées auxqads les aaibitieux ne rougissaient pas de des* cendre, et qui se seraient substitués, à la hmgne, à la firandiise ^ à la loyauté des mœurs françaises. Yoilà donc è quoi se réduisait cette corruption pro* fonde, à laquelle beaucoup d'esprits sans déGance n'auront pas manqué d'ajouter foi. Dans la forme, c'était Qne accusation de parade , inventée à l'occa- sion des Sections générales de 1 846 , en vue d'arri- ver à ce but, que l'exposition voulait atteindre, avarU UnUj la conquête du pouvoir. Dans le fond, c'était l'immixtion , encore plus apparente que réelle , de la chambre dans les détails de l'administration publi- que, chaque député étant jaloux de s'attribuer, aux yeux de ses commettants, les emplois et les faveurs distribués par le gouvarnement. Peu^-étre cette in- terventicm extérieure pesait-elle quelquefois, plus qœ l'équité ne l'aurait voulu , sur le libre choix des ministres; mais l'opposition, si elle avait été de bonne foi, aurait dû s'atuîbuer la plus grosse part dans les dérogations qui purent être faites , sous le gou- vernement de juillet, au principe de la justice dis- tribntive et ^ la bonne administration. Ce n'est donc pas la corruption qui dirigeait la petite bourgeoisie, en possession des droits électo- raux, mais le désir naturel d'occuper ces places, un 7. 400 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. pea nombreuses et encore plus ingrates , auxquelles une éducation trop exclusivement lettrée la destinait et la condamnait. On a vu que , pour les obtenir, elle s* adressait au moins autant aux députés de Topposi- tion qu'au gouvernement lui-même. Dans ses rangs se trouvaient , en majorité , de moyens propriétaires ruraux, indépendants par leur travail comme par leur modestie. Inaccessibles à la brigue, de telles gens ne se gagnaient qu'à la longue, par le bon sens, par le maintien de la sécurité générale, par une bonne et équitable administration. Plus difficile encore était la bourgeoisie des villes , chez laquelle Tindé- pendaûce acquise par le travail se dénature aisé- ment, en France, et devient, sous F influence des partis, indiscipline et turbulence. Tous ces éléments politiques coûtèrent au gouver- nement de juillet beaucoup d'efforts, de temps, de patience, avant d'être éclairés, réglés et dirigés. Le travail le plus difficile, le plus lent, le plus ingrat, comme aussi le plus nécessaire, de la monarchie de i 830, ce fut de créer, par la formation d'une majorité intelligente et solide, un instrument de gouverne- ment. Cette œuvre fondamentale , dix fois interrom- pue ou détruite par les rivalités parlementaires , s'a- chevait à peine vers les dernières années du règne , et Ton allait' enfin commencer à gouverner, lorsque tout cet édifice, si laborieusement construit, disparut dans Tabtme creusé par d'aveugles et par de stériles ambitions. M. le comte Ducbâtel, par une administra- LIVRE TROISIÈME. 404 lion modérée et honnête, M. Gnizot, par une politique extérieure honorable, appuyée d'un talent de tribune sans rival, le Roi, par beaucoup de bonté et de pru« dence, avaient su donner aux institutions de juillet un caractère de stabilité et une valeur pratique qu^elIes n'avaient jamais eus jusqu'alors. Ceux-là seuls, qui les ruinèrent par leur impuissante vanité et par leur fac- tieuse agitation , pouvaient dire que de tels résultats étaient le fruit de la corruption et de Tintrigue. Si le corps électoral , éclairé par l'expérience , se rallia de plus en plus au gouvernement, surtout dans les dernières années du règne, il n'en fut pas de même d'un autre élément politique du gouverne- ment de juillet, aussi important et bien plus dange- reux : nous voulons parler de la garde nationale. IV. Bien que formée d'hommes honnêtes, intéressés, par leur patrimoine et par leurs affaires , au maintien de la sécurité générale, la garde nationale n'en a pas moins été, en France, depuis plus d'un demi- siècle , le fléau de Tordre public. Pour que la garde nationale ait pu produire , avec des éléments si esti- mables, des résultats si désastreux, il a fallu néces- sairement qu'elle fût entachée de quelque vice radi- cal et considérable. Ce vice, c'était son origine et son organisation révolutionnaires. En 1789 comme en 1830, la garde nationale est née d'une insurrection; 4n CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. et q«<>iqiie son établissemeot r^lî^ ait ea pour objet la défense des lois, son organisation Ta tonjoors livrée sans délasse à Faction des brigues extérieures, et en a fait à la longue rinstaiimeut involontaire des factions. Même à l'époque de ses premiers travaux , et lors- que son inexpériaice la rendait plus facile aux sur* prises , TÂssemblée constituante résista longtemps à rétabliss^nrat régulier de la garde nationale, de- mandée par Mirabeau. Le club des Jacobins s'âant saisi de la quesdcm , Barnave y développa avec force le danger que présenterait, pour la sécurité publique, on corps armé et permanent, distinct de Tarmée elle- même ^ A cette séance assistait le jeune duc de Chartres , devenu le roi Louis-Philippe ; et il n'est pas sans intérêt de faire observer que le duc de Chartres, partisan de l'opinion de Barnave, blâmait, en 1790, comme jacobin , ce qu'il fut obligé de subir, en i 830, comme roi. Cette première garde nationale, née des enivre- ments , des illusions et des fautes de l'époque , dut suivre et suivit toutes les fluctuations de Fopinion publique , dirigée , c'est-à-dire égarée par les clubs. Royaliste en 4789, constitutionnelle en 4790, elle appartenait déjà à Marat en 4 791 , et retenait le roi prisonnier aux Tuileries^. Le 20 juin 1792, elle allait 1 Séance du club des Jacobins du 3 décembre 4790; voir, à cette date, le journal du duc de Chartres. s Notammeot le 48 ayril, lorsqu'elle força le roi et la reiiie, déjà LIVRE TROISIÈME. 403 insulter la monarchie dans scm palais; le 10 août, dto Ten chassait les aimes à la main ; et le 2 sep- tembre f elle prétait la main aux massacres des pri- eoùs '. Assurément , ce n'était pas la garde nationale tout entière qui subissait ces variations ou qui trenft- pait dans ces attentats. Telle légion s^abstenait et gémissait des œuvres de telle autre; mais c'était déjà un grand inconvénient et un grand malheur pour la paix publique que l'existence d'un ox-ps armé de plus de soixante mille hommes, ayant à peine un li^i de discipline , n'ayant aucun lien d'opinion. Ac- cessible à toutes les fantaisies , à toutes les passions extérieures, sans compter les siennes, la garde natio- nale augmentait le désordre par ses divisions, quand il existait, ou le créait par ses imprudences, quand il n'existait pas. On peut dire, sans sortir de la plus rigoureuse exactitude , que l'histoire des grandes et fatales jour- nées de la révolution française, c'est à peu près la même chose que l'histoire de la garde nationale de Paris , abusée ou dominée par des factieux. L'inter- vention active de cette fatale milice est le symptôme habituel des grandes crises sociales; et^ le plus sou- dans leur voiture pour aller à Saint-Cloud, de descendre et de ren- trer au palais. 1 Le registre des délibérations de la Seetùm des «ma-culolfos, séances du 2 et du 3 septembre 479%, prouve que le massacre de Bi- cétre et celui de Saint-Firmin furent exécutés , en partie , par les gardes nationaux de la section, commandés pour ce service. Ce re- gistre est aux Archives de kkfrèfeetwre depoUee. loi CHUTE DU ROI LODIS-PHILIPFE. veDt, elle y apparaît comme t'avantrgarde des révo- lutions. Ainsi fit-elle en 1789 et en 1830; ainsi fera- t-elle en 1848. Lorsque cette personnalité poHtiqne, jadis si puis- sante, aujonrd'hai si oubliée, le général Lafayetle, eut rétabli la garde nationale, en 1830, avec un dé- veloppement qu'elle n'nvait jamais reçu jusqu'alors, les mêmes causes qui , dwant la première révolu- tion, avaient peu à peu amoindri les légions des dé- partements, ne laissèrent bientôt plus debout que les légions de Paris. Les travaux rustiques, l'absence de toute ambition, l'inaptitude naturelle des gens voués aux œuvres de la paix pour les minutieuses et fatigantes occupations de la vie de caserne , ne lardèrent pas en effet à dissoudre les gardes na- tionales rurales, c'est-à-dire les plus sages, les plus désintéressées et les plus conservatrices. L'esprit d'in- trigue, l'attrait de l'unirorme, le moyen détourné d'arriver à l'influence , conservèrent celles des gran- des villes, où la vanité et l'impuissance en épaulettes exigeaient et obtenaient des distinctions qu'aurait vainement sollicitées le mérite eu habit de ville. Indépendamment de ces causes, cent fois -plus puissantes à Paris qu'ailleurs, rintérét avoué on dis- simulé des partis y donnait une grande importance à la garde nationale. Aussi, malgré la répugnance de tous ceux qui n'avaient pas une raison sérieuse de se prêter à un service, onéreux et pénible pour les citoyens, inefficace et mal fait pour la ville, Tinsti- LIVRE TROISIÈME. 105 tution ne cessa jamais d'y être tenue en haleine. Durant les premières années du gouvernement de juillet, l'esprit de la garde nationale de Paris fut monarchique. Le juste orgueil d'avoir élevé un trône, la nécessité de le préserver contre les assauts des factions, pour en préserver la société elle-même, firent de la milice parisienne un corps plein de dis- cipline, de bon sens et de courage. Rien ne lui coûta, ni la fatigue, ni la vigilance, ni le sang versé. Elle se montra ainsi plusieurs années, unie, résolue, indomptable, tant qu'il resta, pour les institutions une lutte, pour la couronne un ennemi. Mais peu à peu , et quand la sécurité fut conquise, cet esprit de désordre, que la garde nationale avait chassé de la rue, elle l'ac- cueillit dans son sein; et ces démagogues, qu'elle avait combattus sur les barricades, elle les prit pour ses officiers. Durant les dernières années de la monarchie de juillet, la garde nationale de Paris, égarée par ces fatales influences , en était venue à ce point d'aber- ration et de faction, de se croire au-dessus de la nation elle-même, et de prétendre diriger et dominer les majorités parlementaires, expression libre du libre vœu des électeurs. Le roi n'osait plus la réunir et la passer en revue, craignant le scandale, tou- jours possible, d'une manifestation politique; et à Tancienne pression des conspirations et des émeutes avait succédé la pression , cent fois plus immorale et plus dangereuse , d'une capitale armée > substituant 40€ CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. ses passions et ses caprices à la souveraine vokmté d^nn grand pays. Cette désc»*ganisation morale de la garde nationale était Tœavre lente et incessamment poursuivie des partis révolutionnaires , des journaux voués aux co^ teries, et d*une troisième cause qu'il faut bien »gna- 1er aussi : Tesprit de fronde qui a caractérisé, de tout temps, la bourgeoisie parisienne. V. L'histoire prouve que, même modéré et contenu par les fortes institutions de Tancienne monarchie , Tesprit de la bourgeoisie parisienne ne fut pas tou- jours sans danger pour Tordre public ; mais lorsque les formes représentatives, livrant en quelque sorte la nation à elle-même , en exigèrent , comme retour, plus de calme, de sagesse et de patriotisme, c'est toujours Tesprit des salons et des boutiques de Paris qui a rompu l'équilibre , créé des conflits et amené une catastrophe. Lorsque le bon et malheureux Louis XVI , se dé- pouillant volontairement de son initiative , et se li- vrant au bon sens des classes élevées , tenta d'asso* cier les Notables et les Parlements à l'établissement des grandes et généreuses réformes qu'il avait crues nécessaires au rajeunissement des institutions, l'es* prit des coteries parisiennes substitua des questions ministérielles aux questions de progrès ; il dérouta et LIVRE TROISIÈME. 107 égara les proyinces; il alluma le (en de la sédition^ détacha Tannée dn trône, s'empara, par rémeote^ de Fautorité souveraine , la brisa dans la latte de ses rivalités misérables, et en sema les débris dans les niisseanx boueux et sanglants des faubourgs et de la Grave. Lorsque la Restauratkm , qui n'était pas un gou- vernaanent dK>isi par le pays, mais enfin qui ap- portait la paix, le repos, une mesure notable de libertés publiques, assez pour conquérir, à la longue, par réducation graduelle du pays, ce qu'on en pour* rait désirer encore, eût rendu aux salons de la capi- tale, à ses théâtres, à ses livres, à son atmosphère morale, cet empire si plein d'attrait, malgré son en- vahiasemoit , ses caprices et sa tyrannie , l'esprit de Paris ne trouva pas que ce fût assez. Il reprit son ancienne et immuable prétmtion de se substituer, sous l'ancien régime au gouvernement de la royauté, sous le nouveau au gouvernement de la France elle-* même. Il recommença, comme autrefois, ses cam«^ pagnes ministérielles; il chansonna et renversa M. de P($lignac, comme il avait chansonné et renversé M. de Galonné ; finalement, il poussa la monarchie dans un * défilé, qui n'avait qu'une abdication ou un coup d'État pour issue. Dans un dernier accès de délire , il prit la royauté corps à corps et la vainquit, mais en rou- lant avec elle dans l'abtme. Tant et de si douloureuses épreuves, dans les- quelles le triomphe de la légèreté et de la vanité 108 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. avait couvert la France de sang et de raines^ seront perdaes pour la Bourgeoisie parisienne. Elle va se donner, pour la troisième fois , le plaisir solennel de renverser un premier ministre; et elle payera la dé- faite de M. Guizot du prix dont elle avait déjà payé celle de M. de Polignac et celle de M. de Galonné, c'est-à-dire de la chute d'une monarchie! Chose étrange, inconcevable, et qui caractérise d'ailleurs Timprévoyance , la futilité et le vertige de cette Bourgeoisie, ces diverses révolutions qu'elle a faites, elle les a invariablement entreprises et accom- plies sans le savoir et sans le vouloir. Toutes les fois qu'elle a mis le feu au baril de poudre , elle a com- mencé par s'y asseoir dessus. En effet, quoi de plus intimement, de plus solidai- rement uni et lié que Tancienne Bourgeoisie et la monarchie de Louis XVI ? Que pouvaient se promettre ces baillis, ces conseillers, ces présidents, ces éche- vins, ces fermiers généraux, ces abbés, nés, élevés, nourris, choyés dans le privilège, si Louis XVI était vaincu, ou seulement affaibli? N'était-il pas la clef de voûte de leurs hôtels, comme de leur puissance ? N'est- ce pas de lui que venaient leur force, leur lustre, leur sécurité ? Et Louis-Philippe, y eut-il jamais au monde un roi qui fût, à un degré plus éminent, d'une façon plus complète, on pourrait dire plus exclusive, le roi des Bourgeois et de la Bourgeoisie? Que vit-on autour de lui , dans sa Chambre des pairs , dans son conseil LIVRE TROISIÈME. 409 d'État, dans son ministère, à ses fêtes? Des ban- qaiers, des marchands, des mannfacturiers, des mé- decins, des avocats, des professeurs. Ce fut même sa fonte et son malheur de s'être trop mis dans la dépendance des classes moyennes, et d'avoir trop gouverné en vue de leurs intérêts. Le quart des fa- veurs prodiguées à une Bourgeoisie ingrate et am- bitieuse lui eût gagné le cœur du peuple, reconnais- sant et désintéressé. Que ne fit-il pas en effet pour les classes moyennes et pour la Bourgeoisie de Paris? Il refusa de réduire l'intérêt de la dette publique, payé par tous, pour ne pas mécontenter les rentiers, dont le plus grand nombre et les plus riches habitaient la capitale. Il refusa de réduire les droits sur les fers étrangers , ce qui eût soulagé les populations agricoles et manu- facturières, parce que les maîtres de forges et les propriétaires de forêts se seraient plaints. Il refusa la libre introduction des bestiaux allemands ou suisses, ce qui eût amélioré, par rabaissement du prix de la viande, Talimentation des classes laborieuses , parce qu'il redoutait de s'aliéner les riches éleveurs. Il épuisa tout, bienveillance, faveurs, distinctions, pour des hommes dont la modestie constante et le dévoue- ment absolu l'auraient à peine absous de tant de pré- férences, et dont l'imprévoyance et l'ingratitude l'en- voyèrent en exil. Dieu ne laisse jamais de tels scandales impunis. Un jour de l'année 1792, d'Éprémesnil , l'homme 140 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. dont la légèreté, Tambiticm et la tarbaleooa ccmtrH baèrent le plus aax malheurs de la révolution, fot assailli, . dans les rues, par une bande de ces furieux démagogues , que ses déclamations avaient suscités , et laissé meurtri, presque mourant dans le ruisseau. Transporté et déposé sur les planches d'un corps de garde, il reciieillit ses forces, fit un retour sur lui- même , et écrivit à Louis XYI une lettre touchante , dans laquelle , en expiation de ses fautes passées , il offrait au roi les flots de sang dont il était couvert. Combien de bourgeois parisiens , gardes nationaux , rentiers, banquiers, négociants, ont pu écrire au roi Louis-Philippe dans l'exil, et lui offrir la ruine et le désespoir de leurs maisons en expiation des troubles de leur patrie ! VL La principale difficulté et le plus grand danga* du régime parlementaire en France venaient de ce que, sous la dénomination de partis, il n'y a généralement que des ambitieux. Avec des partis sérieux et convaincus, quelles que soient d'ailleurs leurs visées , on a toujours une cer- taine mesure de garanties ,- celle qui résulte de la li- mite même de leurs doctrines. Ils ont un but et on le connaît. Si Ton est certain qu'ils tenteront toujours de l'atteindre, on est également certain qu'ils ne le dé- passeront jamais; car, pour ceux qui ont un but, le dépasser, c'est le manquer. LIVRB TBOISIÈMB. . 144 Avec des ambitieux , on n'est jamais sûr de rien. Comme tout régime lenr va, pourvu qu^ils y aient un rôle, on peut savoir d'où ils viennent, mais on igncwre toujours où ils iront. La colère, la vanité, Tenvie, la peur changent à tout moment le niveau et la direc- tion de leur route. Partis royalistes, ils peuvent arri- ver démagogues; couchés factieux, ils peuvent se lever sujdâ fidèles. Quand on voyage avec des partis , on surveille le côté par où le char peut verser. Quand on voyage avec des ambitieux, toute surveillance devient impos* sible ou inefficace, parce que le char peut v^ser éga- lement à droite ou à gauche. Les rév(dutions se font d'habitude, non par les plice. Si M. Barrot, passant devant €^te statue après ses luttes oratoires , Tayàit quelque- fois interrogée du regard j elle lui etd appris ce que deviennent les ambitieux j demandant la chimère du pouvoir à r idolâtrie des multitudes. Si la Providence, moins clémente dans ses décrets, avait imposé à M. Barrot toute la destinée de Bailly , il l'aurait , nous en sommes convaincu , subie sans défaillance. Seule- ment, si de telles morts expient bien des fautes, elles n'en réparent aucune. Toutefois, si Tesprit de vaine popularité perd in- failliblement, avec les nations, les hommes d'État qn'il inspire, ses dangers et ses désastres devienneat bien plus grands encore, lorsqu'il se réunit, dans la même tôte, avec l'esprit de chimère. C'est également rempli de l'un et de l'autre qu'errait au milieu des groupes parlementaires, isolé, irrésolu, mécontent, le solitaire de l'Assemblée, M. de Lamartine. Tout ce qui constitue M. de Lamartine , scm éclat, sa carrière , ses livres , sa politique , son pou voir, sa popularité, sa chute, sont autant d'énigmes ayant la même mot : chimère! Son christianisme n'est d'au- cune église, parce que, pour être d'une ^li$e, il fau- drait accepter une règle ou une autorité. Sa politique n'est d'aucun parti, parce que , pour être d'oA parti, il faudrait reconnaître uae doctrine et des diefii» Si littérature n'est d'aucune école, parce que, pour être d'une école, il faudrait admettre des traditions etrdes UYIE TROISIÈME. iSS modèles. Isc^ de tout , distinct de tous , ne s'appuyant sur rien y ne s'alliant à personne, M. de Lamartine ooa- stitoe une telle parsonnalité ou s'est tracé un tel rôle, qu'il semble voué à la réunion des contraires : les penchants de la solitude et les goûts de la domination* Ainsi né ou devenu, soldat réfractaire, général d'insUact ou de calcul, il a toujours cherdié son armée et son empire ; ne regardant d'ailleurs ni à Funiforme de Tune , ni à la latitude de l'autre; égft* lemeot prêt à commander les conservateurs ou Tc^- portion; également heureux de présider au palais Bourbon ou à Fhètel de ville. Après avoir conquis lentement, et par d'honorables travaux, une situation considérable à la Chambre des députés^ parmi des hommes qui admiraient son talaat , mais qui s'effirayaient un peu du vague et de l'incon- sistance de ses aspirations, il eut, en 18i1, l'ambi- tion légitime d'obtenir la présidence» L'éclat de son nom, son dévouement, ses services le rendaieoA digne de cet houneur. Il le sollicita avec inopportun nité , ne l'obtint pas, jugea mal une majorité bien- veillante , mais calme et juste , et ne sut pas supporter un ajoumemetit. Le lendemain de ce vote, la majorité s'appelait toujours la majorité, mais M. de Lamartine s'^pdiait dépi l'opposition. Si la majorité avait eu plus d'empressement, ou ai le candidat avait eu plos de patieaee, la révolution de février aurait trouvé M. de Lamartine collabora- teur de M. Guizot. 4Î4 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. Ainsi séparé tlu parti conservateur, dont la poli- tique était devenue « égoïste )> et a oligarchique ' , )> depuis qu'il n'avait pu obtenir Thonneur de la per- sonnifier en la présidant, M. de Lamartine essaya de faire , comme il disait alors , de la grande opposi- tion. Mais l'opposition ressemble à tout autre chose, on la fait comme on peut. Celle de M. de Lamartine ne parut alors ni assez grande, ni assez utile, ni assez nette au centre gauche , à la gauche ou à Textréme gauche. Surtout , les chefs naturels et anciens de ces trois groupes, parlementaires se montrèrent encore moins disposés que ceux de la majorité à livrer leurs troupes au nouveau général qui s'offrait pour les con- duire; mais si M. de Lamartine avait su être plus persuasif, ou si l'opposition avait été plus docile, la révolution de février l'aurait trouvé collaborateur de M. Thiers et de M. Barrot. Libre d'engagements , parce qu'on avait décliné les siens; solitaire, parce que la majorité avait ajourné son alliance officielle, et que l'opposition Tavait refu- sée; étranger à la diœction des affaires et des partis, soutenu d'ailleurs par son talent, si peu pratique qu'il fût; prôné, sinon popularisé par tous lès journaux, acquis et conservés par les égards habiles et tou- jours flatteurs d'une grande renommée littéraire, M. de Lamartine, séparé des hommes et des idées , poursuivait ou attendait nul n'aurait su dire quoi, ni ^ Lamartine, HhU de la révolution de 4 848, liy. I, ch. yii et viir. LIVRE TROISIÈME. 4S5 lai non plus, marchant et parlant dans Fisolement et dans les ténèbres. VIII. Tant d'ambition , de mobilité et de tarbutenoe réunies dans les partis et dans leurs chefs ; des légi- timistes manœuvrant et votant avec des républicains; des républicains combinant des plans d'avenir pvec des royalistes; des hommes prêts pour tout, même pour r inconnu : de tels éléments rendaient le manie- m^t des institutions parlementaires plein de périls , dans un pays où les mœurs publiques n'étaient pas formées , et où la majorité elle-même , ayant assez du poids de son propre rôle , ne pouvait pas , sans suc- comber^ se charger encore du rôle d'autrui. . Quoique la majorité conservatrice représentât ce qu'il y avait de plus intelligent et de mieux réglé dans l'esprit politique, en France, il était impossible qu'elle ne reflétât pas aussi , dans une certaine mesure , l'in- décision, la tiédeur et la mobilité des mœurs pu- bliques. Le parti conservateur empruntait à l'esprit général de la bourgeoisie des tendances un peu étroites, âpres et égoïstes. Dans une société oligarchique, les classes qui sont en possession du pouvoir n'ont qu'un moyen de le conserver et de le faire excuser, c'est de l'exercer surtout dans l'intérêt de ceux qui ne l'ont pas. M. Gui- zot, qui avait à un éminent degré le sentiment de cette grande politique, l'exprimait au banquet de Li- f16 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. sieox^ en disant : « Tout pour le peuple, sincm tcml par le peuple. » Cest ainsi que gouverna TarifitDcralie romaine , et que gouverne Taristocratie anglaise. Le peuple soutient tous les gouvernements qui le sou- tiennent; et rhistoire lui a prouvé qtie le n^eur moyen de faire ses affaires , ce n'est ps» toujours de les faire lui-m^e. La bourgeokie française j et c'est par. là surtout qu'elle s'est montrée dépourvue de Tesprit politique , ne comprit jamais bien et ne pra- tiqua jamais largemrat cette intelligente générosité. Colbert lui-même ne réussit à lui faire abattre que le tiers environ des douanes intérieures , et elle eût ren- versé le plus grand ministre , pour un peu plus ou un peu moins de droits protecteurs sur les huile» on sur les. sucres. Ce qui manqua surtout au parti conservateur, c^est la foi dans son principe, et la ré^ution dans sa Uà. Dans le pays et à la Chambre, où il était le mattre, il se laissait déborder par la turbulence et- par les da- meurs de l'opposition. Lui qui souffrait les autres, il semblait s'estimer heureux qu'on le souffHt. Sa contraance réservée, timide et taciturne, en ^Mse d'ad- versaires bruyants , hardis et bavards , lui donsaît , a»x yeux de la multitude, un air consterné et vaincu. Il ne savait et n'osait défendre ni ses chefe , ni ses orateurs , ni lui-même. C'est principalement M. le comte Duchàtel qui avak eu la charge et le mérite de former et de disdpiiner cette majorité ; tâche longue, délicate, ingrate, dans LIVRE TROISIÈME. 4Srr laq«dle c'eàl été courir b chance d'écbou^, que de pandtre avoir réussi. M. Duchâtel était l'homme de cette œuvre, et per- sonne ne Tavait encore faite comme lai. De mœurs dcmces, d^un caractère bienv^llant, d'une parole fiette et fiatcil^ , il captivait par son bon s^s ceux qu'il avait attirés par sa franchise. Sa probité le défendait d^ abus, sa grande fortune le défendait des soup- çons. A la tribune , il avait le talent de cette situation et de ce caractère. Sa parole, également empreinte d'honnêteté, de malice et de bonhomie, cheminait droit à travers les sophismes , écartait les objections d'un revers d'^igraibme, et envoyait sa vérité barbelée au Imt visé d'un regard sur. Moins admiré que M. Guîzot, il était peut-être plus aimé; mais cette faveur plus grande de Fun profitait aux idées et à Pinfluence de l'autre , par Tétroite communauté de vues et d'efr forts qui les unissait tous les deux. M. le comte Du- cMlel fut, coBuaae M. Guizot, Tun des ministres qui rehaussèrent le plus le gouvernement de juillet. Il n'est pas de régime au-dessus de tels hommes. Au -pouvoir, personne ne les surpassa par les services; hors du pouvoir , ils ont surpassé tout le monde par la dignité. Cette majorité avait eu comme une longue enfance. Lmte à se former, prompte à se dissoudre, elle avait marché à tâtons, comme le gouvernement loi-même, prenait un peu plus de confiance, d'expérience et de force à diacune de ses étapes, sous des che& 4S8 ' CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. diversement doués et renommés , qui furent comme autant de chapitres de son histoire : Jacques Laffitte, Casimir Périer , maréchal Soult , duc de Broglie j comte Moléy M. Thiers et M. Guizot. Jacques Laf&tte , enfant de ses œuvres, entré jeune chez le banquier Perregaux , n'apportait pas au pou- voir une doctrine politique. Hôte et Mécène des am- bitions et des véhémences libérales, il s'était plus que tout autre habitué et lié aux idées et aux hom- mes d'agitation. S'il était, par cette position, le pre- mier ministre désigné et nécessaire de la^monarchie sortant des barricades , il devenait par cela même le ministre le plus dangereux et le plus impuissant de la monarchie aux prises avec les- factions exigeantes et déchaînées. Cette deuxième tâche , bien plus dif- ficile que la première, n'exigeait pas seulement une âme fortement trempée; elle exigeait, chose rare, un homme populaire, prêt à faire à l'ordre le sacri- fice de sa popularité. Le régime naissant posséda cet homme : c'était Casimir Périer. D'origine bourgeoise, comme Laffitte, mais d'un esprit et d'un caractère vraiment politiques, Casimir Périer fut en France , comme George Canning en An- gleterre, un type élevé et noble de bon sens, d'auto- rité et de conservation. D'autres ministres de Louis- Philippe ont conservé le pouvoir plus longtemps que Casimir Périer, et l'ont exercé avec plus d'éclat : au- cun n'a dépensé , dans une tâche plus délicate et plus difficile, un plus grand et un plus ferme cour9ge. LIVRE TROISIÈME. 429 Jusqu'au ministère de Casimir Périer, la monarchie de Juillet fut un problème; par sa lutte et par sa victoire , Casimir Périer en fit une institution. Si Casimir Périer s'était borné à faire ployer la démagogie sous le pouvoir régulier, i] aurait déjà accompli une œuvre utile; mais il avait fait bien plas encore : il avait, en donnant avec succès l'exemple du courage , honoré la résistance au désordre et po- pularisé le devoir. Dans les luttes avec les idées ré- volutionnaires, c'est surtout la première bataille qui coûte; et on l'a toujours gagnée à demi, dès qu'on s'est résolu à la livrer. Ce fut la gloire de Casimir Périer d'avoir rendu à un pouvoir traîné dans les défaillances populacières sa fierté et sa dignité natu- relles. La monarchie de Juillet marcha quinze ans dans cette voie , et elle n'a péri que pour en être sortie un jour. La conscience publique n'est jamais injuste pour de tels esprits. Au nom de Casimir Pé- rier, resté une année à peine au pouvoir, elle a atta- ché la mémoire d'un grand ministre. L'exemple de Casimir Périer prouva bien que le talent lui-même n'est pas tout dans les affaires hu- maines, et que la plus nécessaire qualité de ceux qui les mènent, c'est peut-être l'intrépidité dans le bon sens. Cette majorité, qu'un marchand avait faite, et à laquelle il avait soufflé l'esprit de gouvernement et la confiance en elle-même, un philosophe, un lettré , M. le duc de Broglie , ne réussit pas à la conserver intacte dans ses mains. 9 130 CHUTE DU BOl LOUIS-PHILIPPE. Avec des qoalités éminentes , M. le duc de Broglie ne nwntra pas celles qui étaient les plus utiles, en un temps comme le sien. Son esprit a plus de portée que • de rapidité, et son caractère plus de hautear que de r^olutioD. Sa pensée, méditative et solitaire, lui fournil les bonnes raisons, mais quand la discussion est close. Il trouve peu, se décide rarement, et n'exécute jamais. Il eût été bon conseiller, avec de la réflexion; il fut ministre médiocre, avec le goûtda pouvoir. Sorte de moine daus le monde , le penchant à l'idéal et à l'abstrait lui ôla l'action sur les houmes et l'influence sur les choses. Homme hono- rable d'ailleurs, et possédant l'espèce de courage la plus rare , celui qui survit à l'espoir. Moins savant , moins profond , moins disert , l'il- lustre maréchal Soult aida plus efficacement la monarchie de Juillet que M. le duc de BrogHe. Sa gloire, si grande et si nationale, se faisait aisé- ment accepter de tous, et il laissait les autres briller, ne se réservant que de servir. On suivait avec confiance ce noble soldat, certain que sa route menait toujours au respect du pouvoir, et qu'avec lui on ne rencontrerait jamais le désordre sans le vaincre. Et tel est le lustre qui s'attache en France, dans l'opinion publique, à toute doctrine qui a pour ob- jet la défense et la consolidation du pouvoir, que cette doctrine, après avoir donné une grande sitoa- tion politique à M. le maréchal Soult, qui n'était LIVRE TROISIÈME. 13* qu'une gloire, en donna une plus grande encore à M. le comte Mole, qui n'était qu'une surface. Homme naturellement distingué, de grandes et de nobles manières, poli, adroit, fin, bienveillant, M. le comte MoIé, avec toutes les qualités qui sédui- sent et qui mènent les hommes , manquait de celles qui pénètrent et qui dominent les choses. Venu à une époque remarquable , difficile et dangereuse par la multitude et par l'encombrement des problèmes, il semblait ou n'avoir pas cru nécessaire de les étudier, ou n'avoir pas réussi à les comprendre. Il ne possé- dait pas d'ailleurs cette haute et puissante raison, qui met quelquefois un homme de loisir au-dessus d'un homme d'études. Ses qualités, qui lui eussent donné un grand empire à une époque calme sous un régime de tradition et de mœurs douces, le lais- saient donc un peu désarmé sous le régime de lutte et de pugilat né de la Révolution, et aggravé par les habitudes parlementaires. Il y montrait de la sérénité et du courage , mais pas autre chose. Sa politique manquait de lendemain, et ses discours n'avaient qu'une phrase. Néanmoins, et malgré de tels désavantages, au milieu de partis rivaux qui avaient pour eux les maîtres de la parole, M. Mole, aidé de M. le comte deMontalivet, homme honnête, pratique et d'un grand sens, soutint, en 1837, une lutte mémorable qui constitue la partie saillante et même glorieuse de sa vie. Dans cette lutté, M. Mole soutenait l'indépen- 9. 432 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. dance de la couronne contre une coalition parlemen- taire. En général, les partis politiques, entraînés par les préjugés révolutionnaires, ou abusés par l'exemple de FÂngleterre, sans application parmi nous, s'obs- tinent à ne pas comprendre que ce qu'il y a de plus réellement populaire en France, surtout depuis que la liberté est assurée, c'est le pouvoir. La presse routinière a beau sonner l'alarme, tout le monde est parfaitement con vaincu qu'on ne rétablira jamais ni les dîmes, ni les droits féodaux, ni les prérogatives de la naissance , ni les lettres de cachet. Pleinement rassuré du côté de l'absolutisme , le pays se serre au- tour du pouvoir, afin de se garantir de l'anarchie. Le pouvoir est-il faible, vacillant, sans avenir , les esprits s'inquiètent et les intérêts s'effrayent. Le pouvoir est-il fort, résolu, assuré, les esprits s'enhardissent et les affaires se développent. Sans trop soupçonner peut-être ce qu'elle avait de grand, M. le comte Mole eut la bonne fortune de défen- dre une telle cause. Au fond , l'expérience le montra plus tard , il avait à peu près au même degré que ses rivaux les préjugés et les prétentions parlemen- taires; mais les circonstances lui ayant donné la li- berté du trône à défendre , il s'en fit le champion ha- bile et résolu. LUnstinct monarchique du pays lui tint compte de ce courage, et la reconnaissance de l'opi- nion publique fut si grande, qu'elle pardonna à M. le comte Mole d'avoir été lui-même la première cause LIVRE TROISIÈMB. 433 de la coalition. En effet, sous un gouvernement comme celui de 1830, les majorités parlementaires n'avaient un sens, un but et une sanction qu'à la condition d'être représentées au pouvoir par leurs chefs les plus éminents. Or, le ministère du 1 5 avril i 837, formé surtout de pairs de France, n'avait dans son sein aucun député considérable. Les chefs natu- rels de la majorité avaient donc raison de réclamer la satisfaction et l'influence qui leur étaient constitu- tionnellement dues. Leur tort, tort immense, fut de poursuivre cette juste satisfaction par la voie de l'a- gitation extérieure, et de l'obtenir moins encore d'un ministère brisé que de la royauté vaincue. IX. Des luttes qui amenèrent la monarchie de Juillet et de celles qui la consolidèrent sortirent deux hom- mes particulièrement doués , qui en résument l'agi- tation, l'esprit et l'histoire : M. Thiers et M. Guizot. Quoique essentiellement divers par le caractère , et presque toujours opposés par la politique, M. Thiers et M. Guizot s'expliquent néanmoins l'un par l'autre. Né dans une famille calviniste, qu'avait frappée la hache de la Révolution ; nourri, enfant, des étu'des et des idées de Genève; mûri, jeune homme, par les derniers salons que le dix-huitième siècle avait légués au nôtre, M. Guizot a conservé dans les habitudes privées et porté dans les affaires publiques la double 434 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. et profonde empreinte du foyer et de l'éducation. Il sembla devoir aux malheurs immérités de la famille la haine instinctive du désordre; aux doctrines et aux méditations religieuses la gravité des mœurs et du langage; à la pratique d'un monde élégant et poli des façons simplement grandes et naturellement dis- tinguées. Privé des enseignements de la famille, chargé du mince bagage du collège, entré dans le monde par la chambre d'étudiant , et dans la politique par le cabinet de lecture, M. Thiers, à l'âge où l'intelli- gence a besoin de guide et l'âme de sauvegarde , n'a- vait trouvé , ni en lui , ni autour de lui , ce qui mûrit la raison et ce qui élève le caractère; et il était forcé de faire sa carrière , sans avoir eu les moyens ou le temps de faire son esprit. Aussi voyez quelle disparité profonde sépare, dès leurs premiers pas , deux hommes qui devaient , toute leur vie , faire la même chose , mais la faire si diffé- remment ! Tous les deux se jettent d'abord dans l'his- toire ; mais M. Guizot choisit l'histoire qui lui donnera la science, M. Thiers celle qui lui donnera le pouvoir. L'un marche au succès par la raison, l'autre par l'habileté. Animé de la noble et ardente passion du pouvoir, M. Ouizot parut néanmoins mettre toujours au second rang les moyens qui le donnent , et au premier les facultés qui le conservent. On peut quelquefois compter sur le hasard ou sur le bonheur pour le sai- LiVBE TROlSIÈMfi. 435 sir; mais il ne faat jamais compter que sur le mérite et SUT le talent poor le garder. M. Guizot demanda donc patiemment à rhisCoire des législations et des empires comment les peuples se développent , pour apprendre comment ils se go»- vement. Il n'avait, dans ce labeur solitaire, ni parti à flatter, ni préjagés à ménager, ni poipularifé à con- quérir. Sa raison , libre dans son essor, démêlait avec netteté la marche des choses , en même temps qu'elle ajoutait, par ce travail austère, à son élévalion, à sa force et à sa moralité. L'étude de Faction qae le christianisme et la royauté exercèrent sur le chaos du moyen âge, eut vue d'y £aiire pénétrer la lumière et Tordre, lui apprit que l'organisation et la grandeur de la France furent presque toujours l'œuvre d'un pouvoir fort et concen- tré. L'étude des voies suivies par la civilisation et des résultats qu'elle amène lui montra que ce qu'on nomme le progrès des institutions se réduit à l'em- pire toujours plus étendu et plus ferme de la morale; et que tous les gouvernements réguliers, pour n avoir pas le même nom, n'en ont pas moins la même charge, qui est de conduire les hommes vers leurs fins. C est ainsi préparé et armé que M. Guizot entra dans la politique. Aussi ardent, et encore plus infatigable à la pour- suite du pouvoir, M. Thiers sembla toujours ou s'être épuisé à l'atteindre, ou en avoir perdu le goût par la possession. Il passait les années à le désirer, les mois 436 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. à le conserver. Arrivé deux fois au rôle de ministre dirigeant, en 1836 et en 1840 , il le garda six mois la première fois , sept mois la seconde * . Cette véhé- mence dans la recherche du pouvoir, jointe à cette impuissance dans son exercice, montre bien que M. Thiers avait pris , pour y arriver, les voies qui en rendent l'usage stérile ou impossible. Comme un écolier choisit le nom le plus célèbre pour sa première tragédie, M. Thiers choisit, pour son premier livre d'histoire, le sujet le plus grand, mais le plus difficile, la Révolution française. Le sa- voir lui manquait pour se préserver des erreurs , la maturité pour se préserver des sophismes; il n'y avait d'ailleurs , à cette époque , ni des documents réunis pour faire une bonne histoire de la Révolution fran- çaise , ni des esprits préparés pour la recevoir. Allié aux partis qui marchaient, par toutes les voies, à la conquête du pouvoir, il en porta dans ses travaux les passions et les principes. Son but n'était pas, en écrivant le récit de nos tourmentes civiles, de démê- ler les égarements des progrès , et de faire au passé la justice que lui doit l'avenir. Il cherchait dans les anciennes luttes des armes pour les nouvelles. Son esprit se complut dans l'apologie de tous les ambi- * Le cabinet du 22 février 4836, dans lequel M. Thiers avait les affaires étrangères et la présidence du conseil , fut remplacé par celui du 6 septembre de la même année. Celui du i^^ mars 1840, dans lequel M. Thiers avait la même situation , fut remplacé par celui du t9 octobre. LIVRE TROISIÈME. 137 tieax en révolte contre la société ; et une œuvre de longue haleine , dans laquelle s'était égarée une in- telligence active, fertile et puissante, devint un arse- nal pour les factions et un drapeau pour les émeutes. Serviteur d'une dynastie qui avait à la fois les périls de son origine et les difficultés de son œuvre, M. Gui- zot apporta dans sa tâche les lumières d'un homme d'Etat et le dévouement d'un bon citoyen. Cette dy- nastie était un peu isolée dans le pays, étant venue contre le vœu de la noblesse, sans venir par la voix du peuple : M. Guizôt travailla dix-huit ans à grouper autour du trône une classe moyenne pénétrée de son esprit, artisan de sa force, solidaire de ses desti- nées. Cette dynastie était un peu dépouillée de ce prestige que les rois puisent dans la longue possession du gouvernement, ou dans la grandeur de leurs ser- vices : M. Guizot s'appliqua sans cesse à relever, dans la pensée du pays, le roi, sa famille, les augustes et nécessaires fonctions des races royales. Il affectait le langage de la monarchie, pour en répandre les mœurs. Enfin cette dynastie était un peu laissée à l'é- cart de l'intimité des maisons souveraines : M. Gui- zot chercha, dans la communauté des intérêts euro- péens, des occasions au rapprochement des couronnes : défendant la dignité du souverain partout où il la croyait engagée, dans l'isolement comme dans les alliances. Les rudes et perpétuels efforts que coûtèrent à M. Guizot la pratique et la défense du régime parle- 438 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. mentaire lui en avaient révélé plus qu'à personne les difficultés et les dangers : on peut supposer néanmoins^ qu'il n'avait pas soupçonné que ce régime , dont il restera parmi nous l'excuse et la gloire, ferait contre lui une émeute de trois jours et demanderait sa tête. Durant une longue carrière, M. Guizot ne cher- cha l'éclat et la force que dans Téclat et dans la force des institutions. C'était agir en homme d'État et en homme de sens. L'histoire prouve qu'il n'y a jamais de grands ministres que sous les grands gouverne- ments. Bien différent était M. Thiers : voué au culto ex- clusif et intolérant de son influence personnelle, il fit dix ans une guerre insensée à la royauté, dont il voulait usurper le pouvoir , ou , ce qui revenait au même , dont il voulait soumettre la prérogative à cette opinion vaine et factice, fouettée soir et matin par la verge de ses journaux. S'il avait possédé enfin cette autorité si follement poursuivie , qu'en aurait-il fait? Nul ne saurait le dire , car ses idées défiaient toute définition. La carrière politique de M. Thiers est caractérisée par ce fait, qu'il a pu être naturellement et qu'il a été le ministre de tout le monde, le ministre des con- servateurs et celui de l'opposition. Il a fait l'œuvre extrême des conservateurs, les lois de septembre; et il a voulu l'œuvre extrême de l'opposition ^ la ré- forme. Il a accordé au. roi les choses les plus délicates, la régence de M. le duc de Nemours et les fortifica- LIVRE TROISIÈME. 439^ bons de Paris ; et il a machiné centre le roi les choses les plas viol^ites , la coalition et les banquets. 11 a été successivement pour et contre la réforme parle- mentaire; il a parlé successivement pour et contre la puissance maritime de la France. On ne trouve ni dans ses discours , ni dans ses livres aucune doctrine générale; on trouve dans sa conduite une foule de systèmes contradictoires. Il semble personnifier la fantaisie de la domination et le sensualisme du pou- voir. C'est le Danton d'un régime pacifique. lia l'ha- bileté des petites choses; il manque du sentiment des grandes. Historien , il n'a pas compris Napoléon P*" ; homme d'État, il n'a pas compris Napoléon III. Il n'a pas cru sérieusement le deuxième empire possible, parce qu'il n'avait pas vu le premier nécessaire. A trois années de distance , il a été emporté par deux révo- lutions, sans les soupçonner, même la veille. A la tribune, M. Thiers était surtout abondant, disert et conteur. Le journalisme batailleur de son temps lui avait laissé l'habitude et le goût de la po- lémique. Il parlait longuement, facilement, se tenant à la surface des choses , se plaisant et s'égarant dans les détails. Il avait des mots vifs et heureux, qu'il dé- veloppait comme des idées. Il persuadait rarement, il n'entraînait jamais , mais il plaisait toujours. Il ne s'élevait guère, soit pour la pensée, soit pour le 6tyle> au-dessus de la r^ion de ses auditeurs. C'était l'orateur des intelligences et des classes bourgeoises. Ses discours , étrangers aux grands principes de la 140 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. religion, de la morale et de F histoire, ne s'adressaient qu'aux hommes et aux passions du jour. Ils ont oc- cupé dans la politique plus de place qu'ils n'en auront dans les lettres, car il faut les feuilleter longtemps pour y trouver une idée à méditer ou une page à lire. Ce ne serait pas assez de dire que M. Guizot sur- passa , comme orateur, les membres les plus célèbres de nos assemblées politiques; il faut dire encore qu'il égala souvent, dans ses discours, les plus beaux mo- dèles d'éloquence que nous aient légués les anciens. Si l'on veut faire équitablement la part des renom- mées oratoires les plus applaudies de l'Assemblée constituante et de la Convention, on trouvera qu'elles restèrent au-dessous des questions et des événe- ments. Les discours de Mirabeau, de Barnave, de M aury , de Cazalès , de Danton , de Vergniaud , de Robespierre, ont été recueillis ; et quoique ces pages , méditées dans le cabinet et généralement écrites, fus- sent lues à la tribune par leurs auteurs, le fond en est habituellement vague, chimérique, et la forme ampoulée, incorrecte et déclamatoire. Ces discours n'ont pas résisté à l'épreuve décisive du temps. On peut les consulter encore comme œuvres de parti ; on ne les lit pas comme œuvres d'art. C'est un fait curieux à méditer; à mesure que les époques perdent en hasards et en violences , les esprits gagnent en élévation et en fécondité. Il semble que le calme des choses soit nécessaire au déve- LIVRE TROISIÈME. Ul loppement des idées , car c'est surtout lorsque les événemeuts deviennent petits que les orateurs de- viennent grands. Il est manifeste que Robespierre, Yergniaud, Danton, Barnave, Mirabeau, orateurs des temps agités de la Convention et de la Constituante, n'atteignirent pas le niveau auquel s'élevèrent, après eux, Laine, Royer-Collard, Chateaubriand , orateurs des temps paisibles de ta Restauration. Il n'est pas moins vrai que ces hommes eux-mêmes, quoique jus- tement célèbres, ne composaient pas aussi bien le discours parlementaire et n'occupaient pas aussi for- tement la tribune que M. Berryer, M. de Lamartine, M. Thiers et M. Guizot. Les quarante années du gouvernement de discussion qu'a eues la France ont. été une école féconde, au sein de laquelle s'est formé un genre qui manquait à notre littérature; et M. Guizot est, à nos yeux, l'expression la plus complète des progrès opérés parmi nous par l'éloquence politique. M. Guizot apportait à la tribune une manière de combattre pleine de calme, de vigueur et de dignité. Il ne faisait jamais de la polémique; il laissait l'homme à l'écart, et marchait droit à l'idée. Comme le ré- tiaire antique, enlaçant dans les plis de son filet le gladiateur de Tarène, M. Guizot enveloppait son ad- versaire dans quelque belle et large question. Quand la question était résolue, l'adversaire était oublié. Toujours établi dans ces régions hautes et sereines, oii se plaisent l'aigle et la raison, mattre du terrain et de lui-même, M. Guizot ne prenait à l'opinion M% CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. €00 traire qu^une occasion et un sujet d'exposer la sienne. Il versait, à pleines mains, dans les thèses politiques, les trésors de son savoir; et cet auditoire^ accouru aux émotions matérielles d'une lutte, il le renvoyait ébloui et transfiguré par un enseignement. Si cette manière de dominer le débat , tout en l'é- levant, était féconde et magistrale, les armes étaient dignes de Tathlète, par la matière et par la trempe. Ses principes , ses faits , ses arguments étaient tou- jours puisés, comme chez les maîtres, aux sources pures de la religion, de la morale et de Thistoire. Sa phrase touchait en passant, et seulement du bout de son aile, aux cabales contemporaines; et ses beaux discours étaient de ces pages de bronze , qui ont le présent pour auditoire et l'avenir pour juge. Pour savoir exactement ce qu'il y a dans M. Gui- zot d'éclat, de charme et d'empire, il faut l'avoir vu à la tribune. Ses livres eux-mêmes ne le contiennent pas tout entier. Quand il écrit, la solitude et le si- lence le laissent clair, correct et calme; mais quand il parle, le spectacle, le bruit, l'attente l'entraînent, le colorent et le passionnent. Il est solennel dans le cabinet, et intime à la tribune. Il met sa4*aison dans ses ouvrages ; mais son âme n'est que dans ses dis- cours. Plusieurs d'entre eux resteront de nobles et d'impérissables modèles ; et les générations à venir envieront à la nôtre le bonheur de les avoir enten- dus de sa bouche. Il manquerait à ce parallèle sa conclusion pratique LIVRE TROISIÈME. 443 «t sa moralité, si nous ne rappelions pas raccueil que M. Thiers et M. Guizot trouvèrent au milieu de leurs contemporains» Homme d'expédients, léger, variable, agitateur, M. Thiers conserva toujours, même dans ses chutes €t dans ses désastres, un grand empire sur Topinion. Homme de principes , ferme , conséquent , monar- chique, M. Guizot ne fut jamais populaire, même dans son éclat et dans son triomphe. Cette différence n'est pas seulement Taccusation éternelle de la légèreté humaine, qui glorifie Alci- biade et qui bannit Aristide. Elle s^expliqùe aussi par la diversité du rôle que M. Thiers et M. Guizot s'étaient tracé. « M. Thiers se mettait à la suite des idées; M. Gui- zot se mettait à leur tête. M. Thiers flattait les ca- prices de l'opinion, dans l'intérêt de son influence; M. Guizot résistait à ses entraînements, dans l'intérêt de l'ordre. M. Thiers avait surtout en vue sa per- sonnalité; M. Guizot avait surtout en vue sa patrie. Le public se méprenait étrangement sur ces deux hommes; mais M. Guizot attendait la justice de la raison publique, tandis que M. Thiers se la décer- nait lui-même dans ses journaux. Cette différence dans l'accueil que M. Thiers et M. Guizot reçurent d« leurs contemporains sera sans influence sur les hommes d'État de Tavenir. A la conduite qui donne la célébrité, on préférera toujours celle qui donne la gloire. 444 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. X. Tels étaient les partis et les hommes qui avaient dans leurs mains le sort de la monarchie de 1830. Ils pouvaient la consolider par leur concorde, ou l'ébranler par leurs divisions. Quoique divers d'origine et de tendance, la peur du désordre les avait longtemps réunis. Quelques- uns avaient trouvé dans les institutions de Juillet le triomphe de leurs idées; tous y avaient trouvé la sécurité de leurs intérêts. Le sentiment de la défense commune les avait groupés autour du trône, jusqu'à ce qu'il fût à l'abri des atteintes des factions. Mais c'est juste au moment où la monarchie de 1 830 n'avait plus rien à redouter de ses ennemis que ses véritables dangers commencèrent. Tous ceux qui avaient contribué à sa force par leur union vont l'affaiblir par leurs rivalités, jusqu'à ce qu'ils la bri- sent par leurs luttes. Entièrement maîtres du présent, ils auront, devant l'histoire, toute la responsabilité de l'avenir. LIVRE QUATRIÈME. LES BANQUETS. AGITATION FACTICE DE l'OPINION. Découragement des ambitieux , à la suite des élections générales ; — ils veu- lent arracher le pouvoir à la majorité par des violences extérieures. — M. Duvergier de Hauranne imagine les Banquets. — M. 0. Barrot lès ap- prouve.— Ligue des dynastiques et des républicains. — Ils agitent la France en commun. — M. Thiers et M. de Lamartine s'abstiennent. — Pourquoi. — Indifférence du pays. — La réunion des Chambres ravive les querelles. — Banquet de Paris. — Le ministère s'y oppose. — L'opposition accepte un compromis et renonce au banquet. — Les révolutionnaires passent outre. — Convocation factieuse de la garde nationale et du peuple. — Rôle de M. Marrast. — Inutilité âe la retraite de l'opposition. — L'agitation con- tinue.— Les dynastiques moins modérés que les conspirateurs. — M. Barrot approuve l'émeute. — M. Ledru-RoUin et M. Louis Blanc la blâment. — État des esprits la veille de la révolution. — Mensonges sur la révolution de Février. — Il n'y a pas eu de lutte. — Les républicains ne croyaient pas à la possibilité de la république. — Le peuple de Paris n'a nommé aucun gouvernement provisoire. — Effets de ces mouvements sur TopiDion , en France et en Europe. I. L'année 1847 venait d'inaugurer pour les ambi- tieux une période effrayante. Les élections récentes , la discipline d'une majorité sans exemple, avaient rajeuni le ministère. Les espérances des partis, pour si tenaces qu'elles fussent, pouvaient difficilement résister à l'épreuve d'un horizon sans limites. Parmi ces ambitieux, les plus ardents apercevaient à peine le but, désormais si loin d'eux. Plusieurs n'avaient plus les moyens, quelques-uns même n'avaient plus le temps de l'atteindre. 10 ■■ '^ ^ ■ 146 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. La session, employée presque uniquement à disci- pliner la nouvelle chambre, sortie des élections géné- rales, avait montré la force irrésistible de la majorité, expression fidèle de la solidité et de l'avenir que le corps électoral croyait trouver dans les institutions. Dans beaucoup de collèges jusqu'alors voués à l'op- position, les électeurs avaient voulu se rattacher à un gouvernement si stable. Le triomphe que la diplo- matie française venait d'obtenir en Espagne, par le mariage des deux filles de Ferdinand VII, dont l'une s'asseyait sur les marches du trône de Louis-Philippe, quelque discutable qu'il pût paraître au point de vue de la révolution de juillet, donnait, en Europe, au gouvernement du roi l'attitude la plus ferme qu'il eût essayée jusqu'alors. Le ministère avait donc de la sé- curité au dedans, de l'éclat au dehors; c'était, comme nous disions, effrayant pour ses héritiers. M. Mole avançait en âge; l'impatience lui avait donné un langage plein d'aigreur; et cette attitude nouvelle avait fait pâlir l'auréole qu'il devait à sa •courageuse lutte contre la coalition. M. Thiers, condamné à l'immobilité, sinon au si- lence, depuis qu'il avait mis son navire sur un ro- cher où la tempête devait venir le mettre à flot, pro- menait un regard dépité sur l'onde unie, et prêtait l'oreille à un aquilon absent. M. Odilon Barrot pliait et s'ennuyait, sous le poids de sa gravité et de son impuissance. Cette situation paraissait sans issue et la durée du LIVRE QUATRIEME. 447 ministère sans terme. Il allait commeocer sa huitième année, pins homogène et plus fort que jamais ; et le roi 9 qui vieillissait, pouvait avoir la pensée déména- gera la fin de son règne Tappui d'hommes honnêtes, dévoués et capables, dont les principes et les actes venaient d'être sanctionnés solennellement par le corps électoral. Un tel état de choses mettait le régime parlemen- taire à une épreuve décisive. Si la minorité était véritablement animée d'un esprit constitutionnel , si elle n'avait en vue que le triomphe de ses idées, par le jeu régulier des institutions , elle devait attendre que la discussion, Texpérience et le temps eussent ramené le corps électoral. Si, au contraire, cette mi- norité n'était que Tassociation momentanée de trois ou quatre variétés d'ambitieux, poursuivant, par toutes les voies praticables, Taccomplissement de leurs desseins; dévoués au régime parlementaire dans la mesure de l'importance qu'il donne, et ap- partenant, par avance, à tout gouvernement possible, à la condition d'y être les premiers, elle ne devait pas tarder à essayer de reprendre, révolulionnaire- ment et de haute lutte, la prépondérance que le corps électoral lui refusait. L'opposition se trouvait donc , après la session de 1847, dans la position où était, en 1792, le parti de la Gironde^ après la sortie du ministère de Ro- land, de Servan et de Clavières. Se résignerait-on à la perte du pouvoir? Préparerai l-on , pour le ressai- 10. HS CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE, sir violemment, l'insurrection du 20 juin, avec la résolution d'aller, s'il le fallait, jusqu'à celle du 10 août? Questions redoutables, mais naturelles, dans la situation que la composition de la chambre avait faite à l'opposition constitutionnelle, et dont la solu- tion contenait, en 1848, comme en 1792, la consoli- dation ou la chute du système parlementaire. Soit que l'opposition eût accepté la solution révo- lutionnaire du problème , soit plutôt que la violence de ses passions l'eût aveuglée sur les suites logiques de sa folle conduite , elle résolut de transporter le débat, du sein du parlement, où la raison do pays était contre elle, au sein des multitudes, où l'agita- tion, le désordre et l'imprévu pouvaient lui susciter des auxiliaires. Mais, cette résolution prise, il fallait encore, pour l'accomplir avec succès, un esprit industrieux, re- muant, acharné après le but, et parfaitement indiffé- rent sur les moyens. Cet esprit se trouva dans les rangs de l'opposition constitutionnelle : c'était M. Du- vergier de Hauraone. IL Corps disgracié et maladif, caractère inquiet et mobile, personnalité fiévreuse et violente, talent médiocre, M. Duvergier de Hauranne a toor à tour LIVRE QUATRIÈME. H9 épousé et quitté tous les partis, avec le même em- portement. Il s'enrôla d abord dans ce groupe d'hommes jeu- nes et distingués qu'on nomma doctrinaires, et il combattit contre l'opposition sous M. Guizot. Bien- tôt après , avec cette ardeur de néophyte qui ne s'é- puise jamais en lui, il se fit le verbeux et infatigable propagateur de la constitution anglaise, travaillant à soumettre Tautorité royale à Fautorité parlemen- taire, sous M. Thiers. Puis enfin, si le mot enfin peut être employé à propos de M. Ouvergier de Hauranne, il se jeta, plein d'un saint amour, dans les bras de la république et du gouvernement provisoire , et dé- clara, en termes méprisants, la monarchie constitu- tionnelle une utopie ridicule, sous M. Ledru-RoUin ^ C'est au milieu de son avant-dernier rôle , au mi- lieu de la nouvelle et violente coalition organisée contre la liberté de la couronne , que M. Duvergier de Hauranne conçut l'idée d'agiter systématiquement le pays, à l'aide de banquets tumultueux, et de sou- ^ Nous nous bornerons à ce court extrait de sa déclaration de principes , du 4 6 mars 4 848 : a II y a quelques mois , au banquet de Mâcon , M. de Lamartine , dans un moment d'inspiration prophétique, s'écria que le gouverne- ment de 4 830 périrait par la révolution du mépris. C'est ainsi qu'il a péri en effet, et M. de Lamartine avait raison En travaillant à Vorganisation de la réptd)lique, les hommes comme moi ne nourri- ront aucune arrière-pensée de restauration ou de contre-révolution. Us ont vu les deux dernières monarchies de trop près pour en être trop épris U terrain est déblayé, rien n'empêche d'y élever un édiJBce nouveau. » Circulaire aux électeurs du Cher. 150 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. lever les passions extérieures pour imposer au roi le renvoi d'un ministère que soutenait une nombreuse et loyale majorité. Médiocrement écouté, quand il parle, modérément lu, quand il écrit, M. Duvergier de Hauranne a une merveilleuse verve de prédicateur à domicile et d'a- gitateur souterrain. Il vit, endoctrina et lança M. Odi- Ion Barrot. L'idée adoptée, il fallait lui donner des auxiliaires partout , mais principalement dans la presse. Comme tous les ambitieux pratiquent, sans Tavouer, la maxime de Barbes sur la souveraineté du but, M. Duvergier de Hauranne crut que le plus sûr moyen d'égarer les es* prits et d'enflammer les passions, c'était de s'allier aux révolutionnaires. Il fit des ouvertures aux républi- cains du National. Les offres de ce royaliste , venant proposer à des démocrates de s'unir à lui pour abaisser la royauté, inspirèrent quelque défiance. M. Duvergier de Hauranne fut renvoyé à M. Pagnerre , qui réuiiis- sait chez lui le comité central des électeurs de Top- position, et qui, par des correspondances organisées sur tous les points du pays , tenait dans ses mains les fils de l'agitation universelle. L'occasion était trop belle à saisir pour que les répu- blicains la laissassent échapper. En etfet, pour agiter les esprits, de l'activité ne suffit pas; il faut encore de l'autorité morale. Les amis du National avaient la première; les amis de M. Duvergier de Hauranne apportaient la seconde. Seuls, les républicains au- LIVRE QUATRIÈME. 464 raient effrayé TopinioD publique; mêlés à eux, les royalistes constitutionnels servaient à la rassurer et à jeter des fleurs sur Tabime. Les républicains, abrités sous les amis de M. Duvergier de Hauranne, allaient donc pouvoir surprendre la monarchie et la frapper au cœur, comme les chasseurs indiens, cachés sous la peau de bétes inoffensives, surprennent et frappent les bisons des grandes prairies. Dans cette œuvre ténébreuse et simoniaque, où les dynastiques livraient Tarbre pour le fruit, toute la sincérité fut du côté des ennemis du trône. Voici le témoignage irrécusable du secrétaire du comité des Banquets : (( Il n'y eut de part et d'autre aucune surprise. Les radicaux disaient à MM. Odilon Barrot et Duvergier de Hauranne : Aujourd'hui , notre but unique est de vous faire arriver au pouvoir , et , pour cela , nous nous maintiendrons dans le cercle légal ; mais une fois obtenues les réformes qui s'accordent avec notre, triomphe, nous nous réservons de demander au delà. » Nous ne transigeons avec aucun de nos princi- pes ; nous faisons seulement trêve à quelques exigen- ces qui seraient aujourd'hui inopportunes, mais que nous nous promettons de faire valoir plus tard. Notre alliance doit cesser avec votre victoire; alors, vous nous retrouverez en face de vous. )) Le pacte fut conclu en ces termes, et accepté sans restriction*. » < Elias Regnault, Histoire du gotwemetMnt provisoire^ p. 24. a% CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. C'étaient donc les royalistes parlementaires qui transigeaient avec leurs convictions , pour saisir, par la fraude et par la violence, un pouvoir que leur refu- sait la majorité. Les démocrates ne faisaient aucun sacrifice ; ils aidaient à courber la monarchie, en se réservant hautement de la briser. Il est vrai aussi que M. Duvergier de Hauranne et ses amis n'en faisaient pas eux-mêmes de très-grands, puisqu'il a pu écrire, le 16 mars 1848, la déclaration suivante : « Pour concourir franchement, loyalement, à rétablissement d'une république en France, l'ancienne opinion libé- rale n'avait pas beaucoup de sacrifices à faire ' . » III. L'agitation des banquets résolue, il fallut arrêter un programme d'action commune. On décida tout d'abord que les orateurs prendraient pour thème la réforme électorale et parlementaire; idée stérile et maladroite, qu'il fallut bientôt abandonner. Ce qu'on appelait la gauche dynastique n'était pas un parti, mais une cohue, sans autre principe d'union qu'une ligue contre les ministres. Nulle doctrine com- mune sur quoi que ce fût, et bien moins sur une ré- forme électorale et parlementaire que sur toute autre chose. Ses membres n'avaient donc la chance de pa- raître unis qu'à la condition de ne rien discuter. 1 Duvergier de Hauranne , Lettre aux électeurs du Cher, LIVRE QUATRIÈME. De telles paroles, dites à un tel moment, ne veu- lent plus d'examen aujourd'hui. La Providence les a si hantement châtiées, que le jugement des hommes n'ajouterait rien ^ sa sévérité. M. Marrast n'eut pas de peine à percer ces grands et incoririgibles enfants de^ traits de son iroinie. « Quoi que fassent, dit-il, les députés de l'opposition, ils ne peuvent fuir la responsabilité d'une position qu'ils ont eux-mêmes faite. Quoi! depuis six moÀs vous agitez les esprits, vous promenez l'indignation de ville en ville, de hameau en hameau > et lorsque toute la France est soulevée par vos harangues, quand Paris frémissant se remue sonn votre souille, vous prétendez n'être pour rien dans les événements de demain ! vous voulez rejeter sur le ministère la responsabilité des émotions que vous avez créées! LIVRB QUATRIÈME. 475 Qai donc a convoqué le peuple pour dema^a sur la place pi^blique> si ce n'est vous et nous '? Qui a faii appel à la garde nationale , aux écoles , k tous les ci- toyens, si ce n'est vous et nous? Croyez-vous qu'ils vont s'arrêter parce que vous resterez dans vos de- meures? D'abord ils ne le sauront pas; il est impos- sible qu'ils soiei^t prévenus à temps; et quand ils le seraient , ils ne voudraient plus reculer lâchement au dernier monient. Il est trop tard pour les arrêter, il est trop tard pour vous abstenir *. » Tout cela était profondément vrai; niais les dépu- tés de l'opposition se sentaient, pour la pren^ière fois, ()es intérêts distincts de ceux des démocrates. Ils ne voulaient pas être énaeu tiers , ils voulaient être n^inis- tres ; et, pour eux, ce n'était pas marchera la conquête du pouvoir, que de l'attaquer dans les rues. Les alliés des banquets se séparèrent donc à ce moment, prévu par leur pacte. Ils allèrent chacun dans sa voie, selon que les poussaient leurs, instincts; ceux-ci tout à X^^r dace, ceux-là tout à l'ambition et à la peur; les i^ns et les autres dans l'anxiété et dans les ténèbres, et ne perçant pas encore le voile, pourtant si léger, qui leur dérobait l'avenir. La journée du 22 février, fixée pour le banquet de Paris, devait s'ouvrir sous l'impression produite par la convocation incendiaire des pairs, des députés, ^ C'était vrai au fond, puisque les députés avaient d'abord résolu le banquet pour le 22 féviier. ^ Elias RegnauH, J7»>totra du gouvernement provisoire, p. 38. 476 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. des gardes nationales et des écoles. Cette convoca- tion, portée par M. Marrast, dans la soirée du 20, au bureau de rédaction de tous les journaux de l'oppo- sition, fut publiée par ceux-ci, le 21 au matin, moins par connivence que par surprise. M. Odilon Barrot et ses amis, que cette mesure révolutionnaire compromettait aux yeux de tous les hommes sen- sés, eurent beau s'en séparer par une déclaration postérieure , insérée dans les journaux du 22 : cette explication tardive ne pouvait que rester sans effet sur les plans et sur les préparatifs faits la veille. On devait donc s'attendre à voir arriver, au lieu et à Theure in- diqués, c'est-à-dire boulevard de la Madeleine, n**2, à onze heures et demie , les représentants plus ou moins nombreux des divers corps dont on avait publi- quement et comme officiellement sollicité la présence. D'abord, il était naturel de compter sur la pré- sence d'un certain nombre de gardes nationaux. Les hommes les plus éminents, et qu'on aurait dû croire les plus sensés, poussaient ostensiblement la garde nationale à prendre parti contre le ministère. La quatrième légion , après avoir signé une déclaration de blâme contre les ministres, l'envoya à la Cham- bre des députés par un peloton ; et cette déclaration , qui aurait dû amener ses auteurs devant un conseil de guerre, était déposée sur le bureau, par M. Cré- mieux \ M. Dupin, soldat des guerres sourdes , choi- ^ On trouvera plus loin le texte de ceitb déclaration. La mention du dépôt fait par M. Crémieux est au Moniteur du %i février. LIVRE QUATRIÈME. 477 sissait ce moment pour dire qae la garde nationale n'avait jamais manqué à son devoir ' ; et M. de Cour- tais s'écriait : « Osez donc la convoquer, la garde na- tionale*! » Ensuite, il était bien évident qu'une partie de la jeunesse du quartier latin ne manquerait pas une oc- casion si favorable de tapage. Il y avait alors comme un mobilier de deux ou trois cents malheureux jeunes gens , égarés par un enseignement d'illuminés et de démagogues, enrégimentés par deux ou trois habiles, et qui servaient tour à tour aux enterrements et aux banquets de Topposition. Les chefs de parti n'avaient pas honte de traîner ces mineurs, ces en- fants, dans la boue de leurs cabales. Ce groupe n'était pas d'ailleurs le vingtième des fils de famille qui ac- courent, de toutes parts, aux leçons des diverses facultés de Paris; il était surtout bien loin d'en re- présenter l'intelligence ou la distinction; mais on avait soin, le jour des grandes parades, de lui donner le titre général de Jeunesse des Écoles. Il y avait surtout une catégorie de convives sur la présence desquels il n'était permis de conserver au- cun doute : c'était la fourmilière fauve, débraillée, rauque, hideuse des aigrefins, des filous, des soute- neurs de filles , des libérés, des gens n'ayant ni un écu , ni un gtte , ni un espoir, ni un principe , ni un remords. Cette innombrable et immonde vermine, * Moniteur du 23 février. 2 Tbii. 12 ns CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPB. blottie sous le luxe de Paris, comme les crapauds et les vipères sous la feuillée des champs et des bois, s'éveille, s'anime, se secoue les jours d'orage poli- tique, comme si elle était mystérieusement attirée par Todeur cadavérique des^ hommes et des empires qui vont mourir. Enfin, restait la lignée éternelle des badauds, race à Tadmiration insatiable et banale, pour qui tout est spectacle, la douleur comme la joie, la laideur comme la beauté , la iioce qui chante comme le convoi qui pleure, l'hirondelle qui gazouille dans la nue comme le chien qui barbote dans le ruisseau. Or, avec suffisante quantité de gardes nationaux sans esprit, d'étudiants sans expérience et de voleurs sans argent, entourés, suivis et grossis par les my- riades de badauds , disponibles à toute heure , on a toujours sous la main, à Paris, le personnel d'une émeute, et même, au besoin, d'une révolution. IX. Si la réunion ne pouvait pas se promettre, du moins avec la même certitude, les pairs et les dépu- tés annoncés dans le programme, elle pouvait tou- jours se vanter d'avoir pour elle le patronage avoué de l'opposition constitutionnelle. L'altitude de le Chambre des pairs, durant ses der- niers jours, fut calme, digne, presque douloureuse. Ce n'est pas que les passions parlementaires n'eussent, LlVRB OtJAtRiÈMÉ. 479 là auôsi, letir foyer; itiais elles y étaieht contenues par plus de mataHté et d'expériebc». La plupart de ces nobles vieillards avaieiit tu de trop près et trop souvent les révolutions , pour nfe pafe les re- counaitre sous leurs déguisements lès plus habiles. Deux voix rompirent seules ce concert dé modéfa- iiou et de sagesse : celle d'où pair nomtné, dont le jugement n'avait jamais paru bien sûr, et celle d'un pair héréditaire, qui n'a pas su reconquérir par le mérite le rang que la naissance lui avait donné. A la Chambre des députés , le langage et la con- duite du chef de l'opposition dynastique furent tels, que le plus incurable aveuglement pouvait seul les expirquer et les absoudre. M. Odilon Barrot avait alors, à un plus haut degré que jamais j une préoccupation et une croyance qui Font conduit et égaré toute sa vie. Sa préoccupation, c'était de ne jamais se laisser sur- passer en popularité, même factice et éphémère, par qui que ce fût, dans la Chambre. Sa croyance, c'était la conviction peut-être puérile, fiaais sincère, de dominer, par son autorité , la pe- tite bourgeoisie parisienne, et de l'arrêter au besoin, dans ^s plus grands écarts, par l'empire de sa pa- role. Forcé , par sa qualité de député , de décliner tout conflit avec la force année, M. Odilon Bairot avait dû refuser de se réunir avec ses amis tu cortège de gardes nationaux, d'étudiants et d'émeutiers, con- 12. 480 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. voqués, pour le 22 février au matin, devant Téglise de la Madeleine ; mais il croyait dangereux , pour sa popularité , de laisser complètement à d'autres la fa- veur qu'une telle hardiesse pouvait trouver dans Topinion publique. Il accepta donc, en pleine tri- bune, la pensée de cet acte insurrectionnel, mais il en désavoua V expression ^ : double déclaration qui avait, à ses yeux, le mérite de concilier sa popularité et sa prudence. Barricadé derrière cette casuistique plus que sub- tile , et qui fut d'ailleurs jugée plus sévèrement en- core par les démocrates que par les conservateurs , M. Odilon Barrot exalta les droits et vanta la docilité de l'émeute avec une candeur qui faisait sourire, mais qui ne tarda pas à faire pleurer amèrement. « Ne grossissait-on pas à dessein la difGculté? N'ai- iait-oa pas faire naître les troubles, par une compres- sion provocante, sous prétexte de les apaiser? Cette compression n'ajouterait-elle pas à des sentiments déjà exaspérés un degré d'exaspération nouvelle? Qu'était- ce donc que cette réunion de citoyens? Une de ces ma- nifestations naturelles et nécessaires , devenues sans danger, grâce aux progrès de nos mœurs publiques. Il fallait s'habituer à ces actes , et se reposer de tout sur le peuple le plus intelligent du monde. Quant au comité secret qui avait convoqué la garde nationale , il avait obéi à une pensée d'ordre et de sécurité. Ne fallait-il pas que de telles masses d'hommes eussent ^ Voir le Moniteur du 23 février 4848. LIVRE QUATRIÈME. 481 comme là charge de se régler eax-mémes , par une sorte de discipline officieuse? Qusmt à lui, si le peu- ple était entièrement livré à lui-même, il était prêt à le modérer par son intervention personnelle; et il n^hésitait pas à répondre, sur sa parole d'honneur, de la tranquillité publique ^ » Si M. Barrot avait son rôle et ses illusions de tri- bun , les ministres avaient leurs données de gouver- nants et leurs devoirs d'hommes d'État. Un chef de parti pouvait avoir la naïveté d'offrir à un gouverne- ment son concours personnel pour contenir les mul- titudes; mais ce gouvernement ne pouvait pas, sans être ridicule et lâche , abdiquer son droit et sa force entre les mains d'un particulier. D'un autre côté, un chef de parti , qui se croyait l'inspirateur, le modé- rateur et le maître d'une immense manifestation populaire, pouvait, avec une bonne opinion de lui- même poussée jusqu'aux dernières limites de l'in- trépidité, répondre,. sur son honneur, de la sécurité publique; mais un gouvernement éclairé et informé, sachant que M. Barrot n était que le chaperon, le drapeau et la dupe de l'agitation, connaissant les ambitieux, les factieux, les chefs des sociétés secrètes qui s'y trouvaient mêlés, et qui, à un moment donné, en prendraient là direction ou en changeraient le ca- ractère, ne pouvait pas faire un fond sérieux sur des discours, fussent-ils mille fois plus éloquents, ^ Voir, dans le Moniteur du 23 février^ le discours de M, Odilon Barrot, dont ce qui précède est l'analyse liuérale. (82 CHOTE DU ROI LOUIS-PHILIPPB. pour contenir 1^ débordement probable de t^nt de passions soulevées. Pour une telle œuvre, Démos- thènes lui-même n'eût pas valu un gendarme. Au nom du gouvernement et du bon sens, M. le comte Duchâtel ne put donc que persister dans la trop juste défiance inspirée à tqus les hommes sé- rieux par lî^ manifestation du 22 février; et, sans comprimer assurément les libertés publiques , il per- sista dans le maintien des mesures de prudence nécesss^ires à la défense de Tordre public. X. Chose étrange, et qui ne saurait être assez remar- quée , les démagogues et les conspirateurs de profesr sion étaient, dans leurs conciliabules, beaucoup plus qiodérés et beaucoup plus sages que le chef de l'op- positioq dynastique; et tandis que M. Odilon Barrot poussait les gardes nationaux , les étudiants et les curieux siu rendez- vous de la Madeleine, le comité directeur de la société des Saisons détournait ses bqmmes d'y aller. Il y avait eu, la veille au soir, 21 février, dans les bureaux de la Réforme, un conseil suprême, dans lequel s'était discutée la conduite que le parti aurait à tenir le lendemain. Les patrons et les rédacteurs de ce journal , qui eurent une si grande p^rt dana le gouvernement provisoire, n'en avaient aucune dans la direction du tumulte extérieur des banquet^ LIVRE QUATUlRME. 483 M. Fiocoii, M* Ledru-Rollin, M. Loais Blanc p'avaient été ni consultés, ni appelés dans les, mesures con- certées entre le National et l'opposition dynastique; 'et, de tous les journaux de Topposition, la Réforme était le seul qui n'eût pas reçu, de M. Marrast, com- munication de Tordre du jour incendiaire publié le 21 au matin ^ Cependant les hommes de la Réforme^ représentants de la république violente et du socia- lisqae, n'entendaient pas, comme on le pense, abdir qner leur rôle dans une occasion si favorable ; et les membres les plus marquants du parti furent appelés à délibérer. Parmi les membres réunis, nous citeronsi comme caractérisant plus particulièrement Tesprit de rassemblée, MM. Flocon, Baune,Gaussidière, Etienne Ârago, Louis Blanc, Charles Lagrange, Ledru-RoUin et Albert *. Divers discours furent prononcés; nous n'en rap- porterons que deux, parce qu'ils résumaient la pen- sée la plus générale des démagogues et des socia- listes, et qu'ils déterminèrent la conduite du parti. M. Louis Blanc s'exprima ainsi : « Après que les députés de l'opposition ont agité le pays jusque dans ses entrailles, ils reculent! Je sens le sang me gonfler le cœur, et si je n'écoutais que ipon indignation, je vous dirais aussitôt, en * Voir la Réforme du 24 février, qui se plaint de n'avoir pas été appelée à donner son concours au banquet, et d'avoir été laissée en dehors du mouvement imprimé à la population de Paris. 2 Pour les autres membres de la réuaioo, voie Lucien de la Hodée, Hist, des sociétés seerèteSy cb. xx. iU CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. face d'une pareille félonie : (> Poussons le cri de guerre, et marchons! » Mais l'humanîté me relient. Je me demande si nous avons le droit de disposer du sang généreux du peuple, sans profit pour la démocratie ? Si les patriotes descendent demain , abandonnés des faommes qui se sont mis en avant, ils seront écrasés infailliblement, et la démocratie sera noyée dans le sang. Voilà quelle sera la journée de demain. Et, ne vous abusez pas, la garde natio- nale, qui a traîné son uniforme de banquet en ban- quet, vous mitraillera avec l'armée. Vous déciderez l'insurrection, si vous le voulez; mais si vous prenez cette décision , je rentrerai chez moi pour me couvrir d'un crêpe de deuil, et pleurer sur la ruine de la démocratie '. » Assurément ce discours de M. Louis Blanc apprend au lecteur ce qu'il faut penser de ces prétendus frémissements démocratiques, dont la société aurait été agitée à cette époque; et les espérances de la république et du socialisme devaient être bien mo- destes et bien dissimulées, puisque lui-même ne les apercevait pas, le 21 février au soir; mais ce dis- cours montre aussi que M. Louis Blanc était plus mudéré et plus sage que M. Odilon Barrot, puisqu'il voulait , à tout prix , détourner le peuple de la dé- monstration du banquet. 1 Lucien de la Hodde, Hist. des sociétés secTiles.— M. de la Hodde, qui rapporle ce discours, é'ailun membre importa ni de la réunion; il dirigeait, avec M. Albert, la sociélé des Saisons. LIVRE QUATRIÈME. 485 M. Ledm-Rollin alla plus loin encore dans cette voie de prudence. Répondant à un appel aux armes de M. Charles Lagrange, et à des incitations plus modérées de M. Caussidière, il dit : a A la première révolution , quand nos pères faisaient une journée , ils l'avaient préparée longtemps à l'avance. Nous autres, sommes- nous en mesure? Avons-nous des armes, des muni- tions, des hommes organisés? Le pouvoir, lui, est tout prêt, et les troupes n'attendent qu'un signal pour nous écraser. Mon opinion est qu'une affaire engagée dans les conditions où nous sommes n'est qu'une folie \ » L'opinion de M. Louis Blanc et de M. Ledru-Rollin prévalut^ sans dispute. Il fut décidé qu'on donne- rait au peuple l'avis de ne pas se rendre à la ma- nifestation, et à la société secrète des Saisons ^ la plus nombreuse et la plus importante, Tordre de ne pas bouger. En conséquence, M. Flocon rédigea l'ar- ticle suivant, qui parut, le 22 février, au matin, dans la Réforme : « Hommes du peuple, gardez-vous demain de tout téméraire entraînement ! » Ne fournissez pas au pouvoir l'occasion cherchée : d'un succh sanglant. » Ne donnez pas à cette opposition dynastique, qui vous abandonne et qui s'abandonne , un prétexte dont elle s'empresserait de couvrir sa faiblesse. ^ Lucien de la llodde) Hist. des sociétés secrètes, ch. xx. 486 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. » Vous le voyez, tels sont les résultats de T initia- tive prise par ceux qui ne sont pas les nôtres. » Patience! quand il plaira au parti démocratique de prendre une initiative semblable, on saura s'il recule, lui, quand il s'est avancé \ » Ces faits irréfragables enlèvent complètement aux démocrates l'honneur d'avoir pressenti, appelé ou préparé, en 1848, rétablissement de la répu- blique. Quarante -huit heures avant qu'elle fftt proclamée, M. Ledru-Rollin lui-même déclarait qu'il y aurait folie de songer à l'établir; et le journal la Réforme ne voyait dans Témotion popu- laire d'où devait sortir la chute de la monarchie qu'une occasion de succès cherchée par le gouverne- ment, c'est-à-dire qu'une émeute factice, fomentée par la police, pour attirer la démocratie dans un piège sanglant. Mais aussi ces faits témoignent d'autant plus con- tre Taveuglement des passions parlementaires, qui ont pu faire sortir la république d'une situation mo- rale et politique dans laquelle les plus ardents répu- blicains eux-mêmes ne la voyaient pas. Supposez que M. Odilon Barrot et les journaux dynastiques eussent tenu le langage de M. Ledru-Rollin et de la Réforme; supposez qu'ils eussent dit aux gardes na- tion^tux, aux électeurs, aux étudiants : a Abstenez- vous complètement, et laissez vos amis de la Chambre 1 Réforme du t% février 494g. LIVRE QUATRIÈME. 487 poursuivre, par les voies régulières , le triomphe de nos droits et raccomplissemeat de nos espérances communes; » supposez qu'à ces paroles sensées la ligue parlementaire eût ajouté des démarches fermes, -1-il n'y avait ni trouble le 22, ni défaillance le 23, ni république le 24. C'est donc M. Odilon Barrot et M. Thiersqui auront commencé la révolution de février par leur turbu- lence, et qui la laisseront s'^iccomplir par leqr fui- blessé. Assurément, le 21 février au soir, tous 1^ esprits étaient inquiets et sombres; il était naturel de pres- sentir des commotions violentes; mais des faits irré- cusables attestent que l'illusion alla, des deux côtés, jusqu'à Taveuglement. Par quelle combinaison du hasard , ou par quelle vue secrète de la Providence une révolution sortira- t-elle du sein de cette confiance universelle? — C'est le secret de la journée de demain. Avant d'en commencer le récit, disons quel était Tétat des esprits et des questiqns la veille de la ca- tastrophe. XI. La France et l'Europe ont été complètement abu- sées, ea 4 848 , sur Torigine et sur le caractère de la révolution de février. Le lecteur ne reconnaîtrait pas, dans le drame réel dont nous allons placer le$ circon* (88 CHUTE DU ROI LOUIS-PIULIPPE. Stances sous ses yeux , le drame imaginaire et bouffi imposé à la crédulité publique. Od a dit et l'on a Tait croire à la France et à l'Eu- rope que la révolution de février avait été accomplie par le peuple de Paris , au prix de trois jours de com- bats , de flots de sang versé et de milliers de ca- davres. — « Le people combat depiâs trois jours, » dit te 24 février M. de Lamartine '. — « Il y a déjà trois mille morts, » ajoute M. Le- dru-RolIin*. — « Un gouvernement rétrograde , dit le gouver- nement provisoire dans sa première proclamation, vient d'être renversé par Vftéroïsme du peuple de Pa- rts. Ce gouvernement s'est enfui, en laissant derrière lui ufie trace de sang qui lui défend de revenir sur ses pas. Le sang du peuple a coulé comme en juillet,- mais cette fois ce généreux sang ne sera pas trompé *. » Dans une proclamation à l'armée, le gouvernement provisoire ajoulait : — « Le peuple de Paris , pai" sa victoire, a amené la chute du gouvernement. Une fatale collision a en- sanglanté la capitale. Le sang de la guerre civile est celui qui répugne le plus à la France. Soldats! jurez amour au peuple, et tout sera oublié ^. » ' Lamartine, Bial. de la révolution de 18i8, t. I,liv, i. 3 CMUfitufionnel du 2S février 1813, séance delà chambre du Si. s Moniteur du 35 février 1848. < Moniteur du 35 février 1Si8. LIVRE QUATRIÈME. 489 On a dit et Ton a fait croire à la France et à TEu- rope qne la République , objet de cette longue et san- glante bataille , avait été l'explosion irrésistible dé sentiments longtemps comprimés. — « L'opposition Yaivaiii prévu et prédit ^ s'écrièrent les dynastiques eux-mêmes ; le refus des réformes a conditit à une révolution... Il est impossible de voir y flans lé renversement de la monarchie , quelque ra- pide qu'il ait pu être, un fait accidentel et passager ' . » — « Au-dessous de cette société, dont tant de faits annoncèrent la fin prochaine^ dit M. Louis Blanc, il se formait une autre société aux progrès latents , mais rapides et sûrs... Le vieux monde allait se décompo^ sant... les grandes crises ont toujours leurs signes avant-coureurs j ici, les symptômes furent nombreux; mais le plus saisissant consista dans l'ardeur avec laquelle l'attention publique remonta aux scènes de 89 et de 93. Lorsqu'on lut sur les murs de Paris : His- toire des Girondins, Histoire des Montagnards, ce fut comme une illumination subite *. » — «Proclamer la monarchie devant trois cent mille hommes soulevés pour la combattre y ajoute M. de Lamartine... c'était livrer la France aux hommes de désordre ^ d' anarchie et de sang ' . » Enfin, on a dit et Ton a faij croire à la France et à * Duvergier de Hauranne, Circulaife aux électeurs du Cher, 46 mars 4848. 2 Louis Blanc, Pages dlmtoire de la révolution de février, ch. i. 3 Lamartine, Hist. de la révolution de 4848, liv. vi, ch. 7. 190 CHUTE Du ROI LOUIS-PHILIPPE. l'Europe que les membres dri gouvernement provi- soire, portée au pouvoir par racclamation t)Opulaire, avaient dû accepter, par dévouement et par patrio- tisme , la tâche formidable de sauver la société , en fondant des institutions conformes au vœu des mas- sés victorieuses. — « Un gouvernement sorti, cT acclamation et (T ur- gence, de là voix du peuple et des députés des dépar- tementSj dit la première proclamation de ThÔtel de ville, est investi du soin d'organiser la victoire natio- nale... Ses membres n'ont pas hésité un instant 'à accepter là mission patriotique qui leur était imposée * » — Le 1 7 mars, le gouvernement provisoire ajoute : (( Portés d' acclamation au pouvoir ^ pendant l'interrègne du peuple , nous n'avons voulu d'autre dictature que celle de l'absolue nécessité. Si nous avions refusé le poste du péril ^ nous aurions été des lâches*. » De telles déclarations, émanées d'un gouvernement . ou de ses membres , produisirent au dehors des im- pressions que Ton devine sans peine, et qui eurent, immédiatement et plus tard , des conséquences im- menses sur la société. Ceux qui étaient royalistes convaincus et sincères se résignèrent et se turent, eii présence d'événements contre lesquels la résistante eût été insensée. Lors- qu'un gouvernement, défendu par une armée nom- * Moniteur â\i 26 février 1810. 2 Moniteur dû 18 lîiars 1848. LIVRE QUATRIÈME. m breuse, aguerrie et loyale, avait été vaincu; lors- qu'une ville d'un million d'habitants , dont la garde Nationale était brave, habituée aux luttes, intéressée à Tordre , avait posé les armes , après trois jours de lutte , quelle ville secondaire , quel pauvre village , quelle campagne isolée pouvait ramasser à terre un étendard sanglant et déchiré? Ceux qui , dédaigneux des théories , dégagés des ambitions politiques, n*étant que citoyens et patriotes, obéissaient avec respect à tous les gouvernements dérieux , sans vouloir être d'aucun , se rallièrent de bonne foi à la République , malgré ses souvenirs lu- gubres , essayant de la rendre forte , pour lui ôter l'idée d*être violente. Ceux qui étaient flottants, indécis, sans convic- tions, remuants, ambitieux, avides de dominer, se jetèrent violemment dans le cortège des vainqueurs, insultèrent les vaincus et montèrent, Tun pous^nt Tautre , à Tassant du crédit , de Finfluence ou de la renommée. Ceux qui étaient républicains de tète et d'âme, re- cevant du ciel ou du hasard la réalisation subite de leurs croyances, sans y avoir concouru en rien, s'af- fermirent d'autant plus dans la conviction que ces théories étaient incontestables et irrésistibles , puis- qu'dles triomphaient, toutes seules, d'un grand gou- vernement, soutenu par cent mille soldats. Enfin, les nations étrangères, voyant un pays comme la France hors d'état de défendre trois jours un 492 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. goavernement et une dynastie , en conclurent que ce pays était irrémédiablement acquis aux idées et aux forces révolutionnaires, et qu'il fallait le sacrifier au salut général , comme incapable ou indigne d'appar- tenir à la grande famille civilisée. XH. Ces notions, répandues et accréditées, en 1848 , sur les causes et sur le caractère de la révolution de Février, eurent donc pour résultat de jeter une im- mense perturbation dans les esprits, en France et en Europe. Il s'ensuivit, au dedans, un grand et géné- ral découragement parmi les hommes d'ordre, et une grande exaltation parmi les hommes à théories; au dehors, une profonde et générale défiance de la France. Il serait téméraire de supposer que ces résultats sont complètement effacés aujourd'hui, même après le ré- tablissement providentiel de la sécurité publique. Les étrangers auront encore le droit de se défier des causes qui ont ramené l'ordre , au moins tant qu'ils ne seront pas éclairés sur les causes qui l'avaient dé- truit. Les démocrates honnêtes et sincères seront ex- cusables d'attribuer la chute de la République à la réaction et à la malveillance des opinions monarchi- ques, tant qu'ils ignoreront que l'explosion populaire de 1848 est une fable, et que le gouvernement pro- visoire fit mettre dans le Moniteur une république qu'il venait d'inventer, et qui n'existait pas dans l'opinion publique. LIVRE QUATRIÈME. 493 £d effet , toutes les déclarations dont nous venons de rapporter l'expression officielle, confirmée depuis par de nombreuses histoires, — les trois journées de combat, les trois mille morts, l'explosion irrésistible des idées républicaines , les acclamations du peuple de Paris, imposant à douze citoyens une glorieuse dictature; — tout cela constitue une mystification complète et indécente. — D n'y a pas eu , en février, de lutte entre le gouvernement et le peuple. — Les républicains eux-mêmes ne demandaient pas la République et ne la croyaient pas possible , quelques heures avant sa proclamation. — Enfin , le peuple de Paris n'a nommé , par ses acclania tiens, aucun gouvernement provisoire. Au lieu d'un , il s'en est formé quatre , à des heures diffé- rentes et en des lieux divers ; et ces quatre gouver- nements se sont nommés eux-mêmes , avec un cy- nisme sans exemple dans l'histoire des ambitieux. D'abord , il n'est pas vrai qu'il y ait eu lutte , en février 1 848 , entre le gouvernement et le peuple de Paris. Cette vérité ressortira clairement et matériel- lement de notre récit ; mais nous en donnerons , en attendant, la preuve sommaire. Le roi avait expressément défendu de tirer sur le peuple. « Surtout ne tirez pas! avait-il dit. Je ne veux pas qu'on tire sur le peuple. » La garde nationale, par les conseils du journal le Stèc/e, s'était jetée entre les troupes et les émeu tiers, 13 m CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. pour rendre toute lutte impossible. Le Sihcle lui-même raconta , avec des détails fort intructifs , cette intel- ligente intervention '. Enfin , un membre du gotivernement provisoit-e , M. Garnier-Pagès , ne laisse à ce sujet aucun doute, a Je ne saurais trop le répéter, dit il, entre Tannée et le peuple de Paris il n'y avait point eu de lutte... donc il n'y eut ni victoire, ni défaite, ni vainqueurs, ni vaincus *. » Sur un très-petit nombre de points, des gardes municipaux et des soldats, attaqués dans des postes isolés, défendirent leur vie ; mais nuUe part la troupe ne fut engagée pour défendre le gouvernement. Ensuite , il n'est pas vrai que la République, objet d'une lutte sanglante , ait été l'explosion d'un senti- ment général longtemps contenu. Le 22 février, deux jours avant là proclamâtioii de la République , le journal la Réforme , ^ en rapport avec les sociétés secrètes, et qui fournira trois membres au gouvernement provisoire, déclara que l'émeute était une manœuvre de la police, et dissuada les dé- mocrates d'y prendre part. Le 24 février au soir, le National avoua que ja- mais révolution n'avait été aussi imprévue; et il ajouta que, le matin même, nul n'aurait pu soupçonner le résultat de la journée •. i Siccte du 24 février 4848. ^ Garnier-Pagès, Un épisode de la révolution de 4848, p. 86. 3 a Jamais révolution n'a été aussi imprévue... Ce matin, à sept LIVRE QUATRIÈME. 495 Le même jour, à une heure, après le départ du roi, M. de Lamartine se rendit à la Chambre des députés, persuadé qu'il allait entendre seulement les noms et le programme d'un nouveau ministhre. Il croyait la crise dénouée ' . Un républicain modéré, membre du gouverne- ment provisoire, fait, pour son parti et pour lui-même, cette déclaration décisive : a Depuis que ma raison a eu conscience d'elle-même, j'ai désiré la répu- blique... mais... comme Paris, comme le parti repu- blicain tout entier ^ le 23 février, je me serais contenté de la chute du ministère, de la dissolution de la Chambre , de la réforme électorale et parlementaire. Le 24 au matin, j'aurais accepté la déchéance du roi et /a régence *. » Enfin, il n'est pas vrai que l'acclamation du peu- ple, encore moins celle des députés des départe- ments, ait porté au pouvoir le gouvernement provi- soire. Le lecteur trouvera plus loin les détails relatifs à la formation des quatre gouvernements , qui , tous les quatre, se nommèrent eux-mêmes. Les explications qui précèdent étaient nécessaires à heures, le rappel de la garde -nationale a battu dans tous les quar- tiers. Quel allait être le dénoûment? // était alors impossible de le soupçonner. » National du 25 février ; écrit le 24 au soir. ^ Lamartine, Histoire de la révolution (2a 4848, t. I, livre iv, chap. 4«'. * Garnier-Pagès , Un épisode de la révolution de 1848, cb. ii, p. 27-28. 13. L 496 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. rintelligence des faits et des circonstances que nous allons raconter. L'esprit du lecteur, libre désormais des préjugés imposés à la bonne foi publique, pourra nous suivre, sans préoccupation et sans mirage, dans le récit de cette émeute décousue, qui aura pour ré- sultat une révolution de surprise et un gouvernement de hasard. LIVRE CINQUIÈME. l'ÉMEUTB. LA GARDE NATIONALE LA PROTÈGE. DIS- LOCATION SPONTANÉE DE LA MONARCHIE. Journée du SI février. — Parie sans défense. — > Pourquoi. — Les rassem> blements n'ont pas le caractère républicain. — Préparatifs militaires pour le S3. — Appel à la garde nationale. — Cette mesure compromet tout. — La garde nationale exige le renvoi du ministère. — Les démagogues se mettent à la tète des légions. — La garde nationale agite la ville , aux cris de Vive la réforme! — Le désordre se généralise. — Division au sein de la famille royale. — Entrevue du roi et de ses ministres. — Le cabinet se retire. — Joie de la garde nationale. — Paris livré aux brigands. — Nuit horrible. — Machination du boulevard des Capucines. — Tombereau de ca- davres promené dans Paris. — Journée du 24. — Le maréchal Bugeaud prend le commandement des troupes.— Ses dispositions.— M. Tbiers et M. Barrot ministres. — Ils retirent les pouvoirs au maréchal et font rentrer les trou- pes. — Le roi obsédé et trompé. — Il abdique. — Départ de la famille royale. — Madame la duchesse d'Orléans est conduite à la Chambre des députés par M. Dupin. — Acclamations et hésitations. — Absence des ministres. — M. Dupin annonce que le roi a conféré la régence à ma- dame la duchesse d'Orléans. — Les partis extrêmes protestent. — Attitude douteose de M. de Lamartine. — MM. Crémieux et Marie combattent la régence de madame la duchesse d'Orléans et demandent un gouvernement provisoire.— Mollesse de M. Barrot. — La duchesse veut parler. — L'émeute la force à quitter la Chambre. — M. Ledru-RoUin appuie la demande d'un gouvernement provisoire. — Rôle de M. de Lamartine. ^ Ses engage- ments secrets. — 11 nomme un gouvernement provisoire et part pour rhètel de ville. — M. Ledru-Rollin nomme un autre gouvernement , et se rend aussi à l'hôtel de ville. — Coneummatum est. — Consternation de la bourgeoisie. I. Ainsi que les révolotioQDaires TavaieDl prévu > la retraite tardive des députés de Top position ne chan- gea rien aux projets de ceux qui demandaient à 498 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. Tagitation des banquets un prétexte d'émeute. Le 22 février, vers neuf heures du matin, un triple œurant d'ouvriers oisifs, de curieux, de vagabonds, de malfaiteurs, se dirigeait, ^e tous les vieui(: qnpr- tiers de Paris, vers les Champs-Plysées et Ici Made- leine, en suivant les deux quais de la Seine et les boulevards. Ces bandes silencieuses et préoccupées affluèrent incessamment vers les lieux assignés au rendez-vous général, et semèrent partout, sur leur passage , de sombres appréhensions. Le manifeste du National^ reproduit, la veille, par les journaux de Topposition, avait trouvé je ministère prêt et résolu à une résistaqce énergique. M. Guizot et M. Duchàtel proposèrent au roi de cou- vrir et de défendre Paris militairement j le roi fut de leur avis. Paris renfermait environ vingt-cinq mille hommes de troupes. Les vifles voisines de g;^rnisqn pouvaient promptement les doubler. Versailles avait la cavalerie de réserve; Vincennes avait rartillerie. Des ordres furent expédiés en conséquence. En vertu de ces ordres, tous les points stratégiques de Paris devaient être occupés, le 22, à sept heures du n^atin, et de fortes masses de cavalerie devaient être réu- nies entre la barrière de l'Étoile et le bois de Ppp- logne. Avec une pareille résolution et de pareilles mesures, les amis de Tordre attendaient le résultat de la journée avec confiance. Cependant, ceux qui étaient sortis, le matin, pour observer les événements, ne trouvèrent de troupes LIVRE CINQUIÈME. 499 nulle part. A trois heures de l'après-midi, une foule innombrable encombrait les abords des Champs-Ely- sées; pas un soldat n'avait paru et ne parut. Que s'était-il donc passé , et qu'étaient devenus les ordres donnés la vejUe ? Il faut bien le dire, la sécurité, quoique altérée par une inquiétude vague, était générale, sérieuse, insensée. On pressentait une crise sans doute, mais on était certain de la traverser. Les espérances les plus chimériques des agitateurs n'allaient pas alors au delà d'un échec infligé au ministère. Quant à de véritables joqrnées révolutionqaires, M. Ledru-Rollin lui-même, on l'a déjà vu, ne croyait pas qu'on pût y croire sans folie. Celte confiance de tous, le gouvernement la par- tageait. Les précautions militaires qu'il avait prises avaient moins pour objet sa sûreté que sa dignité. Il ne se prémunissait pas contre un danger; il répondait à un déQ. Le refus des députés dynastiques d'assister au baqqnet, publié par les journaux du 21 au soir, trouva le gouvernement dans celte disposition d'es- prit. L^ sécurité générale aidant, on crut la crise viQl^nte dénouée. Ce fut l'impression de M. le pré- fet 4^ police, qui la 6t immédiatement exprimer à M. le ministre de l'intérieur, et qui la porta directe- ment au roi, vers onze heures du soir. M. Duchâtel, qui avait déjà la même idée, s'y ancra plus forte- ment; et, de son côté, il se rendit aux Tuileries. Le 200 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. roi n'avait ni des raisons, ni des informations pour penser autrement. Puisque l'opposition désarmait, on crut devoir désarmer comme elle. Contre-ordre fut donc immédiatement donné aux troupes , vers mi- nuit, imprudemment, mais de très-bonne foi, et sans consulter le président du Conseil. Voilà comment , le 22 au matin, les attroupements trouvèrent partout le champ libre , et Paris sans défense. Cette première journée fut triste, comme souvenir des anciennes agitations, que Ton croyait finies, mais elle ne fut pas dangereuse. La société secrète des Saisons^ la seule importante, avait reçu Tordre d'observer et de s'abstenir \ La Société dissidente se mêla aux groupes , cria : Vive la réforme I et jeta des pierres aux gardes municipaux, mais sans plan et sans but ; et elle se dispersa dans les cabarets et dans les bouges, à l'entrée de la nuit*. Les entreprises violentes se réduisirent à une dé- monstration contre un poste occupé par des troupes de ligne, aux Champs-Elysées, et à une tentative contre la fabrique d'armes de l'arquebusier Lepage, rue Neuve-Bourg-l'Abbé ^ Dans l'opinion des conspirateurs de profession, cette journée du 22 février était stérile. « Tout cela n'est pas clair, avait dit, vers le soir, M. Caussi- * Lucien de la Hodde, Hist. des sociétés secrètes^ chap. xxi. 2 Chenu , Les conspirateurs, chap. ix. * Journal de la gendarmerie, n°^ 163, 465, — 4" ^ai , 40 mai 4850. LIVRE CINQUIÈME. 201 dière; il y a du monde, mais c'est tout; cela n'ira pas jusqu'aux coups de fusil '. » Vers neuf heures du soir, une sorte de conseil fut tenu, sous la colon- nade du Palais-Royal, morne et désert, par les di- recteurs des sociétés secrètes. M. Albert fut d'avis qu'il n'y avait rien de républicain dans la manifes- tation ; et l'on se résuma , en disant : « Il faut at- tendre, il faut voir*. » Un rapport général de la préfecture de police ap- précia la journée comme les conspirateurs. Le résultat en parut rassurant , et le ministère des affaires étran- gères en fit préparer de nombreuses copies, pour être adressées, à l'extérieur, à tous les agents du gouvernement. ri. Ainsi, le pouvoir était encore plein de confiance, le 22 février au soir. La crise n'avait pas pris fin, comme il l'avait cru d'abord, par la retraite de Top- position; mais cette retraite ôtait néanmoins à la « situation ce qu'elle avait de plus dangereux, son caractère politique. Tout faisait présumer, pour le lendemain, une lutte sérieuse; mais, la question po- litique écartée, on n'aurait plus en face que des brouillons et des malfaiteurs, c'est-à-dire des adver- saires qu'on était habitué à vaincre. * Lucien de la Hodle, Hist. des sociétés secrètes, chap. xxi. * Ibid. «Oî CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. On se prépara donc à surmonter une fois de plus des périls bien connus, et pour lesquels on avait même inventé une stratégie spéciale. Le quartier général, réuni k Tétat-major des Tuileries, soi|s la direction dp M. le duc de Nemours, expédia, vers huit heures, les ordres nécessaires, pour que les trpqpes occupassent sans délai les postes assignés à ch^q^e afme et à chaque corps, suivant ces dispositions militaires, bien connues de la garnison de Paris, et principale- ment dues à M. le maréchal Gérard. Sous les ordres immédiats du Prjnce agissaient M. le général Tiburce Sébastiapi, comipandant la première division, et M. le général Jacqueminot , commandant les gar- des nationales de la Seine. Suivant les traditions (Ju règne, en pareille occurrence , un recours simultané à Tarmée et à la garde nationale fut résolu; et, le lendemain, 23, dès Taube du jour, le tambour ap- pela, de tous côtés, sous les armes, la milice pari- sienne. Cette convocation de la garde nationale fut la pre- mière et la plus grande iaute du pouvoir. La garde nationale de Paris, pétrie depuis dix ans par des journaux aux doctrines vagues et louches, était devenue factieuse, et se disait pourtant dynas- tique, avec une certaine sincérité. Elle ne voulait assurément ni du désordre, qui paralyse les affaires, ni de la république, qui les tue. Placée de nouveau en face des sociétés secrètes, elle les eût résolument attaquées et vaincues, comme au 6 juin, comme au LIVRE CINQUIÈME. 203 1 3 avfil et au 1 SI mai. la général Jacqueminot eut donc raison de faire dire au roi, le 22 au soir, que, sauf six ou sept compagnies, œal disposées, toute la garde nationale de Paris était attachée à la monarchie ' ; mais le gouvernenaent n'ignorait pas que Tagitation des banquets, dirigée par les députés de l^opposition, avait égaré Tesprit de la bourgeoisie crédule et impré- voyante. On savait les sociétés secrètes impuissantes ; on croyait les révolutions impossibles ; et il était pro- bable que la garde nationale, pleinement rassurée contre le désordre des rues, ne résisterait pas à la fantaisie d^ marcher sur les traces de M. Tbiers et de M. Barrot, et de donner, à son tour et comme eu:i^, des leçons à la couronpe'. C'est, ^p effet, ce qui va arriver. La garde nationale va rendre à la situation, par des actes insensés, le caractère politique q^e la retraite de l'opposition parlementaire lui ayait re- tiré la veille; et la Iqttp, qui efii été Qett^ et facile contre des émeuliers, deyiepdra pleine (Je ponfqsion, de difficultés et de périls contre des partis politiques. Le journal le Siècle était l'organe le plus exact, comme M. Barrot, son patron, était le type le plus complet de la petite bourgeoisie parisienne. Une réu- nion immense avait eu lieu dans ses bureaux , le 22 au soir, vers neuf heures. L'esprit de la garde natio- nale parisienne s'y dévoila dans toute sa triste réalité. On y résolut unanimement de prendre les armes, le * Rapport $ur les événements de février, par le général Trézel. 20i CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. lendemain matin , mais avec une attitude, avec un langage et avec des actes qui diraient manifestement que si l'on voulait défendre la monarchie, on voulait renverser le ministère * . Ainsi, du premier mot, les gardes nationaux de Paris revendiquaient, pour eux, le rôle et le pouvoir des soldats prétoriens et des janissaires. Leur préten- tion de changer, de haute lutte , un ministère resté dans les voies légales, sanctionné par de récentes élections, soutenu* par la majorité la plus considé- rable qui se fût formée depuis 1830, n'était rien de moins qu'un audacieux et vaste interdit jeté sur la France, et la confiscation des droits politiques de tous , au profit d'une ville. Rien de pareil ne s'était vu depuis le 31 mai 1793. La bourgeoisie honnête, mais égarée , s'attribuait , en pleine paix , sans son- ger à l'iniquité d'une telle usurpation, la domination suprême rêvée autrefois, pour la Commune de Paris, par la faction des Hébertistes. III. Cette résolution insensée fut accueillie avec faveur dans la plupart des légions. A peine réunies dans leurs mairies respectives, elles furent à peu près unanimes pour chercher à exercer, directement ou indirecte- ment, une pression irrésistible sur le roi. Le moyen le plus efficace parut être d'empêcher l'armée de dis- ^ Voir le récit de M. Saint-Amant, capitaine à la l*"» légion : — Le drame aux Tuileries, p. 4. LIVRE CINQUIÈME. S05 perser Téineutc, et de maintenir ainsi l'insurrection en permanence, jusqu'à ce que la royauté vaincue consentît à payer, par le désaveu de la majorité con- stitutionnelle et par le renvoi des ministres, le retour de la tranquillité publique. Une pétition, émanée de la quatrième légion , et adoptée par la plupart des autres , exposait , en ces termes , ces prétentions dic- tatoriales : > « Nou», appartenant tous à la milice parisienne, et protecteurs de V ordre public , nous allons nous ren- dre partout où nous serons dirigés , pour empêcher ou arrêter V effusion du sang; mais en même temps , pro^ tecteurs de la liberté, nous déclarons que notre réu- nion n'a aucunement pour objet d'approuver la poli- tique ministérielle, au dedans ou au dehors, ni de donner un appui quelconque à un ministère que nous blâmons j au contraire, avec toute Ténergie de bons citoyens * . » C'étaient là les sentiments généraux de la garde nationale de Paris. L'esprit de fronde y avait complè- tement oblitéré le bon sens. Il n'y avait pas une légion qui n^en fût arrivée à se mettre au-dessus des majo- rités constitutionnelles, et à se considérer comme l'ar- bitre chargé de prononcer sur les affaires publiques, La quatrième envoya sa pétition à la Chambre par un peloton ; la troisième déclara à son colonel qu'elle ne déposerait les armes qu'après le renvoi des ministres^; ^ Elias Re^nault , Hist, du Gouv, provisoire ^ chap. m. ' Elias RegDBuIt , ibid. ÎOO CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. la sixième se réunit sar la place de la Bastille, pour chanter la Marseillaise; et une partie de la septième donna ses armes aux insurgés ^ C'était un vaste et ardent accès de démence , qui venait de saisir la bour- geoisie parisienne. La garde nationale faisait faire, comme on voit, un pas immense au désordre. L'opposition dynastique, après avoir créé l'agitation par des moyens factices, l'avait conduite jusqu'à l'émeute. Ici, la garde natio- nale venait relayer le char de la révolution , afin de le conduire jusqu'à l'humiliation et à la défaite de la monarchie. Les conspirateurs de profession , pour lesquels on travaillait avec tant de naïveté, ne furent pas long- temps à comprendre les chances inespérées que la garde nationale apportait à une révolution. Vers dix heures du matin , M. Flocon , entrant avec fracas dans les bureaux de la Réforme ^ s'écria : « Vite y des uni- formes de gardes nationaux! qu'on en cherche chez des amis, chez des fripiers, partout! Aussitôt habil- lés, rendez- vous aux mairies; là, prenez la tête des détachements en criant : Vite la réforme ! et interpo- sez-vous partout entre la troupe et le peuple. Allez! la république est peut-être à ce prix *. » Ce mot d'or- dre général , exé5 — Je tie demande pas mieiix tjti'îl le sache, reprit la reine J je le lui dirai à lui-même ; jte rèstllhe assez « J)tttir lc*lâ. Il est homme d'honneur, il bie Compren- dra. » LIVRB cinquième. 2M Cette conversation avait touché le bttl, dès lé pre- mier mol de la reine. M. Duchâlel 1* termina en fiari- • sant observer qu'il ne pouvait, til cotndae collègtte, ni comme ami, laisser ignorer à M. Guitot la situation d'esprit dans laquelle il trouvait Leurs Majestés. Il fut convenu qu'il irait immédiatement chercher le pré- sident du conseil , et que la question ministérielle serait sur-le-champ examinée et vidée. M. le duc de Montpensier, présetit à cette conver- * sation , appuya Topinion de la reine par quelques pa- roles vives; et Comme M. le ministre de l'intérieur partait pour aller chercher M. Guizot, le jeune prince ihsista sur la convenance de porter sans retard aux chambres des lois de réforme électorale et parlemen- taire. M. Duchâtel déclina avec fermeté une pareille initiative; ajoutant qu'après avoir préservé sa vie politique de toute indigne condescendance, il ne se sentait pas disposé à changer de méthode au moment de quitter le pouvoir. Il était environ deux heures lorsque M. Gùizot et M. Duchâtel arrivèrent dans le cabinet du roi. Sa Majesté était avec la reine et avec ses enfants pré- sents à Paris. Le roi , sans dissimuler les périls de la situation, insista sur la répugnance que lui causait Tidée de se séparer de son ministère. Il ajouta ces mots : k J'ai- tnerais mieux abdiquer ! » — Tu ne peux pas dire cela, mon ami, répondit la reine ; tu te dois à la France ; tu ne t'appartiens pas. 14. 21Î CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. » — Il est vrai, répondit le roi ; je suis plus malheu- reux que mes ministres ; je ne puis pas donner ma démission. » S'adressant alors à M. Guizot: « Croyez- vous, mon cher président, que le cabinet soit en état de tenir tête aux difficultés et d'en triompher ? » — Sire, répondit M. Guizot, quand le roi pose une telle question, il la résout. Le cabinet pourrait triom- pher de la rue ; mais il ne peut pas vaincre en même temps la famille royale et la couronne. Douter de sa force aux Tuileries , c'est la détruire dans l'exercice du pouvoir. Le cabinet ne peut que se retirer. » Le roi consulta ses ministres sur les successeurs qui pourraient le plus convenablement être donnés au cabinet , et il prononça le nom de M. le comte Mole. M. Guizot et M. Duchâtel répondirent que M. Mole étant, de tous les hommes politiques, celui qui se rapprochait le plus des principes de la majorité con- servatrice , sa désignation leur paraissait en effet la plus convenable. Alors eut lieu la séparation , qui fut touchante. Le roi embrassa ses ministres en versant des larmes. « — Vous serez toujours les amis du roi , dit la reine ; vous le soutiendrez. » Louis-Philippe reconduisit M. Duchâtel et M. Gui- zot; et, leur serrant encore une fois la main, près de la porte, il leur dit: « — Que vous êtes heureux! vous partez avec l'honneur ; moi , je reste avec la honte ! » LIVRE CINQUIÈME. «U VI. Portée à la Chambre, par M. Guizot, avec beau- coup de dignité; et, de là, répandue dans Paris avec une grande promptitude, la nouvelle de la re- traite du ministère fit éclater partout, dans les rangs de Fopposition , parmi la garde nationale et jusqu'au sein de la majorité, l'inaptitude des classes moyennes pour la pratique et pour les devoirs du gouverne* ment parlementaire. L'opposition fit éclater la joie la plus indécente et la plus puérile. Elle s'applaudissait de sa victoire, comme si le véritable vaincu , ce n'était pas le régime constitutionnel lui-même ! Est-ce qu'il restait une tri- bune pour s'expliquer, un scrutin pour se compter, depuis que des pelotons de la garde nationale venaient demander le renvoi des ministères? Est-ce qu'il y avait des doctrines, depuis qu'il fallait transiger avec les émeutes? Est-ce que les majorités avaient un rôle, depuis que les questions se vidaient derrière les bar- ricades? Le parti conservateur ne montra guère plus de principes ou plus de sagesse. Les plus étranges excla- mations s'élevèrent contre le libre usage que la cou- ronne faisait de sa prérogative. Le roi trahissait ! le mot fut dit. La majorité elle-même était envahie par l'égoïsme parlementaire. Violentée par Top position , elle prétendait faire violence au trône. De là, parmi ses 2U CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. membres, deax mauvais sentimeots qui ajoutèrent à risolement et à r affaiblissement delà monarchie : dépit du pouvoir perdu, et joie secrète des embarras que la création d'un ministère allait susciter à la couronne. Quant à la garde nationale , elle combla la mesure de la folie. Gomme pour montrer qu'elle n'avait pris les armes qu'afin de vaincre M. Guizot, en ba- taille rangée, elle eut hâte de rentrer chez elle^ en poussant des cris de joie ; et, à peine débarrassée 4o son harnais, elle illumina splendidement ses maisons. Cette retraite de la garde nationale livra la capitale aux sociétés secrètes , aux pillards , aux bapdits qui, n'étant pas venus à cause de M. Guizot, ne pouvaieiit pas s'en aller à cause de M. Mole. Devenus les maîtres de Paris quand il n'y avait pas de répression, pou- vait-on croire qu'ils le rendraient quand il n'y avait plus de gouvernement? Cette soirée de Paris fut horrible. Tous les galériens, tous les voleurs, tous les vagabonds, tous les hommes perdus de dettes, mêlés aux émeutiers, aux brouil- lons, aux niais, s'étaient confondus dan$ une im- mense orgie. Les uns flairaient la rapine, les autres le sang, tous le désordre, Timprévu, l'aventure, et, qui sait? peut-être le mot de l'énigme de leur si- tuation. Us allaient, pleins de vin et de fureur, criant, hurlant, promenant des torches, assiégeant les gardes municipaux dans leurs postes, s'essayant, par des meurtres isolés, à quelque catastrophe générale. Il n'y avait plus là pi principes, ni haines politiques. C'étaient LIVUB CINQUIÈME. 24{i la lie et Técume c|e la spciété et ^^ la ville; ç^étaîenl les I^ommes aqi^qqçls Qar|:)ès promettra |e milliard (}u 1 5 maiy et auxquels, le général Cavaigpaç donpçr§ le tombeau du 24 juin, Cepeud^Pl l9 retraite de la garde ns^tioiiale avqit jeté I9 ffational et li^ Réforme dans une grs^nde per^- plç^ité. Q\ie leur faisait Tavénement de Af • Mol^? L^ politique vivait disparu de la rqe avec l^ milice pari- sieqne; et Top ne pourrait plus s'y maintenir désor- mais qu'au nom d'une révolution; mais (yii l'oserait? Fers|it-on un appel au peuple ? Attaquerait-on en facç I4 raonarc)iie? M. Ledru-Rollin trouvait cette idée témér^iire, pt tout le mopde à peu près se r^ng^^ de SOQ avis ' . Oq chercha donc quelque moyen détoqrné et moips d^i^gereux, afin d'jrpter et de soulever le peuple de Paris contre le gouverneqpieqt. VII. La tradition révolutionnaire offrait qn précédant. Lorsque la fraction violente des jacobins, se séparant des constitutionnel 1 se réunit au Champ de Mars , je 17 juillet 1791 1 pour demander la déchéance duroi^ Bailly et la Fayette, par ordre de l'Assemblée con- stituante, proclamèrent la loi martiale , firent arborer le drapeau rouge, et dirigèrent les troupes coptre les factieux , réunis autour de l'autel de la Patrie. Si la Fayette avait ses ordres , les révolutionnaires avaient 1 Lucien de la Hodde, Hist. des sociétés secr^fei, çbap. 3^^u|. 246 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. leur plan. Ils se ruèrent avec des cris sur les troupes; et, pendant que ces furieux les accablaient d^njures et de pierres, l'un d'eux tira un coup de pistolet sur les soldats. Ainsi poussé à bout, la Fayette riposta par une décharge, et couvrit le sol de blessés et de morts. Des meneurs firent aussitôt enlever quelques- uns de ces cadavres, et on les traîna au Palais-Royal, en criant : Vengeance ! on assassine le peuple! Les chroniqueurs et les journalistes les plus autorisés de cette époque déclarent que les émeutiers du Champ de Mars avaient tiré ce coup de pistolet sur les trou- pes de la Fayette, afin que la riposte des soldats leur donnât des cadavres à traîner dans Paris ^ Est-ce préméditation, est-ce hasard? Dieu le sait; mais les Jacobins de 1848 vont se procurer des ca- davres et les traîner dans Paris, pour obtenir la dé- chéance de Louis-Philippe, exactement comme les Jacobins de 1 791 s'en étaient procuré et en avaient traîné , pour obtenir la déchéance de Louis XYL Vers dix heures du soir, au plus fort et au plus beau de Tillumination de Paris , une bande d'à peu près trois cents personnes, marchant sur vingt-cinq ou trente de front , descendit les boulevards, venant des quartiers Saint-Denis et Saiut-Martin. Elle était précédée d'une vingtaine d'enfants, portant des tor- ches allumées. Cette bande, poussant des cris rauques. 1 Voyez les Mém. de Ferrières^ U II, p. 472; et Prudhomme, Révol. de Paris, t. IX, p. 67. LIVRE CINQUIÈME. 217 à peine articulés , se dirigeait vers la Madeleine ^ . Arrivée. au tournant de la rue Lepelletier, elle y en- tra , et se groupa devant la maison portant le 0"" 3, où se trouvaient les bureaux du NationaL Un homme à chevelure crépue , facile à reconnaître , se présenta au balcon et adressa un discours au rassemblement. Celait M. Marrast. « Il harangua cette bande en termes prudents , mais de manière à Texaspérer contre la force publique; il s'apitoya sur les braves citoyens assassinés par des séides impies, et réclama leur licenciement. La foule put comprendre qu'il s'agissait de l'armée ou des gardes municipaux ^. » Le discours fini, un chef improvisé prend le com- mandement de la bande, et s'écrie : « Allons, mes amis, en avant! y> La fou^e s'ébranle, à ces mots, sur les pas de son nouveau chef; et , reprenant les bou- levards, elle se dirige vers le ministère des Affaires Etrangères. A la suite du rassemblement venait un tombereau , qui avait été vu stationnant dans la rue Lepelletier*. Ce tombereau prit par la rue Basse, et s'arrêta en face du ministère. Le chef menait à la boucherie le troupeau de mal- heureux et d'imbéciles dont il venait de prendre le commandement, et le tombereau qui suivait était destiné à emporter leurs cadavres. ^ Nous nous trouvâmes sur son passage, à la hauteur du théâtre des Variéléi. ^ Lucien de la Hodde, Hist. des sociétés secrètes , chap. xxni. 3 Ihid. 218 CHUTE DU KOI LOUIS-PHILIPPE. Le ministère des AfTaires Étrangères, attaqué déj^ ia veille, était défendu par des troupes de ligne , par des dragons et par des gardes municipaux , sous les ordres d'un officier d'état-major capable et résolu , M. de Braquehaye. A l'approche de la bande, annoi^- cée de loin par les torches, et au milieu de laquelle flottait un drapeau rouge, pris à la porte ou dans les bureaux du National ^ la petite garnison du ministère, se mit sous les armes et couvrit l'hôtel. Le rassemble- ment s' avança, vociférant, brandissant des fusils et des sabres, comme s'il avait résolu de forcer le pas- sage. M. de Braquehaye l'arrêta avec fermeté, au nom de sa consigne. Alors le chef de la bande, (( l'homme au paletot gris, à la figure maigre, aux cheveux flot- tants^, » dans lequel tout le monde a cru, depuis lors, reconnaître M. Charles Lagrange, allonge^ le bras et tira un coup de pistolet. A cette attaqua sou- daine, que le nombre, les armes, les cris, lea dispor sitions manifestes des insurgés rendaient fort sérieuse, la troupe riposta par un feu de peloton , qui couvrit ia chaussée de morts et de blessés. C'était évidemqient pour ce résultat ssinglapt qu'on avait attaqué le poste des Affaires Étrangères, (.es mi- sérables victimes de cette horrible machi^atiop étaient à peine tombées, que Içur^ cadî|vres furent amonce- lés dans le tombereau. On les y plaça d'une manière dramatique, les plaies saignantes bien à découvert , surmontés du corps d'une femme à demi nue, et les * Lucien de la Hodde, Hist. des sociétés secrètes , chap. xx^ii. LIVRE CINQUIÈME. 219 cheveux épars. Quant cet entassement hideux fut artislement disposé, rhonoime au paletot gris plaça les torches devant le tombereau, et s'écria : « Au iVa- iional ! » Cette officine de conspiration parut à ses amis avoir plus de çlroits que toute autre à cette of- frande de chair humaine. Des bureaux du National, le tombereau se dirigea, à travers le quartier Montmartre , vers les bureaux de la Réforme. Il y arriva vers minuit , après avoir semé répouvante et T horreur sur son passage. La bande armée et hurlante qui raccompagnait disait partout , comme oq le pense bien , que ces pauvres morts étaiept tombés victimes innocentes d'un pouvoir impitoyable. Nul n'aurait pu croire en effet que ceu}$: qui demandaient vengeance étaient les véritables as- sassins. VIII. Un acte si atroce ne permettait plus aux conspira- teurs de reculer. Le tombereau roula toute la nuit daps Paris, consternant ceux qu'il n'exaspérait pas. Un immense orage s'amassait, donc pour le lendemain; mais la question politique avait disparu, et c'était la Révolution elle-même qui se posait en face de l'ordre et de la monarchie. Arméed'un tel drapeau, l'émeute étaitau fond moins dangereuse que la veille, parce que son but était plus évident. D honnêtes et de laborieux bqutiauiers avaient f\\ être égarés par des afnbitieux dans une 220 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. question posée en termes équivoques; mais personne ne pouvait se flatter de leur faire prendre le change dans une lutte engagée contre le trône, dont la sécu- rité était liée à celle des familles. Éclairé, peut-être un peu tardivement , mais éclairé enfin , le gouver- nement se résolut à une vigoureuse agression. Les ministres étaient réunis, depuis la veille, au ministère de Tintérieur. Instruit le premier de la scène tragique du boulevard des Capucines, M. Duchâlel proposa de donner au maréchal Bugeaud le com- mandement général delà garde nationale et des trou- pes. C'était déjà l'avis de M. Guizot. La présence de M. Duchâtel pouvant être nécessaire au ministère de rintérieur, M. Guizot et M. Dumon se rendirent aux Tuileries. Le roi, toujours ferme, partagea l'avis de ses ministres, et la nomination du maréchal fut ré- solue. La signature de M. Duchâtel était nécessaire pour rinvestir du commandement des gardes natio- nales, et celle du général Trezel pour lui donner le commandement des troupes. Il fut donc convenu que les ministres de l'intérieur et de la guerre se ren- draient, vers minuit, près du roi, pour signer les or- donnances. Les choses se passèrent en effet ainsi. Le maréchal Bugeaud, qu'on savait prêt à accepter et à remplir la tâche terrible, mais nécessaire, qui lui était confiée , devenait l'arbitre de la situation. Dès que la cause de Tordre et des lois était remise en de telles mains, la société et la monarchie pouvaient être tranquilles. LIVRE CINQUIÈME. n\ L'armée était disciplinée et résolue , la garde natio- nale était désintéressée par son déplorable triomphe. C'était donc en face de purs émeutiers que Ton allait se trouver. La situation était nette et la victoire cer- taine. Les ministres , qui n'avaient plus de l'autorité que la forme et la lettre» terminaient leur carrière par un acte de courage et de patriotisme. Ils s'en al- laienty acceptant, non-seulement devant la justice de rhistoire, mais devant la violence des passions con- temporaines, la responsabilité d'une lutte sanglante. Ils voyaient, en se retournant, le trône debout , et le devoir accompli les consolait amplement du pouvoir perdu. Malheureusement l'esprit d'hésitation et de chimère cheminait, depuis deux jours, autour du roi, ga^ gnant peu à peu la famille royale, et aveuglant ses plus fidèles amis. Louis-Philippe portait encore en lui, à cette heure, tout ce qui restait aux Tuile- ries de bon sens et de fermeté. Il ne voyait qu'une œuvre à entreprendre, faire triompher la Constitu- tion dont il avait la garde; et il ne comprenait qu'un moyen pour l'accomplir, l'emploi de la force honnête de l'armée contre la force immorale de l'é- meute. Ces allures hautes et droites, les seules dignes du pouvoir attaqué dans sa légitimité et dans sa ma- jesté, effrayaient la famille et les conseillers intimes du roi. Lorsqu'il s'agissait de vaincre le désordre, on songeait à l'apaiser par des ménagements , et à le fléchir par des concessions. La combinaison tentée 222 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. par M. Molé était déjà épuisée, et son impttissancô reconnue. M. Thîers avait accepté, vers oûzfe heures, la mission de composer nn ministère, conjointement avec M. Odilon Barrot. On combattait, autour du roi, la nomitiation dn lïiaréchal Bugeaud comme impopulaire, et Ton affec- tait de dire qu'elle pourrait irriter l'insurrection et attietier la retraite du nouveau cabinet. Le roi tint bon, disant qu'il ne fut jamais nécessaire que les généraux chargés de combattre Témeute eussent l'a- grément des émeutiers. Mais on voyait déjà poindre dans ces objections le germe des faiblesses et du désordre qui signaleront la journée du lendemain; et . c'est pour s'être laissé vaincre aux Tuileries que le vieux roi sera vaincu datis les rues. IX. Appelé près du roi vers deux heures du matin , le maréchal Bugeaud prit le commandement général des gardes nationales et des troupes. Son expérience, son activité, son énergie abrégèrent les préparatifs; et, à cinq heures, quatre colonnes parlaient : la pre- mière pour l'hôtel de ville, la deuxième pour la Bas- tille, la troisième, placée entre les deux autres, les appuyait toutes deux ; la quatrième se rendait au Panthéon. L'ordre général était de détruire les barri- cades et de briser toute résistance par la force éner- giquemeiit employée. LIVRE CINQUIÈME. 223 A sept heures, toutes ces colonnes étaient arrivées aux pointe indiqués , à l'exception de la deuxième. M. lé général Bedeaii, qui la commandait, prit sur Itii d'arrêter ses troupes à la hauteur du théâtre du iSymnase, pour parlementer avec des bourgeois'. SMl avait agi militairement, exécutant ses ordres sans les discuter, comme un soldat doit le faire , il est probable que la lutte se serait immédiatement engagée. Le pretnier coup de canon tiré, on ne pou- vait plus reculée. Néanmoins, il faut bien le reconnaître , le dissol- vant le plus actif de l'armée, du pouvoir et de la représentation nationale ; la cause directe et immé- diate du désordre, de la défaillance et de la catastro- phe, ce fut la nomination du ministère de M. Thiers et de M. Barrot. Il serait difficile d'imaginer et impossible dé pein- dre Taffaissement subit et profond dans lecjuel les journées de février jetèrent M. Thiers. On avait pu attendre de lui des légèretés , persontië n*en avait attendu de la peur. L'émeute de 1834 Tavait trouvé rempli de l'intrépidité la plus militaire; celle-ci le trouvait irrésolu , muet et consterné. Il est vrai qu'en ^ « Fallait-il marcher quand même, et repousser les gardes na- tionaux? 0 dit M. le général Bedeau, dans une lettre publiée le 4 avril 1850. — Le bon sens répond qu'un soldat doit faire tout ce qa'il a reçu Tordre de faire; — l'histoire du 43 vendémiaire an III et du 13 juin 1849 ajoute qu'on ne ménage pas les gardes nationaux eux-mêmes, quand ils ont ac opté, r.voc ses cens M|uence:5 , io lôle d'émeutier*. m CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. 1834, M. Thiers n'avait pas sapé rautorité royale; le règne était à son débat , et il pouvait paraître utile de défendre énergiqoement les longues années de pouvoir qu'il promettait encore. En 1848, tout était changé. La violente secousse sous laquelle ployait la monarchie, c'était M. Thiers qui Tavait imprimée; le règne penchait vers sa fin; les faveurs à lui de- mander étaient courtes, et un ambitieux pouvait trouver excessif le prix sanglant dont il fallait les payer. Si ce calcul était au fond de Tâme de M. Thiers et la glaçait, il aurait dû montrer à la patrie le dé- vouement qu'il refusait au trône. L'égarement de Topinion publique était son œuvre; et, après avoir pris Tordre et la sécurité à la France, ce n'était pas assez que de lui donner M. Barrot. En effet, remettre la défense du trône à M. Odilon Barrot, en présence de l'émeute de février, c'était livrer le trône à l'émeute elle-même. Toute la force de M. Barrot était dans sa popularité ; et comme cette popularité était le fruit de dix-huit ans employés à flatter les préjugés de la multitude , cette multitude était précisément l'obstacle contre lequel M. Barrot se trouvait désarmé. D'un autre côté, l'émeute avait pour cause et pour origine le banquet de Paris, au- quel le chef de l'opposition avait, directement ou in- directement, convié la ville tout entière. C'était déjà beaucoup, c'était trop peut-être , de s'être séparé de ses alliés des, banquets, au moment du péril; mais si LIVRE CINQUIÈME. 225 M- Barrot ayait pu lea abandoBOôr, il était le. eeul qui 06 p]^t pas les faire mitrailler. Les membres du opuveau ministère, MM. Tbiers, 04ilou Barot, Cûusin, Duvergiar de Hanranne, réu- pis vers sept heures du matin aux Tuileries , prirent possession du pouvoir par un acte qqi entraîna toutes les défaillances de la journée. Ils retirèrent le com- mandemisnt général des forces militaires au maréchal Btigeaud, et firent ordonner la retraite immédiate des iroupas, réservant à 1^ garde nationale le soin de rétablir Tordre. Le maréchal refosa tout d'abord à M. Thiers et à ]V1. Barrot, en personne» d'exécuter de pareils ordres , 0t i) n'obéit que sur de nouvelles injonctions, direc- tement transmises par M. le duc de Nemours, au nom du roi *. X. Çet|;e versatilité (JaRS la défëpse assura le triom- phe des révolutionnaires. Que pouvait la g^rde na- tionale, dissémjpée sur tops }ies points de Paris, sans unité de vues, sans direction, sans ordres, mêlée depuis degx jpprsà Témeu^, et ay^pt un bon nombre d'insurgés dans ses propres rangs? Ce fut même bien inutilement que le nopvesp mipistèrp Ipi donna pour chef M, le général de Lamoricière ^, ^ Lettre du ingréc))al Bugeapd sur las journées de février. ^ M. Guizot étant venu aux Tuileries, verç huit heures du matio, 45 «26 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. puisqu'on était décidé à ne pas combattre. Le nou- veau général parut résigné à un rôle bien peu digne de son brillant courage. Il se jeta plusieurs fois aa- devant ou au milieu des bandes armées, pour les haranguer; mais autant on eût redouté son épée, autant on dédaigna ses discours ^ Quand Tautorité fut ainsi désarmée, et que le trône, les institutions, les lois, la France tout entière eurent été abandonnés par le nouveau ministère à la discré- tioQ d'une émeute debout depuis trois jours, M.Odi- lon Barrot entreprit une œuvre que lui seul, au monde, pouvait concevoir : suivi de quelques amis, il se dirigea , par les rues Sainte-Anne et de Grammont , et par les boulevards, vers la Bastille, faisant, de distance en distance, des discours pour ramener la concorde. C'est ce qu'il avait imaginé de plus puis- sant et de plus décisif pour faire tomber les barri- cades, pour imposer silence au hurlement féroce et aviné des brigands, maîtres de Paris, et pour déter- miner les sociétés secrètes à rentrer docilement dans leurs repaires. Ce qui arriva de ces harangues, on le devine sans pour faire au roi sa visite de ministre sorti, Louis-Philippe le pria de se rendre à TÉtat-major, auprès du général Jacqueminot, et de préparer à M. de Lamoriclère une réception courtoise. M. Jacqueminot accueillit fort bien son nouveau successeur, et lui prêta son habit de général de la garde nationale , qu'il endossa. * «... Il y courut de très-bonne volonté, dit le maréchal Bugeaud; mais il revint bientôt me dire qu*on n'avait pas voulu l'écouter. > Lettre du maréchal Bugeaud. LIVRE CINQUIÈME. 2117 peine» Peu de gens les eatôodaient, au milieii de ce kmneite de voix qui grondait dans les rues \ quel- qàes^Qtis les applaudissaient^ d^àutres les raitlfaient; tous admiraient cette GotifiànGe haïve et béate d'uti ministre ivre dé son pouvoir^ jetant des phrases au loap populaire^ sorii depuis trois jours de son antre, et décidé à n'y rentrer que repu de sang. Dans ce spectade navrant et hideux, M. Odilon Barrot ne vit que son titre et n'entendit que sa voix. Satisfait de vivat dérisoires et d'ovations imaginaires , il s'ache- mina vers le ministère de rintérieur ; et là ^ presque à rheure même où Louis-Philippe signait son abdi- cation ) M. Odilon Barrot annonçait , par une dépêche télégraphique, aux départements, que les troubles étaient finis^ et qu'il présidait le conseil des ministres! La retraite des trdupes avait inopinément donné gain de cause à la Révolutioi) ; ce triomphe doubla ses foroeS;. Maîtresse de Thôtel de ville ^ qu'on venait de lui abandonner sans coup férir, die se dirigea v^^ les Tuileries. Une confusion d'idées inconcevable [aveuglait la plupart des esprits Sur le caractère réel de Tagitation* Cette agitation avait eu, dès l'origine, deux éléments : l'élémebt politique et l'élément révolutionnaire» I^e premier, égaré par le délire de l'ambition, avait poursuivi, au prix d'une sédition armée, la chute du ministère. Il avait obtenu pleine satisfaction dès le 22i février, ver^ trois heures de l'après-midi ; et ce qui le prouve > c'est que la garde nationale , person-^ i5. 228 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. nification de cet élément politique, s'était spontané- ment retirée à la nouvelle de la démission du cabi- net. Elle était satisfaite et joyeuse, car elle illumina Paris, aux cris de Vive le Roi! Pourquoi donc Témeute ne fit-elle pas comme la garde nationale? Pourquoi resta-t-elle , au contraire, maîtresse de Paris, attaquant les soldats, élevant des barricades, plus hurlante et plus menaçante que jamais? C'est que Témeute proprement dite, person- nification de l'élément révolutionnaire , ne pouvait être satisfaite que par la chute de tous les pouvoirs et par la capitulation de la société. C'était donc bien en vain qu'on lui jetait les concessions, Tune après l'autre; c^était en vain qu'on lui donnait M. Thiers, après M. Mole; M. Barrot, après M. Thiers ' ; M. de Lamoricière, après le maréchal Bugeaud; la retraite des troupes, après leur immobilité : l'esprit révolu- tionnaire accepte ce qu'on lui cède, mais il s'en sert pour arracher ce qu'on lui refuse. 11 était bien aisé de le reconnaître à ces exigences toujours nouvelles , qui le caractérisent; et, après avoir laissé passer l'élément politique, puisqu'on s^y était résigné, il fallait, saus hésiter, barrer le chemin à l'élément ré- volutionnaire avec du canon. C'est ce qu*avaient voulu faire quelques esprits clairvoyants et fermes. 1 Lorsque M. Thiers fut chargé , le 23 février , vers onze heures du soir, de composer un cabinet, il était président du Conseil. Le 24. à dix heures du matin, M, Thiers, devenu impossible à son tour, demanda au roi et obtint la présidence pour M. Odilon Barrot. LIVRE CINQUIÈME. 229 M. Duchàtel, M. Guizot, leurs collègaes, le roi, le maréchal Bageaud : raveuglement des autres para- lysa et perdit tout. XL Il était environ midi lorsque Tagonie de la monar- chie de juillet commença. Le roi était dans son cabi- net, l'ancien cabinet de Louis XYI, de Napoléon P', de Louis XYIII et de Charles X. Autour de lui étaient la reine, M*"'* les duchesses d'Orléans et de Montpen- sier, M. le duc de Montpensier, les maréchaux Soult et Gérard , plusieurs des ministres de la journée , M. Thiers, M. de Rémusat, M. Cousin, M. Duvergier de Hauranne,, un grand nombre d'aides de camp et d'officiers. On était toujours dans la même illusion , on prenait les bandits pour des hommes politiques; on élevait les voleurs à la dignité de factieux. On re- culait devant eux ; on ménageait leur rage avinée , qu'on appelait de Virritationj on les faisait haranguer poliment par le général de Lamoricière, par le ma- réchal Gérard; les bandits avançaient toujours. On ne savait que faire. Tout à coup , dans ce cabinet de la royauté irréso- lue, et par conséquent morte, entre M. Emile de Girar- din.'ï^aguère député, il avait donné sa démission de- puis quelques jours. Actif, véhément, ayant beaucoup de courage, moins de discernement, il avait traversé, écouté, étudié Témeute. Avec un esprit plus prompt 930 CHUTE DU HOl LOUIS-PHILIPPE. f|ue juste, il avait imaginé et fortBulé, daob un fitylë ooBcis qai lui est propre, la solatioa du redoutable problème, et il rapportait tout uuiment au roi; Cette solution était celle-ci : Abdication du roi, Régence de madame la duchesse d'Orléans , Dissolution de la Chambre, Amnistie générale. Ce n'était pas une trahison^ puisqu'une partie de la famille rdyale appuya M. de Girardiù , mais c'était bien évidemment une folie. Puisque M. Odilon Barrot^ extrême limite des opi- nions monarchiques et constitutionnelles, n'arrêtait pas l'émeute, c'était bien la preuve qu'elle voulait aller plus loin que la constitution et la monarchie. Et si le roi^ un homme expérimenté et courageux, appuyé par une majorité dévouée^ était impuissant à dominer la situation^ comment un enfant, sans cham- bre^ puisqu'elle était dissoute; sans régence, puisqu'il fallait en faire une nouvelle^ réussirait-il à calmer les passions ou à les vaincre? L'insistance de M. de Girardin^ les coups de feu tirés par une bande sur les soldats héroïques d'un poste voisin, tous les moyens épuisés, excepté le bon, lé courage, frappèrent les assistants de 8tu-« peuri On rét)éta si souvent et si vivement au roi que son abdication âeule pouVait arrêter et satisfaire rémeute, que Louis-Philippe, sincèrement convaincu d'un changement des classes moyennes à son égard. LIVRE CINQUIÈME. 23f se dépouilla, en faveqr de son petit*filB, d'un pouvoir repris par ceux qui le lai avaient donné. ^e\ fut le sentiment qui dicta Tabdication du roi. On lui nnuitra la bourgeoisie de 1 830 derrière les barricades de 1 &48 ; et le fils de la révolution de juillet recula, n'osant p^s frapper sa mère ! Peux hommes, parmi tous les assistants, ne ftiNmt pas aveuglés par ces chimères, et ne crurent pas que les sociétés secrètes et les communistes, qui étaient alors rame de Témeute, reculeraient devant des«90Fcaanx de papier, collés aux murs de Paris, ou semés sur les barricades : c'étaient M. Piscatory, récemment nommé ambassadeur à Madrid, et le maréchal Bugeaud. Lors* que le roi prit la plume pour rédiger et pour signer son abdication, M. Piscatory s'écria : « N'abdiquez pas. Sire ! yotre abdication , c'est la répp^lique 4fll?S( ^^le heqre \ » |-e maréchal Bugejiud, ftppoqru s^ mo),d'a)hr dicatiqq, sqpplia le roi de s'arrête^. IJn tpl aG|;e désar- merait les troppes; l'émeute approchait, et i| ne res- tait qu'à combattre*. La rejpe, reypRue de so?} prreiir de )g vejlle, appnya ces paroles ; le roi ppsa 1$ pluo^P» Malheureusement le mauvais génie de la situation rentra avec M. le duc de Montpensier, M. de Girar- din et M. Crémieux, sortis up instant. Louis-Philippe fut sommé, avec moins de respect que n'en méri- taient un vieillard et un roi , de tenir la parole don- née. Il reprit la plume. Le cabinet s'était rempli d'in-^ ^ Rapport du général Trézel. ^ Lettre du maréchal Bugeaud. ^ 28t CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. connus. Les uns disaient : Mais, dépêchez-vous donc! Vous tC m finissez pas I D*autres s'écriaient : Ah! mais ^ cela ne peut aller comme cela, il faut que vous déclariez la duchesse d'Orléans régente! Le roi répondit avec dignité : D'autres le feront, s'ils le croient nécessaire,' mais moi je ne le ferai pas. Cest contraire à la loi, et comme, grâce à Dieu, je n'en ai encore violé'aucune, je ne commencerai pas dans un tel moment ' . L'acte d'abdication était conçu en ces termes : (( J'abdique cette couronne^ que la voix nationale m'avait appelé à pbrter, en faveur de mon petit-fils, le comte de Paris. » Pttisse-t-il réussir dans la grande tâche qui lui échoit aujourd'hui ! » Signé : Louis-Phïlippe. » L'abdication signée, le roi la lut à haute voix. Le désordre était si grand, que cette pièce fut comme arrachée des mains du roi. Loais-Philippe passa dans un cabinet à côté, d^où il revint en habit de ville. Les princesses pleuraient; la reine s'écriait : « Les Fran- çais regretteront un si bon roi; mais il sera trop tard! » xn. Le dénoùment approchait. Madame la duchesse d'Orléans , la voix pleine de sanglots , dit au roi qui ^ Récit de M. Kroker, éditeur d^ la Quarterly Review, rédigé sur les notes du roi; cité par M. Véfon, Mém, d'un Bourg, de Paris, LIVRE CINQUIÈME. «33 partait : a Qaoi I vous me laissez seule ici , sans pa- rents, sans amis, sans conseils ! Que voulez-vous que je devienne? — Ma chère Hélène, répondit le roi, il s'agit de sauver la dynastie et de conserver la cou- ronne à votre fils. Restez donc pour lui ^ » Le roi , la reine et les princesses partirent , et madame la du- chesse d'Orléans retourna dans ses appartements. Sans les ordres qu'avait donnés M. le duc de Ne- mours , le départ de la famille royale ne se fût pas opéré sans danger. Elle suivit à pied la grande allée des Tuileries, passa la grille dite du Pont-Tournant, et arriva vers une heure au pied de l'obélisque. Il y eut là un moment de confusion, et la famille royale fht entourée et pressée par la foule, qui avait déjà envahi la place de la Concorde. Le roi et la reine conservè- rent leur sang-froid et leur dignité. Deux petites voi- tures, que M. le duc de Nemours avait envoyées par le quai, encore libre, arrivèrent enfin ; la famille royale s'y entassa et partit par le quai de Billy, sous Tescorle d'un escadron de cuirassiers et d'un détachement de garde nationale à cheval , commandé par M. de Mon- talivet. Il ne restait aux Tuileries , de la famille royale , que madame la duchesse d'Orléans, avec ses deux enfants , et M. le duc de Nemours. Madame la duchesse d'Orléans avait jugé sa véri- table position mieux que personne , lorsqu'elle avait dit au roi : a Sans amis , sans conseils , que voulez* * 1 Rapport du général Trézel, 234 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. voupqpe je devienne? n Ifis esprits chiuoériqqes, iqt venteiirsi de sa r^genœ , avaient déjà dipparn- Sop beau-ppre n'étflit pins rpi , et sw fils ne Tétait |^ai e^porq. Le seraîMl? Des altarnative^ de résolutieii et de découragemeqt se partagèrent pon àm^, Elle s'as^t dans son salon i ^us )e portrait de son mari , avep «es deux ppfanta à côté 4*eIIei déclarant qo'elle'attefidrait là Fémpute, et qu'elle voulait y iqpurir. ^n ce njproent arriva M. Tqupbard, ofiScjer d'Qfdonnaace, v^anl an nom de ^. le dn<^ 4^ Nemoqrs; il pria la pnarr ce^ de se rendre , par la conr, an pavillon de l'Horr loge, on le princ^ F amendait ^ la tête d'un peloton d'infanterie. Madame la duchesse d'Orléans j redevenue calme , avait alors pr^ d'elle qnelques personnes de sa mair son, Q^ad^PP devins, sa dame d'honneur, et M. de Ghabaud-Latour, Trpis autres personnes s'y étaient rendpes, poussées par les tristes circonstances où Ton se trpuvait, M. Tamiral Hamelin , M. le marqnis de Grammppt et Af . Dupin atné. Qnoique l'ami et le conseil de LppisrPhilippe, M . Dupin , retenu chez lui par un état momentané de souffrance, n'avait su que par ppï dire l'abdication et le départ d\^ roi. Il avait également appris par la voi^ publique le bruit , asse?; généralement répandu « quoique sans fondement sérieux , de la régenpe de madame la dnchesse d'Oriéans. arrivé près d'elle , i| lui parla de sa régence; et la princesse, soit qu'elle y crût elle-même , soit qu'elle n'eût pas été frappée LlVHfi OINQUIËMB. 235 de Tobservâtion dd M. Dupiti^ ne le désabusa pas. Cest sods l'empire de ce maleûtendii que M. Dupiti M proposa de la conduire à la Chambre, avec le Qdti- Veau rdis M. le duc de Nemours, en fhisânt itiTitër madame là ddchësisë d'Orléaas à yeuir le joindre , n'avait en d' autre idée que de protégëi' la retraite de la prin- cesse sur Saint-Gloudi II doiina des ordres en consé- quence à Une partie de la cavalerie $ mAssée sur la place , sous le commandeinent du général Bedeau. De sGti côté, madame la duchesse d'Orléans avait d'abord formé un dessein dans lequel il entrait moins de réflexion que de dévouement maternel et de cou- rage. Elle voulait aller présenter le jeune t*oi à THôtel de ville, et solliciter du peuple la consécration de son pouvoir. La princesse ignorait, en formant de tels pro- jets, que l^Hôtel de ville appartenait, à cette heure, à la population des barrières et des bouges, mais que le véritable peuple n'y était pasi Elle y avait d'ailleurs renoncé) par suite des offres de M^ Dupin de la eou'- dbire à la Chambre. Le trajet était long des appartements de madame la duchesse à la grille dd pont Tournanti M^ le ddc de Nemours était déjà parti ^ et$ en ce moment^ il prési-> dait au départ du roi et de la reine sur la place de la Concorde. Quand la duchesse arriva à l'extrémité du jardin des Tuileries^ la grille était fermée. On se trou- vait d'ailleurs satis voiture pour îa conduire à la Chambre. M. Dupin en fit demander une au ministère 236 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. de la mariDe; il n'y en avait pas. La grille s'ouvrit enfin, et la foule, qui était considérable sur la place, s'approcha. Toujours sous l'empire d'un premier malentendu, M. Dupin crut devoir proclamer, en présence de celte foule, non -seulement M. le comte de Paris comme roi, mais madame la duchesse d'Or- léans comme régente. On se dirigea alors, sans es- corte, au milieu de quelques gardes nationaux et de beaucoup d'inconnus, vers le palais Bourbon. Voilà tout ce qui reste d'une monarchie si forte il y a trois jours! Une femme à pied, dans la boue, menant deux enfants par la main, se réfugiant dans une enceinte ouverte à la multitude, et dans la- quelle Tambition et la peur feront taire le devoir et glaceront le dévouement ! XIII. La Chambre des députés était morne et peu nom- breuse. Son président, M. Sauzet, était monté au fauteuil à midi et demi. Aucun homme considérable ne s'y trouvait. On s'étonnait de l'absence de M. Odi- lon Barrot , qu'on savait président du conseil. M. Thiers ne paraissait pas; M. de Lamartine n'était pas arrivé ^ . Aucune force ne gardait la Chambre, ou- verte, accessible plus qu'à l'ordinaire aux désœuvrés ^ Quoique M. de Lamartine, dans son Histoire de la RévohUicn de 4848, raconte ses impressions personnelles au commencement de la séance du 24 février, la vérité est, non-seulement qu'il n'y était pas, mais encore qu'il s'est très-légèrement renseigné. Ainsi, il décrit longuement, minutieusement l'arrivée, le costume. LIVRE CINQUIÈME. 237 et aux curieux. Tout signalait Tabsence d'un homme d*État dévoué aux institutions et préoccupé de leur défense. Les tribunes étaient garnies, mais sombres. On savait l'abdication et le départ du roi. On s'infor- maity on s'entretenait avec anxiété, et Ton attendait. Au milieu de cette préoccupation, madame la du- chesse d'Orléans entra. Il était une heure et demie. Elle tenait de la main droite le nouveau roi, de Tau- ire le duc de Chartres. M. le duc de Nemours et des aides de camp des princes accompagnaient la du- chesse. Arrivée par la porte du rez-de-chaussée, à la droite du président, elle s'avança vers Thémicyde et s'assit, accueillie par de vives acclamations. L'immense majorité de TAssemblée était évidem- ment disposée à sanctionner immédiatement de son vote la nouvelle royauté ; mais la démarche de la du- chesse prenait les députés au dépourvu. Il n^y avait là aucun ministre, aucun homme considérable ou ré- solu, pour enlever avec rapidité et pour exécuter avec énergie la décision de la Chambre. Quand la prin- cesse fut assise, on se tut, on attendit, et l'on se regarda. Il n'y avait là ni plan , ni parti pris. L'un des députés présents, M. Lacrosse, pria le les traite, raUitude, le cortège de madame la duchesse d'Orléans, qu'il fdit entrer... par la porte qui mène à la buvette. Arrivée à la Chambre par la grille du quai et par la grande salle de la Paix , la princesse entra par la porte qui est la plus rapprochée de la salle des conférences, et qui touche aux bancs de Textrême droite. Elle passa donc tout juste contre le banc de M. de Lamartine, et à deux pas de sa place, où il n'était pas. t'èH CHUTE DU ROI LOUlS-PHlLlPPE. président de donner Id parole à M; Ddpin ; et Mi Da- pin de s'écrier s « Je ne Tai pas demandée ! >i II aVail raison ; et quoique aucun bon citoyen ne pût refusét, en ce moment, sop assistabce à l'ordhs et aux lois, il semble que les deux ministres importante , M* Thiers et M< Barrot^ auraient dû se trouver là, pi^ts à donner leur appui à la monarchie. Poussé par les cris de ses collègues , M. Dopin monta à la tribune; mais, pris au dépourvu, et étran- ger aux événements^ il se borna à proposer à la Cham- bre de sanctionner l'abdication du roi en faveur du comte de Paris, ainsi que la décision royale qui trans- férait la régence à madame la duchesse d'Orléans. L^avénement du jeune prince était un fait logique et l^al, avec lequel on pouvait entraîner là Chambre ; mais la régence, déjà attribuée à Mt le duc de Ne- mours par une loi^ ne pouvait être transférée à ma- dame la duchesse d'Orléans que par une loi nouvelle. Les derniers mots de M. Dapin ouvraient donc ânx légitimistes et aux républicains la voie des protesta- tions; ils ne manquèrent pas d'y entier. M. SauKet, saisissant les acclamations de la majo- rité^ essaya néanmoins d'arriver à une manifestation parlementaire ou à un voté ; mais la porte d'une dis^ cussion sur là régebce était ouverte ; les ennemis for- malistes s'y précipitèrent. D'ailleurs, M« Odilon Bar^ rot, premier ministre, était toujours absent. On obtint, avec quelque apparence de raison, que la discussion sur un sujet si capital et si brûlant fût ajournée jus^ LIVRE CINQUIÈME. Î39 qu'à ce que le gouvernement, premier intéressé, pût apporter sa pensée officielle. Moments précieux , fata- lement perdus , et qu'on ne retrouva pas. En ce moment se produisit un incident étrange^ H. de Lamartine, arrivé depuis peu, insista^ au nom du respect dû à l'Assemblée , pour que la discussion cessât jusqu'à ce que madame la duchesse d'Orléans et le nouveau roi se fussent retirés. Ce mot était un présage sombre. La phrase de l'orateur, ordinaire- ment vague, était devenue louche '. M. de Lamartine annonçait sa pensée sans la dire, comme s'il en avait eu peur, ou honte. Il demandait à l'Assemblée de faire sortir la princesse et ses enfants , qui représen- taient le trône, mais il gardait les clubistes, déjà nombreux dans la salle, qui représentaient la rue. Le président eut la faiblesse de consentir à cet éloignement de la duchesse ; mais elle résista, comme si elle avait senti que sa dernière chance était dans son courage. En' ce moment, un grand tumulte se fît aux portes de la salle. C'était une bande que M. Marrast, inquiet de l'accueil fait à la princesse et à ses enfants, élait allé chercher lui-môme. Les per- sonnes qui entouraient madame la duchesse d'Orléans la firent monter, par le couloir central ouvert en face de la tribune, jusqu'aux bancs supérieurs de la ^ Voici cette pbrâse extraite du Moniteur : « Je demande à M. le Président de suspendre la séance, parle double motif du res- pect que nou$ inspirent, d'un côté la représentation nationale, et de l'autre , la présence de Tanguste princesse qui est ici devant nous. » 240 CHUTE DU KOI LOUIS-PHILIPPE. Chambre, où elle s'assit. La salle était à qioitié en- vabie. M. de Lamartine ne demanda ppis qu'on ftt sortir cette bande; il ne trouva pas sans doute qu'elle manquât, comme le nouveau roi et sa mère, nu res- pect dû à la représentation nationale, et il se trouva libre au milieu des factieux. XIV. Enfin, M. Odilon Barrot, absorbé jusqu'alors par le soin d'annoncer partout son ministère , arrive à son banc \ Vous croyez qu'il va, par une déclaration, par un acte, par du bon sens et par du courage, s'empa- rer enfin de la situation et la diriger? Il arrive, et il trouve que c'est bien assez. Il s'assied, il se tait, et il attend. Enhardi par tant d'irrésolution ou de couardise, le désordre gagne du terrain. La, basoche républicaine ^ M. Sauzet s^exprime ainsi à ce sujet : « Le Président envoya prévenir M.O. Barrot, qu'il avait fait inutilement cberchjer plusieurs fois au ministère de l'intérieur, que la Chambre siégeait, et qu'elle attendait le gouvernement , pour établir avec lui une communication prompte et nécessaire. — On remit au Président une lettre écrite, (i une heure, par le secrétaire de M. 0. Barrot. Cette lettre Tinformait que M. Barrot était aux Tuileries, que tout marchait vers une paci* fication , et qu'on l'écrivait dans les départements. En effet , une dé- pêche télégraphique partit à une heure et demie, pour annoncer la pacificiition des troubles par l'abdication du roi , et la régence de madame la duchesse d'Orléans. Elle a été publiée dans tous les départements. » — La Chambre des Députés et la Révol. de février, p. «86,293. LIVRE CINQUIÈME, Ui se jette sar le thème inespéré de la régence. Les Marie, les Grémieux triomphent à Taise des impossibilités constitutionnelles qu'ils en font sortir. Une comédie honteuse de légalité arrête les caractères hésitants ou déconcerte les timides. M. Marie s'écrie : « Vous ne pouvez pas faire au- jourd'hui une régence nouvelle ! obéissez à la loi! Je demande un gouvernement provisoire qui puisse avi- ser concurremment avec les Chambres I » M. Grémieux s'écrie : « On s'est trop hâté en 4 830 ; nous ne voulons pas nous hâter en 1 848. Il faut pro- céder régulièrement, légalement, fortement. La ré- gence violerait la loi ; formons un gouvernement pro- visoire qui réalise, avec la Chambre j les promesses de Juillet. » Ainsi parlaient du respect dû aux lois ceux qui , devenus maîtres du pouvoir par un subterfuge, con- fisqueront immédiatement la souveraineté nationale. En cet état de la discussion , du désordre et du tumulte, M. Odilon Barrot se dirigea enfin vers la tri- bune. Il en monta les degrés lentement, solennellement. Il parla environ dix minutes. Jamais £a parole n'avait été plus vague, plus sonore et plus vide. Rien de nouveau , rien de décisif. C'étaient des lamentations sur une femme et sur un enfant. Cependant il repré- sentait le pouvoir, on se rattachait à lui ; on l'applau- dissait, pour lui donner de la résolution et de la force. Tout cela était néanmoins si mou, si nuageux, si désespérant, que la princesse, saisissant un intervalle 16 tit CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. de silence, se leva , tenant à la main un papier que venait de lui remettre M. Grémieux. M. Dupin , le lai retirant des doigts, s'écria : « Parlez vous-même, madame la duchesse; quoi que vous puissiez dire, votre discours vaudra toujours mieux que celui-là. » Le visage de la princesse était calme et sa voix ferme. Elle commença ainsi : « Je suis venue avec ce que j'ai de plus cher au monde ^ . . )> A ces mots, M. Barrot cou- vrit la voix de la princesse, et reprit son discours inter- rompu. Qu'aurait produit cette intervention coura- geuse de la veuve du duc d'Orléans, de la mère da nouveau roi , au milieu de cette Chambre dévouée mais hésitante , égarée par les avocats , envahie par la multitude ? Nul ne pourrait le dire ; mais elle eût évidemment posé la vraie question du moment , dont tous les orateurs s'écartèrent. La fin du discours de M. Barrot fut digne du dé- but. Des idées générales, des conseils raisonnables, un appel à la modération et au bon sens; aucune initiative prise, aucune voie tracée, aucun parti ar- rêté , aucun dénomment préparé. Il conclut en pro- posant la régence de madame la duchesse d'Orléans, un ministère choisi dans les opinions les plus éprou- vées, et de nouvelles élections. C'était un discours de ravant-veille. Puis, comme si l'émeute avait ardem- ment soupiré après ses services, il fit ses conditions; ^ Ces paroles ont été très-distinctement entendues par plusieurs députés qui entouraient madame la duchesse d'Orléans > notamment par mon collègue au Corps législatif, M. le baron Hallez-CIaparède. LIVRE CINQUIÈME. S43 disant qu'il venait d'exprimer sa pensée font entière, et (( qu'il ne pouvait accepter la responsabilité d'une autre situation, d Voilà les ressources d'esprit et de cœur, voilà les doctrines et le courage que trouvait, pour conjurer cette effroyable situation , celui qui F avait princi- palement amenée. Il agitait la France depuis six mois; il avait porté de banquet en banquet des paroles pro- vocantes et factieuses ; il avait soulevé la garde natio- nale, jeté deux cent mille hommes dans les rues , et fait demanda le pouvoir, les armes à la main. Il l'a- vait enfin, ce pouvoir tant désiré, tant poursuivi, payé du prix de Tépouvante générale ; et qu'en faisail-il ? Vous le voyez ! Quant à M. Thiers, son collègue et son complice, on le cherchait en vain au milieu de ces ruines qu'il avait faites. La société en détresse ne lui inspirait ni pitié, ni remords. Il errait, éperdu, ne luttant même plus, au milieu de ses collègues, en s'écriant: « La marée monte! la marée monte! » C'était la tempête qu'il avait appelée sur sa patrie. Elle était enfin déchaî- née ; mais son pauvre esquif, qu'elle devait prendre et soulever sur le promontoire , avait disparu dans Técume du premier remous. XV. M. Barrot abandonnant le devoir et s'abandonnant lui-même, la chambre se sentit entraînée tout à coup vers l'inconnu . Les partis extrêmes, aveuglés par la 16. tu CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. rancune y. la poussaient vers Tabime, résignés à y tomber eux-mêmes. Une bande plus bruyante et plus audacieuse envahit , en ce moment , les tribunes et l'enceinte; des drapeaux se déployèrent, des ar- mes brillèrent. Le danger immédiat commença. Les personnes qui entouraient madame la duchesse d'Or- léans Tentrainèrent par les escaliers intérieurs; le tumulte et la confusion qui remplissaient toute la salle favorisèrent sa sortie. On la conduisit au pa- lais de la présidence. La précipitation et la lutte de cette retraite avaient séparé les jeunes princes de leur mère. M. le duc de Nemours, emporté lui-même par le flot, et désigné aux bandits par son uniforme, n'en fut pas moins admirable d'abnégation et de cou- rage, et il ne quitta la salle de la Paix que lorsque le jeune comte de Paris fut retrouvé et mis en sûreté. A partir de ce moment, il n'y a plus qu'un simula* cre de chambre des députés. Le président est toujours sur son fauteuil ; mais il y est impuissant. Des incon* nus montent déjà à la tribune et y font des motions. Chose étrange, et qui prouve que les mœurs étaient plus monarchiques que les esprits , la république n'a pas encore osé se montrer. M. Ledru-Rollin est à sa place , depuis le commencement de la séance ; il a laissé M. Marie, M. Grémieux, des royalistes de la veille ou du jour, prendre son rôle naturel et faire des motions aventureuses; mais lui, inspirateur de la Réforme et allié des sociétés secrètes , il a gardé le silence. Cependant, la salle appartient à l'émeute; LIVRE CINQUIÈME. S45 soas peine d'abdiquer son pouvoir, il faut qu'il se prononce ; il se hasarde enfin à la tribune. M. Ledru-RoUin recommença la discussion de la régence , que Tenvabissement de la salle et la retraite de la duchesse devaient faire croire épuisée. Il dé- fendit les principes de la Constitution de 1 791 , avec autant de complaisance qu'il en avait mis à les com- battre, en 1842. L'assemblée ne comprenait rien à ces divagations. M. Berryer, craignant de voir lui échap- per la dynastie de 1 830 , criait à l'orateur : a Con- cluez donc ! demandez un gouvernement provisoire ! » M. Ledru-Rollin ne concluait pas ; il plaidait, arran- geant l'histoire de 1 81 5 et de 1 830 , comme celle de 1791 ; traînant ses phrases, s'arrètant pour regarder aux portes et aux tribunes j écoutant les bruits loin- tains et vagues , et surtout ne proposant rien. Il y avait dans la situation de l'orateur un mystère alors incompréhensible y et que la suite du temps a révélé : M. Ledru-Rollin attendait M. Caussidière et les so- ciétés secrètes, pour proposer la république ^ ^ Cette révélation curieuse a été faite par le propre chef du cabi- net de M. Ledru-Rollin , qui s'exprime ainsi : c M. Ledru-Rollin ne voyait pas arriver ceux qu'il attendait. Il demande la parole, et, dans un discours qu'il prolonge à dessein, il combat la régence et conteste la compétence de la Chambre. De- bout , au pied de la tribune^ M. Berryer criait à l'orateur : a Con- cluez, concluez donc! » Il se gardait bien de conclure; il ne voulait que gagner du temps. Enfin , voyant Lamartine s'avancer vers la tri- bune, il lui céda la parole. Au milieu de son discours, des flots d'hommes armés se précipitèrent dans l'enceinte : c'étaient les sec- tions, dirigées sur la Chambre par Caussidière. — Elias Regnault, Hist, du Gouv. provisoire, chap. m. 3i6 CHUTE DO RO' Homme easectielleme n'osait pas rompre fra I Il supposait qu'elle De de se dérendre ; et il I décidé, fàt-il de g.' dégagé la Chambre i teurs. Il fallait po' avoir parlé aussi i \ dire, ne voyant p i blissait ea ce m( finit par où les > ainsi son discoi provisoire et v i Ainsi, la séf i et les idées, i vaient pas f tait le terra encore per : pin, M. M I Roliin; o M. de L lait-il d- un pta* 1 acte. B été f LIVRE CINQUIÈME. 247 vivant : s*arrogerait-oa brusquement, précipitam- ment, le droit de briser Tune et de détrôner T autre? La régence y chose accessoire , pouvait--elle dominer la royauté, chose fondamentale? Il y avait d'ailleurs un régent ; pourqiioi ne pas attendre et ne pas re- courir aux moyens légaux, pour lui substituer une régente, si on la croyait nécessaire? Paris était agité, mais la France était calme; lui enlèverait-on, à main armée , son droit et sa souveraineté ? » Le bon sens et la loyauté suggéraient ces raisons et cent autres , pour fermer la bouche à tout ce qui ne serait pas conspiration ou démence. M. de Lamartine pouvait trouver toutes ces raisons, et les dire avec autorité. Ancien serviteur de la mo- narchie légitime , longtemps défenseur de la monar- chie parlementaire, respectueux pour le roi, et dési- reux que le roi connût son respect , il avait passé sa vie à combattre, dans ses causeries, la politique de l'opposition, et à bafouer ses auteurs. Naguère encore, après avoir repoussé les hommes du National et de la Réforme y il ajoutait : « Prenons garde, nous, hommes de la démocratie régulière : si nous sommes confondus avec les démagogues, nous sommes perdus dans la raison publique. On dira de nous : Ils ont leur cou- leur, donc ils ont leur délire* ! » Quoi qu'on pût croire ou craindre, deux choses paraissaient donc certaines : M. de Lamartine ne pouvait être ni le fauteur de la 1 Lamartine, Hist. delà révol. de \^iS, llv. i , chap. 43. 2«8 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. démagogie, ni Tauxiliaire de M. Ledru-Rollin. La chance d'une sédition ramenait devant la Chambre cette régence de madame la duchesse d'Or- léans que, seul, il avait défendue en 1842. Sa noble cliente avait deux fois droit à son appui ; elle était malheureuse, errante, menacée, elle, veuve d'an prince, mère d'un roi. L'ardent et courageux roya- lisme dont M. de Lamartine avait porté, en 1842, l'expression à la tribune était encore dans le souvenir de tous : « Je suis profondément monarchique, avait- il dit; j'ai parlé pour l'hérédité de la pairie. Quand je vois l'intérêt de la monarchie clair et distinct, j'y marche droit, fussé-je seuP. » Maintenant, ce n'est pas seulement Yintérêt de la monarchie que M. de Lamartine a devant lui : c'est son salut; et il ne se- rait pas seul à le défendre. Allait-il couvrir de sa pa- role cette noble cause de ses convictions, à la tribune, où il montait? Hélas ! cet idéal , que la pensée de chacun com- posait à M. de Lamartine, avec les souvenirs les plus honorables de son passé, il venait de s'évanouir! Sorti de sa maison royaliste, il venait d'entrer dans la chambre démagogue. Enfin, et pour tout dire, il avait accepté, depuis une heure, la politique des conspirateurs et Talliance des sociétés secrètes ! Comment s'était opérée cette transformation la- ^ Moniteur du 20 août 481?, dise, de M. de Lamartine pour la régence de M"*" la duchesse d'Orléans. LIVRE CINQUIÈME. 249 men table? Quelle voix avait parlé à M. de Lamartine sur le chemin de la chambre , comme à saint Paul sur le chemin de Damas ? Le poëte était parti pour l'assemblée convaincu que la crise était dénouée et la question politique vi' dée\ Il pensait venir entendre les noms et le pro» gramme du nouveau ministère '^ son esprit n'apercevait rien au delà de cet horizon. Arrivé dans le vestibule de la Chambre, M. de Lamartine rencontra sept ou huit personnes; c'étaient des amis du National et de la Ré forme j des conspirateurs de profession. Ils abor- dent le poëte , et lui demandent un entretien secret. M. de Lamartine leur fait ouvrir un bureau écarté; on entre et Ton s'enferme *. Quelle proposition ces conspirateurs firent -ils au poëte? Ils lui peignirent ce qui était au fond de leurs espérances, la royauté ébranlée, la régence précaire, le triomphe de l'émeute certain. Ils lui dirent que le parti républicain se donnait authentiquement à lui par leurs voix, et qu'ils prenaient l'engagement de le porter au pouvoir et de l'y soutenir, par leurs jour- naux et par leurs sociétés secrètes. Se donnant au poëte , les démagogues lui demandèrent s'il était dis- posé à se donner à la démagogie. 1 Lamartine , Hist» de la révol. de 4848 , liv. i , chap. 4 . ^ M. de Lamartine a écrit lui-même le récit, très-embelli , de celte incroyable conférence, et rapporté, ou plutôt refait, les discours qui y furent prononcée. Nous nous bornons à en reproduire le fond et le résoliat. Voy. Hist, de la révoL de 4848, liv. iv, chap. 2, 3 et suiv. «50 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. M. de Lamartine cacha , dit-il, son front dans ses mains, invoqua les impiratiom du ciel, réfléchit cirui ou six minutes, et pais... se redressa démagogue si outré , qae ces conspirateurs en restèrent stupéfaits ^ et ne lui dissimulèrent pas qu'ils doutaient de sa sin- cérité. C'est lui-même qui le déclare K Il serait sans intérêt pour la politique, pour l'his- toire , pour la morale , pour le bon sens , d'analyser les six pages d'hallucinations et de chimères dont se compose le discours, fait à plaisir, par lequel M. de Lamartine essaya de convaincre les républicains de sa sincérité. Il suffit de dire que ces hommes , qui avaient conspiré toute leur vie pour établir la république, hésitaient, ne ci^oyant peut-être pas son heure encore venue; et que M. de Lamartine, qui avait, toute sa vie, servi ou défendu la royauté, voulut qu'on don- nât la république au peuple , par son vrai nom , dès k lendemain. Ce zèle de néophyte, éclos depuis un quart d'heure, parut si étrange aux conspirateurs, qu'ils ne purent pas s'empêcher de dire, en l'accep- tant : (( Lamartine a plus de foi dans nos idées que nous-mêmes*. » Cette foi était donc bien robuste, mais elle était encore plus récente. M. de Lamartine , il n'y avait pas une heure, croyait la crise dénouée et la question * ^ n ... L'étonnement, une sorte de stupéfaction mêlée de doute, g« peignit sur les visages... » Lamartine, Ent, de la révol. tie ^U% ^ liv. IV chap. 4. 2 /6id., chap, 5. LIVRE CINQUIÈME. 354 politique vidée \ L'offre d'un ministère ^ faite 6ur le seuil de la Chambre , au nom de la vraie république^ par sept ou huit individus, qu'il ne connaissait môme pas ^ y suffît pour lui persuader qu'au contraire tout était perdu sans ressource , et que la républiqvs im" médiate pouvait seule sauver la France de V anarchie ^ de la guerre civile ^ de la spoliation et de Véchafaud ^« XVII. Ainsi y toutes les espérances fondées sur le passé de M. de Lamartine étaient vaines. Aveuglé et endurci par la perspective d'un ministère que sept ou huit inconnus lui avaient offert , au nom des sociétés se- crUes ^ il va voir périr misérablement la société et la monarchie, sans leur tendre la main. Il l'avait pro^ mis aux conspirateurs! «Si le règne s'écroule de lui* même, avait-il dit, je ne tenterai pas de le relever, w Il va tenir parole. Il serait inutile de rappeler son discours; c'était exactement celui que M.Crémieux, M. Marie et M. Le* dru-RoUin avaient fait avant lui : les mêmes enga- gements , tenus de la même manière. M. Crémieux, M. Marie et M. Ledru-RoUin, en demandant un goU'^ ^ Ge sont les propres expressions de M. de LamartiDe, Hi$U de la révol, de 4848, liv. iv, chap. 4 . * a ... La plupart de ces hommes ne lui étaient connus que de visage. » Hist. de la révol. de 4848, liv. iv, chap. 3. 3 Ibid,j liv. IV, chap. 5. 252 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. vernement provisoire , avaient entendu laisser debout les pouvoirs publics, jusqu'à ce que la France elle- même eût prononcé. M. de Lamartine, plus explicite encore , s'écria : « Je demande un gouvernement pro- visoire qui ne préjuge rien , ni de nos droits , ni de nos institutions , ni de nos sympathies , ni de nos co- lères, sur le gouvernement qu'il plaira au pays de se donner, quand il aura été consulté *. » Faites à trois heures , ces promesses étaient violées à huit. JM. Crémieux, M. Marie et M. Ledru-RoUin s'é- taient bornés à demander un gouvernement provi- soire. Plus hardi que tous ces républicains, M, de Lamartine le nomma. Les dupes, que les ambitieux et les tribuns égarent, ne sauraient assez connaître ces comédies , bien ridi- cules , si elles n'étaient encore plus odieuses , à l'aide desquelles les impuissants et les envieux s'élèvent au pouvoir. Il n'y avait plus dans la salle, à l'heure qu'il est, que confusion et tumulte. Une dernière bande , plus nombreuse et plus violente , venait de l'envahir. Le président, n'ayant pu parvenir à se faire entendre , avait levé la séance, et M. Dupont de l'Eure, perpé- tuel et docile instrument des multitudes , était monté au fauteuil. Il ne présidait rien, ni personne. Les députés s'étaient dispersés , et les cris confus de la foule couvraient et empêchaient toute discussion. 1 Moniteur du 24 février 4 848. LIVRE CINQUIÈME. 253 C'est à peine si Ton poavait jeter quelques mots, une phrase courte et vive, entre deux explosions. Résolu à conclure et à passer outre, M. de Lamar- tine essaye de nommer lui-même le gouvernement. Il attend une éclaircie, et dit : « Je vais lire les noms : MM. Arago, Carnot.... » Un bruit effroyable couvrit sa voix ' . Ce que M. de Lamartine n'avait pu faire, M. Du- pont de TËure l'essaya à son tour. Dès qu'il put se faire entendre, M. Dupont dit : « Voici les noms : Arago, Lamartine, Dupont de l'Eure, Crémieux... » Nouveau tumulte et nouvelle interruption. Reprenant enfin, lorsque le calme se fut momenta- nément rétabli, M. Dupont, tenant un papier, lit une troisième combinaison : Lamartine. (Oui! oui!) • I^dru-RoUin. (Oui! oui!) 1 M. de Lamartine prétend avoir refusé de nommer le gouverne- ment provisoire ; JJist. de la révol. de 484S, liv. iv, ch. 29. C'est une erreur. Il commença de le nommer, et il y mit M. Arago et M. Car- not ; le tumulte Tempôcha de continuer. — Voy. le Moniteur du 24 février. Du reste, M. de Lamartine avoue quelque chose de bien plus grave ; il dit qu'il souffla tout bas aux scrutateurs les noms qui se présentèrent le plus naturellement à son esprit, — Ainsi furent nom- més ceux qui, dans la soirée, disaient à la France et à l'Europe, dans une proclamation menteuse : Qc Un gouvernement provisoire, sorti d'acclamation de la voix du peuple et des députés des départements^ est chargé d'organiser la vic- toire. » Ses membres n'ont pas hésité un instant à accepter la mission patriotique qui leur était imposée» » 1154 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. Arago. (Oui! oui!) Dupont de FEure. (Oui! oui!) Marie. (Oui! oui! non M) Quand cela eut été dit, au milieu d'une inexpri- mable confusion de cris et de hurlements , la Franoe posséda un gouvernement provisoire, sans avoir eu recours^ dit M. de Lamartine, à ces subterfuges^ à ces surprises y à ces émotions du moment^ à ces fictions dont un pays se repent tôt ou lard^. Le poète se crut alors pleinement investi des pouvoirs nécessaires pour abolir la monarchie et pour proclamer la république; et le Moniteur nous le montre partant pour l'hôtel de ville, sous les auspices de M. Bocage, acteur distin- gué du théâtre de la Porte-Saint-Martin. XVIIL On aura remarqué le rôle effacé que, par trop de prudence, M. Ledru-RoUin a joué dans ce drame la- mentable. Celui qui a tout décidé et tout entraîné, c'est M. de Lamartine. Le tribun de la Réforme ne pouvait pas néanmoins, sans ?e perdre, ne pas ap- porter sa pierre à l'édifice de la révolution , dont le plan avait été si rapidement élaboré , les fondements creusés, les travaux commencés par un royaliste. Revenu à lui , et puisant dans l'exemple de M. de Lamartine la fermeté que tardait trop à lui apporter ^ Moniteur du 24 février 4848. 2 Hisl. de la révol. de 4848, liv. iv, chap. 23. LIVRB CINQUIÈME. 255 M. Caussidière, M. Ledra-Rollin se résolat enfin à un acte hardi, épisode plaisant parmi tant d'autres. Établi à la tribune, après le départ pour Thôtel de ville du gouvernement provisoire, il parla avec dédain de ce gouvernement, qui venait d'être formé par ses deux collègues, M. de Lamartine et M. Dupont de TEure; et il proposa d'en nommer un second, ce qui fut fait. Voici, dans son exactitude officielle, ce chapitre bur- lesque de la révolution de février : (( Citoyens, dit M. Lédru-Roilin , vous comprenez x> que vous faites ici un acte grave, en nommant un » gouvernement provisoire. Ce que tous les citoyens » doivent faire, c'est d'accorder silence et de prêter at- » tention aux hommes qui veulent se constituer ses {sic) » représentants; en conséquence, écoutez-moi. Nous î> allons faire quelque cliose de grave. Il y a eu des » réclamations tout à V heure. Un gouvernement ne » peut pas se nommer d'une façon légère. Permettez- » moi de vous dire les noms qui semblent proclamés » par la majorité. A mesure que je les lirai, suivant » qu'ife vous conviendront ou qu'ils ne vous convien- » dront pas, vous crierez, oui ou non. (Très-bien! » Écoutez!) Et pour faire quelque chose d^ officiel ^ je » prie MM. les sténographes du Moniteur de pren- » dre note des noms à mesure que je les pronon- » cerai, parce que nous ne pouvons pas présenter à » la France des noms qui n'auraient pas été approu- » vés par vous. » 3156 CHUTE DU ROI LOUIS-PHILIPPE. Dupont {de r Eure). (Oui! oui!) Arago. (Oui! oui!) Lamartine. (Oui! oui!) LedrU'Rollin. (Oui! oui!) Garnier-Paghs . (Oui! oui! non!) Marie. (Oui! oui! non!) Crémieuœ. (Oui! oui!) Une voix dans la foule. — Crémieux, mais pas Gar- nier-Pagès. — Si! si! non! — Il est mort, le bon! M. LedrU'Rollin. — « Que ceux qui ne veulent pas lèvent la main. » (Non! non! si! si!)' Il se fait un grand tumulte. «Messieurs, continue M. Ledru-Rollin , le Goih » vernement Provisoire qui vient d'être nommé a de » grands, d'immenses devoirs à remplir. On va » être obligé de lever la séance pour se rendre au » sein du Gouvernement, et prendre toutes les me- » sures pour que les droits du peuple soient con- » sacrés * . » Son gouvernement formé , ainsi qu'on vient de le lire, M. Ledru-Rollin se dirigea, à son tour, vers rhôtel de ville, où M. de Lamartine, plus résolu, l'avait déjà précédé, mais où ils allaient trouver l'un et l'autre deux autres gouvernements qui, de leur côté, s'étaient également nommés eux-mêmes. * Textuellement extrait du Moniteur du 25 février 1848. « LIVRE CINQUIÈME. 257 XIX. L'an de ces deux gouveroemenls était celui du National. Assurément , et l'on vient de le voir, M. de Lamartine et M. Ledru-RoUin n'avaient pas mis trop de façon à s'arroger la dictature; cependant il faut reconnaître que les hommes du National en avaient mis bien moins encore. Ils s'étaient constitués eux- mêmes en gouvernement, dans le salon de M. Goud- chaux ' . L'autre gouvernement était celui de la Réforme. Il fut nommé dans les bureaux de ce journal , avec des circonstances et par des hommes que la moralité de l'histoire ne permet pas de passer sous silence. Deux témoins oculaires ont raconté cette scène, digne de Callot : M. de la Hodde, membre du comité directeur des Saisons, et M. Chenu,- l'un des direc- teurs de la Société dissidente. Les deux récits sont, au fond, parfaitement conformes; et si nous donnons la préférence à celui de M. de la Hodde, c'est parce qu'il est un peu plus détaillé. «Vers deux heures, dit-il, m'acheminant, l'œil morne, vers les bureaux de la Réforme^ je fis la ren- contre de M. Flocon , escorté de.. . quelques amis. i M. Goudchaux en fit lui-même la déJaralioa , ea ces termes, devant la commise ion d'enquête : « Quelques jours avant la révolution , quelques penonMS se réuni- . rent chez moi , et nous nommiines un gouvernement provisoire. » — Déposition de M. Goudchaux. Î58 CHUTE DU ROÎ LOUIS-PHILIPPE. » — Où allez VOUS? leur dis-je. » — Prendre les Tuileries, répondit M. Flocon, qui n'avait pas bougé du bureau de toute la journée ^ )ï -^ C'est fait, vous arrivez trop tard; je viens de Voif tin chi£Fonnier roulé dans les cotisëitis du trône. » On s'enabrassa en plein pavé; puis, côtotne la dissimulation devenait inutile, on couvrit là rue d'un Vaste ci*i de Vive la République! Cela fait, et sans péfdi'e une mitlUte, on retourna au journal, podr ne pas laisser escamoter la révolution Peu à peu l6s patriotes afri vent Voici les notns de tous les mem- bres de cette assemblée , qui allait disposer des des- tinées de l'empire : r> MM. Louis Blanc, Flocon, fiaune, Caussldlère, Et. Arago, Cahaigne, Sobrier, Fargln-Fayole, Albert, dé la Hddde, Tisserandot, Chenu, Pont, Garnatit, caissier du jourtial; Petit, employé aux abonttè- toôtits; Jeanty Sarre, copiste de M. Et. Arago; Au- gier, coupeur du journal; Vallier, capitaine en re- traite; Gtas, commis voyagetir; Bocquet, instituteur; Boivin , tourneur en cnivt*e ; Ledoux , cârreletir de souliers'; Zammaretti, fumiste; Ëoileau, mécanicien; ^ M. Chenu dit à ce sujet : c Je ris combattre au Ghâteeii^'Eau Pilhes, Etienne Arago, Gaussidière , Albert et de la Hodde. Les au- tres , tels qae Baune et Flocon , avaietit jugé prudent de ne pas quit- ter la rue Jean-Jacques Rousseau. Je retournai à la Réforme, en songeant au petit nonobre de républicains que j'avais vus combattre.» Chenu , iês Conspirateurs, chap. ix. 2 C'est-à-dire savetier. LIVRE CINQUIÈME. «59 GervàiSi maçon} Dupuis, corroyeur? Delpech, fon- deur) Tissot) charpentier^ etGaulier» vidangeUfj » M. Flocon, président naturel, déclara que la i^kuation exigeait !a notniuaiion d'un gouvernement véritablement populaire, et que c'était à la Béfortne à de charger de ce soin. Il ajouta \ « Voici le Gouver- tietueut pi*ovisoire décrété par le National; voyez ai les tioms de cette liste vous paraissent satisfaisants i « — Odilon Barrotl w f> Uu Non formidable, appuyé de coups de crosse de fusil ^ fut ta réponse de toute l'assemblée. i> — Ledrti-Rollift! » -^Accepté! accepté! » — François Arago ! » — Oui! oui! Vive Arago! )) M. Flocon offrit tour à tour aux suffrages des grands électeurs : MM. Louis Blanc et de Lamartine, qui furent admis sans contestation ; puis, MM. Marie, Garnier-Pagès et Marrast, qui furent tolérés. j> Le. fameux gouvernement était donc tiommé! M» Baune fit signe qu'il avait à parler* Il Citoyens, dii-^il, nous avons une lacune grave h combler. Le Gouvernement ne compte que des habits noirs; il est indispensable de lui adjoindre une blouse. C'est là que seront le cachet et la force de la révo- lution. n Je crois 9 dit M. Flocon, que le citoyen Albert teprésetite sérieusement la classe ouvrière, et qu*il est convenable di^ le nommer. 17. Î60 CHUTE DU ROI LOUiSiPHlLlPPE. 9 Albert! Albert! accIamèreDt les ouvriers, qui le connaissaient pour un chef de sociétés secrètes : Vive Albert! » L'élection de cet homme d'État en blouse se fit sans plus de cérémonie ' . » Les deux gouvernements du National et de la Ré' forme se dirigèrent, comme les autres, vers l'hôtel de ville, où ils arrivèrent les premiers. Les deux gouver- nements venus de la Chambre, assez surpris de trou- ver ces rivaux trônant déjà pour leur compte, leur demandèrent : « Qui étes-voqs*?» Mais les titres étant à peu près égaux des deux parts, et chacun se sen- tant aussi peu nommé que les autres, on crut prudent de s'entendre, et Ton pactisa dans l'usurpation. XX. Ainsi, tout est consommé. Le roi est parti pour l'exil, les dictateurs montent à l'hôtel de ville, les ^ Lucien, de la Hodde , HisU des sociétés secrètes , chap. xxv. — M. Chenu s'exprime ainsi au sujet d'Albert : « Baune proposa, après coup, le citoyen Albert pour représenter les travailleurs dans le gou- vernement. Albert fui accep'é avec enthousiasme. » — Les Conspira^ teurSy chap. ix. ^ Ce détail est dû à M. Crémieux : « Lorsque nous nous rendîmes à l'Hôtel de Ville pour notre installation , nous trouvâmes MM. Mar- rast , Flocon , Louis Blanc et Albert. Nous demandâmes : « Qui êtes- vous? 0 Ils nous répondirent : a Nous avons été nommés membres du gouvernement provisoire. — Par qui ?» Je crois qu'ils ont répondu : « Par la société démocratique. » Si Ton nous avait demandé à nous- mêmes par qui nous avions été nommés , nous aurions bien pu dire : « A ta Chambre; » mais non point : « Par la Chambre. »•— Commis- $ion d'enquélef déposition d ; M. Crémieux. LIVRE CINQUIÈME. 261 bourgeois de Paris, escaladant les barricades, ren- trent dans leurs foyers. Quelque différentes que fus» sent les destinées, toute âme digne et fière eût préféré celle du roi. Il partait, laissant après lui, pour défendre sa mé- moire, TAlgérie conquise, les chemins de fer popu- laires, le crédit fondé, Versailles embelli, l'Empereur sur la colonne et aux Invalides, la France habituée au travail et à Tordre, c'est-à-dire déshabituée des révolutions. La bourgeoisie rentrait, jouée, humiliée, vaincue, laissant le désordre dans la rue, trouvant Tépouvanlo dans la maison. Ces barricades, qu'elle a eu le plaisir de voir et de laisser faire , elle en payera la démo- lition de ses deniers. Ces conspirateurs, qu'elle a pro- tégés contre la loi, elle s'en est fait des maîtres redou- tables, dont elle salue la fausse gloire et dont elle panse les fausses blessures. Cette prospérité, qui l'avait rendues! turbulente, a fait place à une hideuse misère; cette sécurité, dont la monotonie Tennuyait \ a disparu devant l'agitation nocturne des clubs. Mais la bourgeoisie n'avait pas seulement compromis sa liberté, sa sécurité, sa richesse; elle avait perdu, irrévocablement perdu, son rôle politique. L'essai du gouvernement des classes moyennes venait d'être fait pendant dix-sept ans , dans les conditions les plus favorables, et il échouait uniquement par leur faute. * « La France s'ennuie! » s'écriait M. rie lamarlice avant de lui procurer la distraction de Tépouvante et de la misère. 368 CHUTE DD ROI LOUIS-PHILIPPE. En 1 794 , la bourgeoisie avait pu rejeter Tinsuccès du régime parlementaire sur Tinexpérience générale et sur la violence des passions révolutionnaires; En 1830, elle avait pu accuser la royauté d'avoir troublé Inexpérience, en rompant le pacte fonda- mental , par une prédilection aveugle pour les idées de l'ancien régime; En 1848, la bourgeoisie ne pouvait s'en prendre à personne, qu'à elle-môme. C'était elle, c'était elle seule qui, en pleine sécurité, en pleine légalité, avait brisé, par une pression séditieuse et armée, la majo- rité constitutionnelle et la prérogative royale, les deux ressorts nécessaires et fondamentaux du régime représentatif. La honte de février était donc moins lourde pour le Roi, qui avait fait ce qu'il avait pu, que pour la bourgeoisie, qui avait fait ce qu'elle avait voulu; et le résultat le plus considérable de la révolution n'était pas la chuto d'une dynastie d* expédient, mais la déchéance politique des classes moyennes. LIVRE SIXIEME. LE GOUYERNEVENT PROYISOIRE A l'hOTEL DE VILLE» • Les quatre gcuvernepents provisoires se rendent k THôtel de Ville. — La tradition révolutionnaire , mal comprise y les y poasse. — Ils j sont pri* «oQQiers de \$ muUitudef — Lei maîtres d« jour. — Arrivée suocenivc ée$ membres du gouvernement. — Manifeste de M. de Lamartine. — Il accorde la république , après quelques secondes de résistance. — Il la proclame. — Epvahissenenfc nooturae de l'hâtel. — Conditions faites iu gouvernement prqyisoire. — Il les subite -^ 9epos et distrjl)Mtion des ministères. •— Le gouvernement provisoire s'aperçoit qu'il n'y a pas de révolution h. fSiire, en 4848, parce qu'elle avait été faite en 4'789. — Dif;- férence des deu^ époques. — Rêves et illusions da 4 789. — Expérience de 4 848. — Ce qu'il faut penser de la clémence du gouvernement provi- soire. — Il n'est pas clément , mais prudent. — La soumission universelle des partis reqd la peraécu|ioD impossible. ^ Cette soumiMion tourne cpur tre la République, en l'obligeant à rester dans la légalité. — N'ayant pas ' de grandes choses à faire, le gouvernement provisoire en fait de petites.-— 11 abolil les qualifications de MoMieur et de Hadamê. — Il change le nom des rues.— Il naît marqué du sceau de l'impuissance. I. Un esprit irréfléchi de puérile imitation poussa vers l'Hôtel de Ville les quatre gouvernements pro- visoires, qui s'iipQgindient renouer ainsi les tradi- tions révolutionnaires. Lorsque les électeurs de Paris instituèrent une sorle de pouvoir indépendant, à rHôtel do Ville, le M juillet 1789, la Bastille venait d'être prise, et la S6i LA RÉPUBLIQUE DE 48{S. garde bourgeoise tumultueusement organisée. C'était, depuis la Fronde, la première révolte ouverte contre l'autorité légitime; il était à croire que l'armée royale viendrait rendre aux lois méprisées leur empire; et les vainqueurs, fort inquiets de leor succès', s'é- taient placés, à l'Hôtel de Ville, sous la garde dn peuple, pour être en état de traiter avec la couronne. Lorsque Robespierre, Saint-Just et Lebas, arrêtés par la Convention, mais délivrés par la populace, se réunirent en comité de gouvernement, à l'Hôtel de Ville, le 9 thermidor an II, la guerre civile venait d'éclater au sein des pouvoirs publics. Les vaincns du jour, idoles et dictateurs de la veille, allaient se placer, à l'Hôtel de Ville, sous la protection des sec- tions armées, des clubistes les plus violents et de la Commune leur complice, pour essayer de reprendre, par un dernier assaut, le pouvoir arraché à la Mon- tagne. Lorsque, après trois jours de lutte sérieuse, et après la retraite de la garde royale, MM. Laiïitte, Casimir Périer, Gérard, Odier, Audry de Puyraveau, Mau- guin et de Schonen s'établirent à l'Hôtel de Ville, le ' Lorsque la Bastille se fut rendue, sans aucun combat, sur II [>arole d"Èlie, ofQcipr jm rf'gimerit de la rdne, stul et unique vaiit- fueuT, comme le dil formellement Camille Deamoullns, les électeurs je Pdris, réunis sous la présidence de M. de Flesselles, se bâtèrent d'envoyer une députât! on à l'Assemblée constituante, et se placèrent sous £3 smveg^rde, en cas d'attaque des troupes royales. Sur cellB supplique, l'A^sembléa demanda immédiati-ment au roi l'éloigne- nient des troupes, et l'obtint. — Voy. moniteur, t. I, p. 1S9, édit. de Pion. LIVRE SIXIÈME. 265 29 juillet 1 830, ils siégeaient avec le titré de Commis- sion municipale de la ville de Paris ^^ pour le main- tien de Tordre public. Une Commission municipale devait naturellement avoir son siège à i*Hôtei de Ville, et ce n'était pas une mesure dénuée de pru- dence de placer le pouvoir nouveau sur un point centrai, naturellement défendu, en vue d'un retour possible des troupes royales Mais lorsque le Gouvernement provisoire de 1 848 se rendait à l'Hôtel de Ville, il n'avait aucune des raisons qui avaient justement déterminé ceux dont il s'imagi- nait suivre l'exemple. Les électeurs de Paris, en 1789, Robespierre, en 1?9i, et la Commission municipale, en 1830, étaient allés à l'Hôtel de Ville pour y être en sûreté. Lorsque le gouvernement provîsoire, n'ayant personne à combattre, libre de sa volonté, entouré de l'acquiescement universel , se dirigea vers l'Hôtel de Ville, il allait se constituer de lui-même le pri- sonnier de la multitude. L'Hôtel de Ville, abandonné depuis dix heures du matin par les troupes, était à telle heure environné, assiégé , rempli , des caves jusqu'au faîte , de tout ce que Paris pouvait contenir de bas, de violent et d'immonde. Les barrières y avaient vomi leurs bandes les plus fauves, les cabarets leurs hôtes les plus abrutis, les bouges des halles et de la Cité leurs créatures les plus infectes. Il fallait, pour ^ Celle commission a conservé ce tîire jusqu'au 7 août. — Voir le Moniteur, ^ 866 LA RÉPUBLIQUE DP 4818. s'approqbar des portes, se débattre longtemps, péoi* blezneat , au milieu des clameurs les plus sauvages , tour à tour poussé et ramené par une houle de yo-^ leurs ^ 4© prostituées et d'ivrognes*. Lorsqu'on s'en- gageait sous les voûtes, lorsqu'on arrivait aux pre- mières marches des escaliers, nulle force ne pouvait seulement tenter de diriger ou de modérer ce flot, à peine humain, maculant les murs de sang et de boue, emplissant Tair d'émanations fétides, roulant et élevant péle^méle des hommes , des femmes et des enfants, dans son capricieui^ et irrésistible rempu, Eu haut, dans les salles, dans les cabinets, dans les corridor^, mi^me tumulte, même confusion, méqoes cris. Rien qu'à se tenir debout et à résister, en c^ dant aux fluctuations de la multitude, on était en nage, et Ton étouffait dans une atmosphère nauséa- bonde, suintant la poudre, la sueur et le viq, Il était donc souverainement malaisé de pénétrer dans THÔtel de Ville, difficile'd'y conserver le repos, impossible d'y conserver la liberté. S'y rendre à c^tle heure, sous le prétexte d'y établir le gouvernement de la France, c'était s'y constituer le prisonnier des forces les plus aveugles et des passions les plus yiles. Le courage était impuissant, le talent sans prestige^ )jD vertu sans empire sur des masses informes et hurlantes, sans cesse chassées et remplacées par des * « ... Arrivés à l'Ilôlel de Ville, dit M. Chenu, nous trouvâmes une foule compacte, ivre de joie et de vin... Cette bcène med^'-goûta. » — Les Compirateurs , cliap. ix. LIVRE SIXIÈME. 267 mas^fi nouvelles; et ces pauvres ambitieux , qui s'efforçaient d'asseoir leur trône branlant sur ce sablo mobile, étaient, eux, leurs efforts, leurs projets, leurs discours, à la merci d'un ivrogne, d'une brute ou d'un fou. II. D'abord étaient arrivés, portés par cette houle, M. de Lamartine, M. Dupont de l'Eure et M. Cré- mieux. Un garde national', qui les avait conduits, leur chercha , au hasard^ comme il put, un réduit inconnu de la foule, et les y introduisit, à grand'- [)eine, l'un après l'autre. C'était le cabinet du préfet.  peine assis, M. de Lamartine et M. Grémieux commencèrent à rédiger un manifeste; mais la foule ayant découvert cette porte, son poids immense la fit bientôt ployer et craquer. Le cabinet fut envahi. Deux ou trois élagcs d'orateurs , montés aussitôt sur des chaises, autour du Gouvernement provisoire, emplirent l'espace de leurs gestes , et l'air de leurs discours. Le délire et le vin qui les animaient per- mirent au Gouvernement provisoire de se dérober, dans le tumulte, et de se réfugier, sans être trop suivi, dans une pièce voisine. M. Garnier-Pagès arriva. A la ^ Ce garde nâlional était M. Saint-Amand / le célèbre joueur d'é- checs, capitaine dans la l" légion de la garde nationale. 11 a fait le récit de Tarrivée et de rinstallatioo sommaire du douveraernent provisoire à THôtel de Ville, jusqi|>u rpoment où fu^ débattue la question de savoir quel gouvernement on proclamera»!. — Voyez le Drame aux Tuileries. t6S LÀ RÉPUBLIQUE DE 4 848. condition de s'adosser, en arc-boutant, contre les portes ) on fat à peu près tranquille pendant quel- ques instants. H. de Lamartine reprit son manifeste. Qu'étaiton venu faire à THôtel de Ville? Aucun membre du Gouvernement provisoire ne le savait assnrément. Chacun venait trôner, voilà qui était clair; mais, avec quel principe, et sous quel gou- vernement? nul n'y avait seulement songé. Presque tous appartenaient à cette bourgeoisie constitution- nelle et parlementaire , ayant plus d'ambition que de doctrines, avide d'être, et plus encore de paraître, inépuisable lignée de ces Girondins qui servent les rois , en attendant qu'ils les remplacent. M. Dupont de TËure, quoiqu'il fût l'étendard des républicains, avait peur de la république. M. Arago, qui, de loin, la vantait, n'en voulait plus, de près. H. Garnier-Pagès et M. Grémieux , courtisans de la royauté de M. le comte de Paris, à midi, ne pou- vaient pas être encore sérieusement métamorphosés, à cinq heures. M. de Lamartine, le plus royaliste de tous la veille, et le plus démocrate, à cette heure, était, par cela même, condamné à un rôle d'exagéra- tion républicaine; cependant il hésitait, défendu par son honnêteté contre ses illusions, avant d'attirer son pays dans l'abîme où il avait cru devoir se jeter lui-même. Les membres du Gouvernement provisoire déjà réunis eurent tout d'abord la pensée naturelle aux ambitieux; ils tentèrent, ce qu'on tente toujours en LIVRE SIXIEME. 269 vain, de s'arrêter à moitié dieinia de la sédition , et d'accommoder la situation de leur esprit avec les circonstances. Pendant qu'ils pesaient , avec terreur, ce mot République ! des milliers de bandits le hur- laient, dans les salles voisines, d'une voix rauque. On essaya d'abord d'éviter le mot redoutable de république j et de donner à la France un gouverne- ment ayant les formes républicaines. M. Ledru-Rollin, survenu pendant la discussion , exigea le mot repu* blique^ et M. de Lamartine l'accorda , dit un témoin oculaire , apris quelques secondes * . On essaya ensuite d'ajourner l'établissement de cette république, et M. de Lamartine proposa de dire: « Le Gouvernement provisoire déclare que le gouver* nement provisoire de la France est le gouvernement républicain p. L'élément de la Réforme triompha de nouveau, et , à la suite du mot provisoire biffé, mais très-lisible encore , on écrivit le mot actuel , ce qui entraîna la proclamation immédiate de la répu- blique *. ^ Voici, à ce sujet, ud témoignage précieux et irrécusable : •< Le- dru déclara qu'il adoptait le manifeste , en demandant seulement qu'aux formes républicaines, fût substitué le mot république. C'était grave ; et cependant , après quelques secondes, la réponse fut affir- mative. M. de Lamartine écrivit, et je copiai. >^ Saint-Amand, le Drame aux Tuileries , p. 7. ^ Nous avons eu communication de cette pièce originale , écrite en entier de la main de M. de Lamartine, et signée de MflÂ. Ledru- Ro-lin, Garnier Pages, de Lamartine, Crémieux et Marie. Le mot actuel substitué au mot provisoire parait être de la main de M. Crémieux* «70 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. M. de Lamartiae ^ 'le royaliste , le défenseur de Ihérédité de la pairie ^ avait accepté la république eo quelques secondes : M. Marie ^ M. Dupont de TEure, M. Garnier-^Pagès , les bourgeois libéraux ^ ne se ren- dirent ni aussi aisétnent, ni aussi vite. Ils ne.cédèrent qu'à la pression de Télément démagogique, et surtout à celle de l'émeute * Les objections se renouvelaient avec obstination , et les discours allaient leur train , lorsque la porte s'ouvrit tout à coup^ m . C'était un jeune homme , petit-fils de Maton de la Varenne , Thistorien courageux du massacre des pri- sons i II avait un fusil à la main, et la fièvre du mo- ment dans le regard * « Messieurs , leur dit-il ^ on a bien de la peine à vous trouver* Je viens au nom des Écoles et du peuple^ Si, dans une demi-heure , vous n'ave2 pas reconnu la souveraineté du peuple, le peuple sera ici... J'attends* ! »> Ce mot décida tout ; de lointains et de sourds mu- gissements annonçaient l'arrivée d'une vague popu- laire. Il était indispensable d'amortir son choc. M. de Lamartine marcha au-devant d'elle ^ et , de sa phrase la plus mélodieuse, il lui jeta la république, pour l'arrê- ter. La multitude, et non le gouvernement provisoire, fut donC) en ce moment, le législateur de la France; ^ C h. de la Varenne, le Gouvernement prtwvoire et V Hôtel de Ville, ch. II. LIVRE SIXIÈME. 2Î1 C'était elle qui dictait les lois : les autres n^étaient que ses ministres et son chancelier. Et pour que les ambitieux qui s'étaient mis si follement en otage entre les mains de celte multitude soient châtiés par l'histoire, après l'avoir été par leurs remords , voici , tracé par leur propre main , le ta- bleau de ce peuple souverain^ auquel ils venaient de jeter en pâture les. traditions monarchiques de la France : « C'étaient de ces forcenés , qui n*ont ni système politique dans l'esprit, ni chimère sociale dans le cœur, mais qui n'acceptent une révolution qu'à con- dition du désordre qu'elle perpétue, du sang qu'elle verse, de la terreur qu'elle inspire... Il y avait aussi une partie de cette écun^e en haillons de la population vicieuse des grandes ca()itales, que les commoUons soulèvent et font flotter quelques jours à la surface, jusqu'à ce qu'elle retombe datîs ses égouts naturels : hommes toujours entre deux vinâ ou értti*e deux sangs, qui flairent le carnage en sortant de la dé- bauché , et qui ne cessent jamais d'assiéger l'oreille dû peuple qu'après qu'on leur a jeté un cadavre, ou qu'on les a balayés dans les prisons, comme l'op- probre de tous les partis. C'était l'écoulement des bagnes et des cachots V » C'est pour les remettre en de telles mains qu'on Venait d'arracher aux ministres du roi les affaires de la France; et ceux qui avaient appelé a révolution du * Lamartine, BisUâe la révolution de 48i8, liv. VI, chap. xiir. %n LA RÉPUBLIQUE DE 4848. mépris » la chute inopinée de la monarchie, saluaient Tavénement des hommes « entre deux vins et entre deux sangs » de leurs plus respectueuses méta- phores. IV. Comme il arrivera demain, comme il arrive ton- jours , une première concession faite au désordre en appela une au Ire : après le départ ou la dispersion de la bande qui avait demandé la république , il en arriva, vers minuit, une autre bien plus exige.ante encore : elle demandait le pouvoir ! Celle-ci, plus effroyable que toutes les précédentes, arrivait du faubourg Saint-Antoine, en poussant des cris de mort. Elle s'engouffra, comme un ouragan, sous les voûtes de THôtel de Ville, dominant de son mugissenaent immense les cris de ceux qu'elle étouf- fait dans ses replis ou qu'elle broyait sous ses pieds. Le Gouvernement provisoire , qui avait cédé la répu- blique, n'entendait pas céder sa place. « Garnier- Pagès, Carnot, Crémieux, M&rrast, Lamartine, l'im- passible Bastide et le fougueux Grégoire, barricadent la porte; ils y adossent les canapés et les meubles; tous les assistants buttent leurs épaules contre ce fragile rempart, pour soutenir Tassaut et le poids des assaillants \ » Cette alarme, quoique la plus chaude de la soirée, se calma néanmoins peu à peu. L'annonce de la pro- ^ Lamarliae, Hist. de la révolution de 4848 ^ liv. YI, chap. xvm. .1.,, hemcM (.roMs,>„^ In ,„, ,1 "" B ne conâon.l,,,,, i I,,,.. ,' '"""'"1" provisoir,., ,,„„,, ,,„ '/ ' 'If 1 N=e.de«.,„„H.w„, ";;;';;;' /..«i /-*.. ,.,,;":';■"';■" 274 LA RÉPUBLIQUE DE 4848. silhouette des seatioelles en gueDilles, il y a un gou- vernement qui veille et qui travaille. Que va-t-il faire? Rien! En pleine possession de ce pouvoir qui leur coû- tait tant de ruses, de luttes et de concessions , forcés de produire eniïn cette sagesse qu'ils tenaient en ré- serve, depuis des années, et de gouverner la France au nom d'une nouvelle doctrine, les membres du Gou- vernement provisoire se trouvèrent inopinément en face d'une vérité bien autrement redoutable que les bandes furieuses qui les avaient assaillis; cette vérité, qu'on ne pouvait pas vaincre avec des phrases, était tout uniment celle-ci : Le Gouvernement provisoire ne pouvait sérieusement rien entreprendre au nom de la catastrophe dont il se constituait le représen- tant; il n'y avait plus, en 1848, la révolution à faire, parce qu'elle avait été faite en 1789. V. Il y avait en effet, en 1789, et pour toutes les clas- ses de la société, prétexte et matière à une grande et désirable révolution. Le peuple avait à demander et à réaliser : pour ses champs, la suppression des chasses, des corvées, des droits féodaux et des dîmes; pour son industrie et pour son commerce, la suppression des jurandes, des maîtrises, des péages et des barrières intérieures; pour sa sécurité, rabolilion des lettres de cachet et LIVRE SIXIÈME. 275 desjustiœs seigneuriales; pour sa dignité, Taboli- tîon des ordres, lYgalité des charges publiques, et Tadmission de tons aux eitiplois et aux honneurs. Pour les classes élevées, il y avait à poursuivre des biens moins réels , mais peut-être plus précieux encore, parce qu'ils tenaient à l'élan des âmes et à l'aspiration des esprits. La raison de l'homme, alors surexcitée, fière d'elle-même jusqu'à l'ivresse et jus- qu'au délire, et n'ayant été encore désenchantée de rien, brûlait d'oser et d'entreprendre tout. Les plus vastes horizons lui étaient une gêne ; la vie même, telle que la nature nous la dispense, et dont toutes les créa- tures remercient et bénissent instinctivement la Pro- vidence, lui semblait un défi porté à son pouvoir, et elle flatta les générations vivantes de l'espoir de ne plus mourir'. ^ Voici en quels termes le philosophe Gondorcet promettait aux hommes que , grâce aux progrès de Id raisoa , ils arriveraient à ne plus mourir. Étrange promesse, faite, par un homme réduit au sui- eide, à une génération décimée pnr le bourreau : « Los progrès de la médecine préservatrice, devenus plus efficaces par ceux de la raison et de l'ordre social, doivent faire disparaître, à la longue, les maladies transmissibles ou contagieuses, et ces ma- ladies générales, qui doivent leur origine aux climats, aux aliments, à la nciture des travaux. 11 ne serait pas difficile de prouver que cette espérance doit s'étendre à presque toutes les autres maladies, dont il e^ vraisemblable que Ton saura toujpurs reconnaître les causes éloignées. » Serai Vil absurde, maintenant, de supposer que ce perfection- nement de l'espèce humaine doit éire regardé comme susceptible d'un progrès indéfini ; qu'il doit arriver un temps où la mort ne serait plus que l'efTet, ou d'accidents extraordinaires, ou la destruc- tion (le plus en plus lente des forces vitales, et qu'enfin la durée de >. 18. îlù LA RÉPUBLIQUE DE 4848. Pour des aspirations aussi ardentes et aussi vas- tes, le monde entier était à reconstruire. Tous se vouèrent à cette œuvre, et on y employa toutes choses : clubs, journaux, harangues, émeutes, bou- leversements politiques , religions nouvelles, même et surtout le bourreau. Gomme la foi dans le progrès était immense et profonde, on marcha, longtemps et sans se décourager, à sa poursuite, les pieds dans les ruines, dans le sang et dans les larmes. Ce n^est pas le premier jour que de telles ardeurs se calment; ce n'est pas au premier mécompte que de telles ambi- tions se soumettent. La fin du siècle ne suffit même pas à ces âmes fiévreuses et égarées pour apprendre à chercher dans le calme, dans Tordre, dans le tra- •vail, dans la famille, dans Tusage modéré de la li- berté, ces progrès que les utopies promettent, mais qu'elles ne donnent pas. Voilà ce que la Révolution avait, en 1789, de ques- tions à poser et à résoudre et de champ à parcourir, avant que le peuple vit ses intérêts servis et la bour- geoisie ses illusions dissipées; mais combien restait-il de ces grandes questions en 1 848 ? Aucune. rintervalle moyen , entre la naissance et la destruction , n'a elle- même aucun terme assignable? »— «Gondorcet, Esquisse d*untabkau hiitoriqm des progrès de V esprit humain^ dixième époque, p. 380, éiit. de Tan m. LIVRE SIXIÈME. 277 VI. Le peuple issu de la Révolution , corps et biens , principes et patrimoine, était établi dans ses habi- tudes nouvelles, jouissant du passable, tendant au mieux. Ceux qui avaient voulaient conserver, ceux qui n'avaient pas voulaient acquérir; mais nul ne voulaient rouvrir cette arène de troubles, de luttes et de hasards, dont le souvenir faisait trembler les familles. Les populations rurales, occupées, depuis un demi- siècle, au dépècement et à la liquidation des biens nationaux, n'avaient d'autre préoccupation que le travail , Tordre et la prospérité. Les populations in- dustrielles, encore dans le trouble inséparable des institutions nouvelles, corrigeaient, en détail, les im- perfections du travail libre, éclos, en 1789, au foyer des autres libertés. Les jurandes avaient mis à se perfectionner, huit cents ans dans Tempire romain , mille ans dans la monarchie française : n'est-il pas juste d'accorder à la concurrence au moins un siècle, pour régulariser son travail, son crédit et ses débou- chés? Les classes élevées avaient longtemps possédé l'objet de leurs vœux ardents, le pouvoir; une san- glante expérience leur en avait enseigné le prix, et la révolution récente leur en révélait les difficultés. Il pouvait y avoir dans leurs âmes des regrets, ou des 278 LA RÉPUBLIQUE DE 18i8. remords, mais il n'y avait plus d'illusions. Les uto- pies avaient été sondées, leur temps était fait. A l'en- thousiasme des pères avaient succédé la modération et le scepticisme des enfanis. En 1789 , on ignorait trop, pour être sage; en 1848, on savait trop, p(»ur être téméraire. On louait le bien, on blâmait le mal, mais avec réserve. Plus de gens prêts à mourir pour un système; partant aussi plus de gens résolus à tuer pour un système contraire. Les souvenirs et les pro- grès de cinquante ans pesaient donc visiblement sur la situation et la dominaient. Ainsi, au lieu d'avoir, comme en 1789, les in- nombrables et légitimes réclamations du peuple à satisfaire, les vagues et ardentes aspirations des clas- ses élevées à favoriser, la révolution se trouvait, en 1 848, en face d'une société toute faite, et encore toute neuve, qui accepterait bien d'être améliorée, mais qui ne souffrirait pas d'être détruite. On avait toutes les institutions qui peuvent faire un peuple libre et riche au dedans, grand et respecté au dehors; toutes les capacités pouvant se produire, tous les mérites pouvant s'élever; une administration simple, des finances claires, une justice pure, une armée invincible. Tout examiné, tout pesé, et lorsque, la fumée des vanités et des ambitions s étant dissipée , les objets reprirent leur place, leur forme et leur signification, le Gouvernement provisoire ploya donc, malgré lui, 80VIS celte ffiftalité îiçpablanle : LIVRB SIXIÈME. 279 Laisser à peu près toutes choses en état j et tâcher de faire mieux que les autres! Les rêves de la tribune, des journaux et des ban- quets aboutissaient à ce réveil de THÔtel de Ville! Encore était-il aggravé par cette considération évi- dente et capitale, que le Gouv^nement provisoire était condamné à faire mieux que ceux qu'il détrô- nait, avec des agents moins capables et dans des cir- constances plus difficiles! Voilà quel rôle avait accepté le Gouvernement pro- visoire, pour être monté aveuglément à THôtel de Ville; pour avoir oublié ce que le 4 août avait dé- truit, comme ce que le Consulat et TEmpire avaient créé; pour avoir oublié surtout que la tâche des temps modernes, ce n'est plus d'élablir la liberté, qui existe, mais de constituer le pouvoir à la fois comme allié, comme garant et comme modérateur de cette liberté. Complètement dépouillé, par celle situation, de toute initiative féconde et puissante ; les mains liées par le défaut d'une œuvre vraiment nouvelle à en- treprendre; privé de cette action et de cette force que donne sur la société une idée, même fausse, à expé- rimenter, le Gouvernement provisoire n'eut ainsi à disposer sérieusement ni des destinées de la France , ni de celle des anciens partis , ni de la sienne propre. SBO LÀ RÉPUBLIQUE DE 4 8i8. VII. Il ne posséda non plus aucun droit à cette renom- mée de modération et de clémence qu'il s'est décernée lui-même, en tant d'occasions. Assurément, quoiqu'il eût dans son sein des éléments de violence, Thon- nêteté d'une partie de ses membres était une garantie contre les systèmes de persécution; mais il ne pal jamais s'en produire aucun dans ses conseils. La société s'est donc trouvée, en 1848, défendue contre une nouvelle Terreur par la faiblesse du Gouvernement provisoire, beaucoup plus encore que par sa modéra- tion. D'abord, pour être tyran dans un pays, il faut com- mencer par y être maître. Le Gouvernement provi- soire ne le fut jamais. Pendant la première période de son existence, il eut bien assez à faire pour n'être pas chassé ou exterminé, tous les^ours, parles bandes hur- lantes qui venaient lui disputer le pouvoir. Pendant la seconde, la moitié de ses membres fut constamment occupée du soin de surveiller et de contenir l'autre. Ce n'est pas dans cet état de division, de faiblesse et d'inquiétude qu'un gouvernement peut braver l'opi- nion publique, imposer des meurtres à la justice, refouler les larmes dans les yeux des familles déci- mées, et courber sous son joug sanglant tout un pays. A des Laubardemcnt , à des JefiFreys et à des Fou- quier-ThiLvillo, il faut des Louis XIII, des Charles II LIVRE SIXIÈME. 284 et des Robespierre, c'est-à-dire le pouvoir absolu. Trop heureux de pouvoir se préserver lui-même, le Gouvernement provisoire n'eut donc pas à se défen- dre contre la tentation de frapper les autres, parce qu'il n'en eut jamais la faculté. Ensuite, si le Gouvernement provisoire se hâta, par l'abolition de la peine de mort, d'arrêter les esprits, sur la pente dangereuse des souvenirs révolutionnaires, il fant oser lui dire, parce que c'est la vérité pure, qu'il eut en vue, en cette mémorable occasion, son propre salut, autant pour le moins que le salut de fes adversaires. Qui oserait le nier, lorsque le promo- teur du décret le confesse? Se défendant contre M. Proudhon , qui l'accusait de n'avoir pas eu, le 17 mars 1848, le courage de ses théories \ M. Louis Blanc avoue naïvement qu'il « aurait été un insensé de courir, sans y être forcé, an-'devant d'un autre 93, avec un autre thermidor pour dénoûment *. » Voilà donc, dévoilée par lui- mêoQie, la principale cause de la clémence du Gou- yemement provisoire. Cette clémence, c'était de ta peur, ou, si Ion veut, de la prudence très-légitime. Il épargna, pour être épargné; il s'écarta de la voie de 93, pour ne pas aboutir à thermidor. Et pourquoi d'ailleurs les membres du Gouverne- ment provisoire auraient-ils appuyé la République par des actes de violence? Elle inspirait à plusieurs d'en- * Proudhon, Confessions d'un révolutionnaire y chnp. vu. 2 Louis Blanc, Pages d'hiftoire^ chap. xii. %S% LÀ RÉPUBLIQUE 1>Ë 1848. tre eux autant de terreur qu aux royalistes. La ma* jorité, opposée à sa proclamation, ne Tavait subie que sous la pression de Témeute. Elle l'aurait certaine^» ment repoussée, si le gouvernement, au lieu d'étrei a l'Hôtel de Yille, prisonnier des bandes insurgées ^ avait eu y à la Chanibre ou ailleurs, l'appui de la garde nationale ou de T armée. Ce n'était donc pas en faveur d'un régime redouté de lui-méipe que le Gouvernement provisoire pouvait recourir à des moyens de terreur; 1 expérience ayant appris à cha- cun qu'une fois mis en jeu , dans les luttes des révo- lutions, le couteau de la guillotine, comme le soleil, se lève pour tout le monde. Vin. Mais il y a de l'impossibilité où fut le Gouverne- ment provisoire de jeter la république, à son début, dans des voies sanglantes, une raison bien plus éle- vée et bien plus générale encore : c'est la soumis- sion prompte, universelle, absolue qu'elle renccHitra de toutes parts. La révolution de 1789 ne s'empara pas de la France sans dispute ; les vieilles institutions, les vieux droits, les vieux préjugés se défendirent. La magis- trature se cramponna à ses arrêts, le clergé à sa dis- cipline, la noblesse à sa domination , la bourgeoisie à ses privilèges. Les paysans de l'Anjou, du Maine, du Poitou et de la Bretagne prirent les armes , combat- J LIVRE SIXIÊMB. 383 tanl comme des héros, mouranl comme des saints^ Les officiers refusèreDt leurs services, les prélres leura serments. Les journalistes de la monarchie oe se sou- mirent que morts: Suleau, assassiné; de Rozoi, guiU lotiné. Richer-Sérizy ne se soumit jamais. Quelques milliers de gentilshommes, confondant leur patrie et leurs croyances, allèrent se rallier hors de France i menaçant sur le Rhin, attaquant à Quiberon. Assu* rément, toutes ces résistances réunies ne pouvaient pas empêcher Tégalité de triompher, la société de se retremper et de se rajeunir, la France de renaître avec un nouvel esprit, sous des institutions nouvelles. La modération et Téquité auraient ramené et rallié plus rapidement et plus complètement que les sup- plices; mais enfin, si les dictateurs révolutionnaires manquèrent de raisons pour les établir, on ne pour- rait pas dire qu'ils manquèrent de prétextes. En fut-il donc de même pour la révolution de 1 848? Non-seulement elle n'eut pas de résistances à vaincre, mais elle eut à choisir parmi les dévouements. Elle voulut tenir tête à l'Europe ? — Les généraux lui offrirent leurs épées. Elle voulut réunir les vieux partis? — Les hommes politiques lui apportèrent leur concours : les légiti- mistes reniant leurs principes ; les orléanistes reniant leur dynastie. Enfin, elle voulut être bénie? — Tous les goupil- lons de France s'épanchèrent sur elle. Dieu ne ratifia pas ces bénédictions; le Gouvernement provisoire ne tu LA RÉPUBLIQUE DE 1848. les avait peut-être pas méritées, mais toujours est-il qu'il les reçut. Est-ce qu'il était possible de se montrer persécu- teur envers des gens qui se montraient empressés? Lorsque toutes les opinions , toutes les classes , toutes les influences jadis hostiles à la république se préci- pitaient dans ses antichambres, pouvait-elle les faire recevoir par le bourreau ? IX, Et d'ailleurs, le Gouvernement provisoire était trop ménager de sa propre existence pour persécuter les royalistes; ce n'est que par eux qu'il pouvait être défendu, et c'est par eux quil fut sauvé. Combien de temps les royalistes purent-ils être rai- sonnablement considérés par le Gouvernement provi- soire comme des adversaires? Pendant huit jours au plus, jusqu'au moment où la république fut accueillie, sans résistance, par la France entière. A partir de ce moment, les royalistes devinrent, pour le Gouverne- ment provisoire, des alliés précieux et nécessaires, pour tenir les terroristes en échec. Aussi ne se fit-il jamais faute de les appeler à son secours A chaque crise redoutable, M. Ledru-Rollin lui-même faisait battre le rappel. Et que disait la voix de ces tambours, réveillant en sursaut la capitale épouvan- tée? Elle disait : « Levez-vous, armez-vous, bour- geois, marchands, capitalistes, rentiers, propriétaires; LIVRE SIXIÈME. 2é5 venez sauver la société menacée d*un assaut, et sauvez par la même occasion un gouvernement créé malgré vous, mais qui ne peut pas vivre sans vous. » Les royalistes, sans rancune, sauvèrent en effet trois fois , la république de IHôtel de Yille. Ils la sauvèrent le 1 6 avril , contre Louis Blanc et le socialisme ; le 1 5 mai, contre Blanqui et la terreur ; le 24 juin, contre les forçats libérés et le pillage. I*est donc une des plus étranges vanteries de la de 1848 d'avoir voulu s'arroger l'bon- neun^^^ -nence, lorsque cent raisons, et, par- dessus* tOQ^ soumission immédiate et empressée des partis, n >nt pas même laissé un prétexte de étrange, et qui prouve bien que > les situations originellement vi- rent par la soumission universelle . République de 1848 a péri, fsistance lui eût permis l'arbitraire; la sou* mission lui imposa la légalité. Pourquoi Robespierre gouverna-t-il un an? Parce qu'il gouverna arbitrairement, sans constitution et sans lois. L'arbitraire, justifié par des résistances opiniâtres, aurait donc pu soutenir, pendant un cer- tain temps, le Gouvernement provisoire; mais Tac* quiescement de tous, qui fortifie les pouvoirs ordi- naires, affaiblit et perdit celui-là, en l'obligeant à la seule chose qu'il ne pût pas faire , gouverner. Son avènement imprévu et violent avait créé, pour son autorité naissante et précaire, des difficultés qu'aurait persécution, tout est fats ciées, c'est^ des 286 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. eu peine à surmonter une autorité ancienne et res- pectée. ÎI avait les finances aux abois, Tadministra- lion désorganisée, Tarraée presque dissoule, l'Europe inquiète, sur les points où elle n'était pas mena- çante. Personne, en bonne justice, n'était d'ailleurs obligé de tenir compte à la révolution de toutes ces difficultés, puisque c'était elle-même qui les avait gratuitement produites. La France entière avait donc beau crier aux maî- tres de THôtel de Ville : « Gouvernez! » aucun acte sérieux et fécond ne sortait du Conseil des Onze. Ce- pendant ^ il fallait bien dire aux populations pour- quoi on avait renversé la monarchie; et comme, de- puis soixante ans , les grandes choses étaient faites, le Gouvernement provisoire, pour ne pas rester oisif, se mit à faire les petites et les ridicules. Le 2ô février : Il changeait Tordre des couleurs du drapeau na- tional , mettant le blanc à la place du rouge et le rouge à la place du blanc. Il abolissait les qualifications de Monsieur et de Madame , et leur substituait celles de Citoyen et de Citoyenne. Il déliait les fonctionnaires de leurs serments. Le 26 février: Il faisait écrire sur toutes les murailles et sur tous les drapeaux la devise : Liberté, égalité, fraternité. Il changeait les noms des rues et des places pu- bliques de Paris. LIVRE SIXIÈME. 287 Il mettait une rosette rouge à sa boutonnière, comme souvenir de reconnaissance pour la dernière révolution. Le 27 février : Il plantait les arbres de la LiberU^. Il ouvrait les clubs. Le 28 février ; Il cbangeait les noms des collèges de Paris. Il changeait les titres des officiers généraux. Le 29 février : .11 abolissait les anciens titres de noblesse, et dé- fendait de les prenilre publiquement '. De telles circonstances et de tels symptômes con- teoaient Thoroscope du Gouvernement provisoire. Il naissait avec le signe visible et fatal de Timpuis- sanee; et, de toutes les impuissances, la sienne était là plus ridicule, car il naissait également incapable du bien et du mal. « Pour prendre la responsabilité d'un peuple, dit M. de Lamartine, il faut être un scélérat, un fou ou un Dieu *. » L'avenir trouvera probablement cet arrêt trop sévère; les dictateurs de l'Hôtel de Ville n'étaient que des étourdis. * Il fui un instant question , non d'abolir les titres , mais de les généralisfr. Nous tenons d'un témoin oculaire, très-digne de foi, que le chef d'une célèbre école socialiste proposa au Gouvernement provisoire, .'obliger chaque citoyen â prendre un titre, et à se dire baron ,. comte , marquis ou duc. Ce divertissement parut exa- géré, et l'un s'en tint à l'abolition des titres. 2 Lamartine, Hi$t. de la révolution de \ S iS^ 1. 1, liv. iv, chap. 5. LIVBE SEPTIEME. LA RÉPUBLIQUE DANS LES DÉPARTEMENTS* Eflets dA la proclamation de la République en province. — GonsterDation des cltsses politiquP9. — Satisfaction du peuple. •— 11 avait, non l'esprit républicain, mais 1 instinct démocratique. — Il accueille le suffrage universel avee joie. — La campagne se couvre de mais pavoises. — IMs- positions universellement bienveillantes envers la République. — Oo at- tend ses actes. — Mauvais effet des commissaires. — Le peuple se sent humilié par de tels administrateurs. — Inquiétudes et divisions créées par les clubs dans les départements. — Mécontentement général suscité par le^ ateliers nationaux. — Ce qu'ils étaient, et ce qu'on les croyait. — Exaspération proJuitepar les 45 centimes. — Cet impôt frappe surtout les paysans. — La République est condamnée dans l'esprit des campagnes. L La proclamaliou de la république , expédiée d'of- fice en province par M. Etienne Arago, directeur général des postes, longtemps avant que le Gouver- nement provisoire lui-même eût pris une décision à ce sujet \ éclata comme la foudre dans la plus petite ^ « On avait déjà désigné M. Betbmont pour la direction des pos- tes, mais on apprend qu'Etienne Arago s'y est établi , et qu'il avait même pris Kinitlative d'annoncer, par le départ des malles, la répu- blique aux départements. »— Saint-Amand, leDrameaux TuHerùf, page 8. LIVRE SEPTIÈME. 289 commune. Elle y suivait de près la dépédie télégra- phique de M. Odiloo Barrot, aononçant qu'il était ministre. La légitimité et la bourgeoisie furent consternées; Le peuple fut content et presque joyeux. Y eut-il d'abord, dans le cœur des légitimistes, satisfaction donnée à un mauvais sentiment de ja- lousie contre la maison d'Orléans? Peut-être; mais ce moment fut court. L'imprévu et le péril de la situa- tion ramenèrent bientôt tout le monde à la défense de ses intérêts. Dix-sept années d^hostilités dirigées contre un gouvernement accepté du pays n^avaient pas rendu les légitimistes populaires. Quelle serait l'attitude de la commune rurale envers le château , qui tenait depuis si longtemps en échec la munici- palité bourgeoise? Surtout, quel serait Tesprit de cette république 9 mot terrible, qu^on ne jetait pas, depuis quarante ans, au milieu d'une famille, sans y assombrir les visages? La bourgeoisie était peut-être plus frappée encore. Aussi menacée que la noblesse, dans Ta venir, elle perdait beaucoup plus qu'elle, dans le passé. Indépendamment de son influence générale sur les affaires du pays, qui la garantissait contre telles ou telles doctrines économiques, financières ou commer- ciales, la bourgeoisie perdait sa clientèle locale, qui lui assurait la prééminence, les honneurs et l'appui utile de l'administration. Qu'allaient devenir les ta- rifs, sous un gouvernement novateur et téméraire? 19 190 LA RÉPtJBLIQUB DB 4 848. Qu'allaient devenir les salaires, sous nne antorité prisonnière d'ouvriers sans ouvrage? Qu'allaient de* venir ces carrières modestes , mais à peu près sous la main , que le député de Farrondissraient ouvrait au bachelier ou au licencié de la famille? Tout cela ne sombrerait-il pas à la fois, dans le commun cata- dysme? Deux cent mille bourgeois, noyés et perdus parmi neuf ou dix millions de paysans et d'ouvriers, devenus maîtres du pays, pouvaient^ils raisonna- blement se promettre de ressaisir jamais une situation si follement perdue ? Sans cris, sans éclat, sans manifestation bruyante, les petits propriétaires, les petits marchands, les paysans et les ouvriers étaient presque joyeux. Ils n'avaient pas l'esprit républicain ; ils avaient Pinstioot démocratique. Eux qui, de tout temps, avaient fourni la plus grosse part au budget et à l'armée ; eux ^ la ma- jorité, dans ceux qui produisent; la majorité, dans ceux qui consomment ; plus riches, en réunissant lenrs gros sous, que les banquiers, en réunissant leurs mil- lions ; ils allaient enfin être comptés dans le gouv^- nement du pays I Ils étaient francbanent, loyalement touchés de cet aete de bon sens et de justice. Ce n'est pas qu'ils fussent ambitieux ; comme leurs pères, dont Sieyès disait, en 4789 : a Le peuple veut être quelque chose y et y en vérité ^ le motm qu'il est pes" êible ^ » les paysans et les ouvriers de 1 848 désiraiadt' moins changer qu'honorer leur situation. ^ Sieyès, Qu'est-ee qw k Tiers État? p. 24. LIVRB 8BPT(ÈMB. M IL Ce n'est pas sur ces natures droites, saines et fortes que les utopies' agissent. Les paysans savent bien qu'on n'inventera jamais nn gouyemement qui dispense le laboureur d'ouvrir son guéret sous la pluie, le moissonneur de lier sa gerbe sous le soleih Le gros rire campagnard accueillait et déconcertait ces envoyés des clubs parisiens, proposant de ré* duire les heures de travail à des vignerons qui cou^ cheraient plutôt dehors , que d'y laisser coucher leur cuvée. Que peut un gouvernement pour de tels hom- mes? Il a tout fait, ou à peu près, quand il leur a douné la paix, la sécurité, la justice, la protection de la propriété, du. foyer et des croyances. Ce n'est donc point par des motifs d'ambition vile, comme tant de petits avocats, tant de petits lettrés, que le peuple saluait la république ; il y trouvait une répa- ration équitable; et, après avoir attendu cette répa- ration avec patience, il l'accueillait avec dignité. Sous rimpression de cette joie calme, les cam- pagnes et les villages se couvrirent d'arbres de la liberté, pavoises de banderoles tricolores. Le seul plaisir qu'y ajoutèrent les paysans , ce fut de sourire discrètement, en voyant les bourgeois, accourus à ces fêtes populaires, faire éclater publiquement les transports d'une allégresse problématique. Ainsi, jamais encore, ni en i 81 5, ni en i 830, ter- 19. S9S LA RËPUBLIOUE DE 1848. rain n'avait été mieux préparé pour asseoir un goaver- oemeot noaveaa. Hoit millions au moins de citoyens allaient recevoir la république avec satisfaction ; et ceux qui ne l'aimaient pas étaient prêts à lui obéir. Le régime de février avait donc, on peut le dire, son avenir dans la main ; et il faudrait que ses fautes fassent bien grandes, si elles l'étaient plus que la bienveillance publique. Le premier acte par lequd le Gouvernemeol pro- visoire se révéla aux départements fut l'envoi des commissaires et des sous-commissaires, chargés d'al- ler prendre, dans les mains des préfets et des sous- préfets, les rênes de l'administration française. L'arrivée de ces hommes, la plupart étranges, parmi lesquels les plus notables étaient les inconnus, suivis par des retais de créanciers, qu'attirait & qa'excitait cette provende Inattendue, fat un scan- dale pour l'opinion et un désastre pour la répu- blique '. IH. Le peuple fut profondément humilié d'échoir, dès le début, k des administrateurs si fort au-dessous, à tous égards, de ceux de la monarchie. Il lui sem- blait que tous les partis doivent avoir des hommes 1 I Les Commissaires élaiént nommés sans chois. On prenait les premiers venus. * — Comminton éTenquite, Déposition de M. Jules Vnte, it juillet.. LIVRE SEPTIÈME. 293 convenables , comme ils ont des hommes honnêtes ; et quand il comparait le Préfet d'hier, honoré et re* cherché par les familles d*élite, an Commissaire d'an* jbnrd'haij compagnon et commensal de tontes les situations décriées, il ressentait, dans son âme sim- ple et digne, Taffront immérité fait à la majesté du pays. Les populations furent également choquées de cette combinaison nouvelle, qui investissait tel avocat bruyant d'une sorte de vice-royauté indéfinie , avec le droit d'aller choisir dans les coulisses d'un théâtre, oa plus bas encore, des commissaires au rabais, auxquels on avait Fair de. sous-louer un départe- ment. Le pouvoir est , aux yeux du peuple , une religion d^un ordre un peu moins élevé que la véritable '• De même que le prêtre n'oserait pas présider aux saints mystères, sans s'être comme élevé et trans- formé par un recueillement plus grand et par des vêtements plus riches , il semble au peuple que le dépositaire de la loi en profane le caractère auguste, s'il n'emprunte pas de sa fonction au moins un peu de ce qu'elle a de noble et de solennel. Le début de la république dans les départements De fut donc pas heureux. Il dégrada Fadministration, il choqua le peuple, et il procura maladroitement un triomphe aux administrateurs de la monarchie , dont ^ BelËfio tecundœ majesiatiê. — TertuUien, Apologtt.^ cap. 35. 39i LA RÉPUBLIQUE DE t8i8. la leone, la langage et les actes des commissaires rehaassèreot d'aatant plas l'intelligence, la moralité et la distioction. Cepeadant, les populations patientes et équitables suspendirent leur jugement, attendant une nouvelle épreuve; elle fut presque immédiate: c'éteit l'ouverture des clubs. Les clubs 8rent éclater dans les petites villes M dans les villages les divisions et les lattes qu'en- gendrent les rivalités locales, et leur donnèrent un degré inusité d'aigreur. Ces luttes suscitèrent par- tout au moins deux clubs, l'un voulant surpasser l'autre. Il ne fut plus permis à personne de rester indifférent ou calme , par la crainte de devenir sus- pect. L'esprit d'imitation apporta bientôt dans les plus pauvres communes le langage des passions révolu- tionnaires, entassées dans la capitale; et les habitants des villages, confondus jusqu'alors dans l'uniformité des mœurs , de la situation et du travail , se trou- vèrent tout a coup divisés et classés en aristocrates et en démocrates. Les plus raisonnables gémirent d'inaugurer le régime nouveau par des haines, et tous se demandèrent avec inquiétude comment 6ai- rait un état de choses qai commençait ainsi. Les populations rurales furent encore plus vive- ment et plus péniblement impressionnées par cette agitation , dont elles voyaient les résultats, mais dont elles cherchaient l'utilité. « A quoi bon ces veillées et ces disputes? Le gouvernement n'était- il donc pas obéi? N'avait-il pas le conràorB empressé de LIVRE SEPTIEME. S95 toutes les classes ? Vonlaiioii refuser au peuple labo* rieux le droit de vivre eu paix , à son foyer ? Ce ré^ gime, qui mettait la Fraternité sur toutes les nu- railles, voulait-il mettre la discorde dans tous las oœurs? » Telles étaient les plaintes qu'excitaient dans les oampagaes les luttes nocturnes des clubs. Elles paraissaient à la fois dangereuses, inutiles et inop- portunes \ le paysan , dont le labeur commence aveo Taurore , tenant en général pour fort suspects ceux qui , la nuit venue , n'ont pas envie de dormir. La seconde épreuve de la république , aggravant la première, attrista les visages et refroidit les âmes. De toute cette gaieté des premières heures, il ne restait plus que celles des arbres de la liberté , aux vivantes banderoles. Les populations hochaient la tête, en signe de doute; mais tout à coup survint la troisième épreuve, qui décida la question contre le nouveau régime ; o'éteient les ateliers nationaux. IV. La nouvelle , rapidement répandue , que le Gou- vernement provisoire entretenait autour de lui cent mille hommes , à deux francs par jour, pour jouer au bouchon , jeta dans les villages et dans les cam- pagnes un immense découragement. De ce jour, la république fut jugée incapable de conduire utilement les affaires du pays. La presse, exonérée des frais de timbre, venait 296 LA RÉPUBLIQUE DE 1Si8. de recevoir an déreloppement jasqn'alors incoDDn, sarexcité d'aillears par l'éveil de la curiosité pa- bliqae. La vérité et l'erreur, le texte et les commen- taires, l'anecdote et la calomnie, tout le fatras, tout le bavardage des officines parisiennes, arrivaient promp- tement, fidèlement aux extrémité de la France. On sut bientôt que les ateliers nationaux , colonie mon- stmeose et mystérieuse , se recrutaient même avec des ouvriers accourus ou appelés de la province*, et qu'ils se peuplaient chaque jour du personnel des fabriques parisiennes, mises en chômage par la vio- lence des délégués du Luxembourg*. On sut qoc des embrigadements, de plus de trente mille hommes par quinzaine, marchaient à la composition formi- dable d'une armée, dont l'entretien coûtait jusqu'à deux cent mille francs par jour '. Que voulait-on faire de ces prétoriens? Il y avait, de la formation et de Textension des < CommisaioD d'enquête , Dépoiition de M. Carlier. ^ Comniission d'enquèle. Rapporté du Préfet de polie», ' Voici la progression des embrigadements : Du ,9 au 15 mars. 5,100 ouvriers. Du 16 BU 31 — 85,260 Du t"au 15 avril. 36,520 Du 16 au 30 — 34,530 Du fan 16 mai. 13,610 Du 16 au 31 — 3,0B0 Du l«au 15 juin. 1,200 ■ 417,300 ouvriers. Commission d'enquête. Note deii. Emile Thomas. r~ LIVRE SEPTIÈME. 297 ateliers nationaux, deux explications : la vraie , que le Gouvernement cachait; la fausse, qu'inventait et que propageait la rumear publique. La vraie raison qui avait fait créer les ateliers nationaux , c'était la nécessité urgente d'embrigader, de discipliner et de nourrir des milliers de gens sans aveu , jetés dans les rues , le premier jour, par les excitations des parlementaires et de leurs journaux , par la Réforme^ par le National^ par les sociétés se- crètes, par Tappât du désordre et du pillage » et qui, sans l'aumône qui les faisait vivre, se seraient livrés, au milieu du chaos de Paris , au plus effroyable bri- gandage. Ce noyau de cinq mille hommes de la première heure peut être regardé comme le total de ces êtréfe dépenaillés et dégradés, que les sociétés se- crètes déchues traînaient, depuis des années, de cabaret en cabaret, augmentés des rôdeurs de bar- rières, des fainéants et des bandits, au service de toutes les révolutions. C'était le contingent du vice. Les vingt-cinq mille hommes de la deuxième quin- zaine, et ceux qui les suivirent, venaient presque tous des ateliers fermés par l'interruption des affaires. C'était le contingent de la misère. La révolution de février une fois faite et consommée , la formation de ces prétendus ateliers était donc une mesure de pru- dence, de nécessité et de conservation. Pourquoi le Gouvernement provisoire ne donna- t-il pas, dès les premiers jours, sur les ateliers na* iW LA RÉPUBLIQUE DE 48i8. tiopaux, cette explication, qai était Traie, et qui, aux yeux de beaucoup, eût été plausible? I« Gouveruemeat provisoire n'osa pas dire publi- quement la vérité sur les ateliers nationaux, pour deox inotib. Il n'osa pas dire qne les cinq mille enrôlés de la première quinzaine formaient, à peu d'exceptions près, l'armée de conspirateurs rt de routiers à la- quelle il devait la puissance; car alors la France et l'Europe auraient vu clair dans )tt chute de la mo- narchie. Au lieu d'attribuer la Révolution ^ l'explosion d'un sentiment national et .populaire, à une formidable bataille de trois jours, livrée par des troupes Adèlea' à trois cent mille combattants ', que soutenait l'ardente sympathie d'une immense capitale; la France et l'Fa- rope , désabusées de ces fables grossières , auraient vu dans la chute de la monarchie une intrigue par- lementaire, ourdie par des ambitieux, suivie d'une surprise, exécutée par une poignée d'inconnus on de rôdeurs de barrières. ' Oit lit dans H. de Lamartine : « Les principaux chefs d» l'armé* se rendaient à l'Hôtel de Ville, tout poudmiai de ta bataiiU. Ils traversaient, sans insulte, les rangs de ceux qu'il» combatlaimt te matin. » Hist. tk la Révolut. de 1 848 , 1. 1 , iiv. v, ch, 1 1 , ^ On lit dans M. de Lamartine : • Proclamer la monarcbie devist trois cent milie hommei xoulevis pour la combalire, c'était pro- clamer la division à la face du peuple. « Hist. dt ta RéviA. de < 8U, t.l,]iT.Ti,cb.7. LIVRE SEPTIËMB* 299 Un tel aveu eât dissipé le nuage de poudre au milieu duquel brillait, d'un éclat vainqueur, le Gouverne- ment de l'Hôtel de Ville. On eAt appris que, parmi ces républicains de la veille, M. Garnier-Pagès lui->méme n'avait pas voulu la république; on eût appris que, parmi ces combattants redoutables , M. Flocon lui- même n'avait pas combattu ; on eût décoùvertenfin que ces hommes d'Etat, portés au pouvoir, disaient-ils, par l'irrésistible élan de Tacclamation populaire, après s^étre tout uniment nommés eux-mêmes, s'étaient hissés, l'un poussant l'autre, jusqu'à une dictature usurpée, impuissante et prisonnière. Il n'osa pas dire surtout aux bandes enrôlées qu'il appréciait leur moralité à son juste prix ; que l'aumône qu'il leur jetait était la rançon de la sécurité publique, et que les ateliers nationaux s'ouvraient aux inva- lides de l'émeute comme une léproserie , émonctoire infect mais nécessaire des impuretés sociales. Le Gou- vernement provisoire, complètement à la merci de ces hordes , campées au milieu de Paris , les flattait avec des décrets, et les maintenait avec des faiblesses. Il laissait croître et s'aggraver chaque jour un mal qu'il déplorait plus que personne; s'en effrayant, dans le secret de ses conseils; mais le niant, en face de l'opi- .nion publique. Dans l'intime conviction du Gouver- nement provisoire , les ateliers nationaux étaient un expédient; dans son langage et dans ses actes, ils étaient une institution. Les gens sages n'étaient pas dupas de ces explica- 300 LA RËPDBLIQQE DE 1848. tioDs; mais comme le Goaveraement leur cachait la vérité, ils la cherchaient à travers diverses hypo- thèses, tontes plas effi-ayaotes qae la vérité elle- même. Pour les nos, les ateliers nationanx étaient lo noyau d'expérimentation à l'aide duquel M. Ix)nis Blanc procédait, par degrés, à l'application de ses théories communistes. Pour les autres, les ateliers nationaux étaient use armée révolutionnaire, imitée de celle du 31 mai 1793, payée à deux francs'par jour comme la pre- mière, destinée à faire triompher partout les pria- cipes et tes institutions terroristes, et qui s'avancerait bientôt dans les provinces, suivie peulrétre de ces guiUolines ambulantes, qne n^avait pas pu autrefois obtenir Ronsin. Pour lont le monde, sans exception, les ateliers nationanx étaient une ruine pour les finances', et une insulte pour la dignité dn pays. Il était ruinenx de payer environ cinq millions par mois cent mille individus, insultant, par leur oisiveté, an conrage des populations laborieuses; il était avilissant pour une grande nation de subir la pression et les me- naces d'une armée de fainéants, recrutés par une révolution qu'après tout personne n'avait appelée. ' Les ateliers nationaux ont coûté, du 9 mars au 15 juÏD 1818, une somme de U,1 74,967 fr., quiOnEété noa-seulemeat une pore aumône , mais uoe excitation à l'abandon des ateliers. — Voy. Com- mission d'enquête , Kapport d» M. E. Thomas. LIVRE SEPTIÈME. 301 * C'est de la formation des ateliers nationaux et du rôle que leur attribna l'opinion publique , que naquit la résistance, devenue de plus en plus générale, des populations des départements à la domination des coteries parisiennes. L'esprit de démocratie, c'est-à- dire de dignité personnelle et de juste indépendance, avait déjà fait cabrer les paysans contre les clabs, et les avait rendus hostiles aux procédés dictatoriaux de la république. Ce fut Tune des grandes fautes du Gouvernement provisoire d^avoir abusé la France sur la formation, sar la nature et sur le but des ateliers nationaux* L'aveu loyal de la vérité aurait sans doute dévoilé , au dedans et au dehors, l'isolement et r impuissance de ces hommes, qui avaient pris une émeute qui hurle pour une nation qui acclame; mais comme la révolution était faite, la république proclamée, et que l'immense majorité du pays était sincèrement disposée à recevoir de ses mains la sécurité néces- saire à la civilisation , on se fût rangé de toutes parts autour de l'autorité, pour la délivrer d'un honteux esclavage. Fortifié par l'opinion publique, le Gou- vernement provisoire aurait pu arrêter à temps le développement des ateliers nationaux , au lieu d'être réduit plus lard à l'horrible nécessité de les dissoudre par le massacre. C'est donc sur ces ambitieux bouffis, sur ces fa- bricants de harangues, sur ces courtisans de la mul- titude, que l'impartiale postérité fera retomber le 3(n LA BËPDBLIOnB DB 1848. saDg de joio. Heareose la moltitade, si d'aussi ter- ribles exemples ponvaiest la prémanir contre les flatteries de ces tribuos sans eatrailles, poar les- quels elle se Domme a le peuple » quand eOs sert, a ^ la canaille n quand elle gêne! L'impôt des quarante-cinq centimes, décrété le 16 mars, ne fut pas seulement le coup de grâce de la république, en province; il porta la haine du peu- ple contre ses anteurs jusqu'à l'exaspération. Trois causes contribuèrent surtout à ce résultat : la tradition démagogique, hostile aux propriétaires et aux riches ; la misère alors générale des campagnes, et les débuts obstinément désastreux d'un régime qui s'était annoncé comme réparateur. De tout temps et en tous pays, les démagogues à court d'argeat eurent la pensée d'aller en prendre chez les riches. A Rome, ville d'emprunteurs, toute émeute avait pour premier cri l'abolition des dettes; à Paris, ville de locataires, toute révolution suggère à 4a multitude égarée la tentalioD de ne plus payer son terme. Propriétaire et riche sont donc synony- mes, dans l'idée du peuple parisien; et, dans les listes des gens à dépouiller que faisait dresser Ba- beuf, les propriétaires notables étaient désignés sous le nom de « scélérats à porte cocbère '. » * Papi«n Èaiiit ohe% Babeuf, liasse 33 , piAce n" 4 1 . LIVRB SBPTIfcHti. m Les habitudes inocmsidérées des petits théâtres ne sont peut-être pas étrangères non plus à la persistance de ce mauvais sentiment contre les propriétaires parisiens. Ils forment, dans les pièces populaires, un type bouffi, avide et immoraL Chaudement enve- loppé dans le vêtement qui lui doit son nom, le pro* priétaire de théâtre fait vendre sans pitié le lit misera- ble des enfants nus, et il tend , en secret , la quittance à la mère pauvre et belle , qui grelotte et qui pleuré. Aucun autre type n*est plus connu du peuple, qui le. poursuit de ses huées ; sans songer que le vice des per- sonnes ne s^étend pas aux classes, et que la propriété, but et récompense de Tactivité humaine, n'est en définitive qu'une des formes du travail. Eh bien I cette prévention sourde, aveugle, tradi- tionnelle du peuple de Paris contre les propriétaires ne fut pas sans influence sur rétablissement des 46 cen- times. Les hommes d'État du Gouvernement provi-> soire , étrangers , comme tant d'autres , aux mœurs et à la vie des provinces, s'imaginèrent qu'un impôt établi sur les propriétaires de terres et de maisons , siarait éminemment populaire. C'était la plus lourde des erreurs, et la plus fatale à la république. Le bienfait le plus grand de la révolution de 1 789 a été de rendre le peuple des campagnes proprié- taire. Il n'avait eu jusqu'alors que l'image afifaiblie , imparfaite de la propriété, l'inféodation. L'aspiration séculaire et inassouvie de l'homme des champs, tra- vaillant jusqu'alors^ mais non pour lui, comme les (i 30i LA RÉPUBLIQUE DE.4 8i8. m abeilles du distique de Virgile , se jeta donc sur ces biens d'Église, que les moines amollis ne travail- laient plus. Sa passion ardente et respectable, c'était d'avoir ce qu'il enviait à ses maîtres, le champ, le toit et le foyer. Les pères y parvinrent, et les fils sui- vent aujourd'hui la même route, attachés au flanc de la grande propriété, qu'ils dépècent et qu'ils fé- condent. Comparez la carte de Gassini, terminée au début de la révolution, avec l'étal^ présent des cam- pagnes. Suivez et comptez, le long des routes, ce^ innombrables maisonnettes , simples et gaies comme les familles qu'elles abritent, sorties de terre depuis 1789, et qui ont toutes, comme une verte et riante ceinture, leur prairie et leur jardin : c'est la pro- priété populaire, créée par la révolution ! Eh bieni voilà les propriétaires, voilà les riches, sur lesquels le Gouvernement provisoire levait les 45 centimes , pour payer les ateliers nationaux , les Commissaires, et le club des clubs ! Sans doute , la grande propriété contribuait aussi , proportionnellement à sa grandeur même; mais qu'est- ce donc que la grande propriété, en France? Une faible minorité. Savez-vous combien il y a de propriétaires payant 30 fr. d'impôts et au-dessus? — il y en a 1 ,748,000. Savez-vous combien il y en a payant 30 fr. d'impôts et au-dessous? — il y en a 9,763,000. Savez-vous enfin combien il y a dé paysans payant 5 fr. d'impôts et au-dessous? — il y en a 5,540,000 ! C'était donc le sang le plus pur de la démocratie V LIVRE SEPTIÈME. 305 lalx>ri6U8e et honnête des campagnes que Ton souti- rait, à Taide des 45 centimes, pour le verser à la démagogie fainéante et immorale des cabarets et des sociétés secrètes! Il est vrai qu'une partie notable des 190 millions, produits par les 45 centimes, servait aussi à fonder des comptoirs d'escompte, dans soixante-quatre villes ; selon l'habitude ancienne des Bourgeois, qui, après s'être amusés à faire une révo- lution, prennent par décret, en \ 830 comme en 4 848, l'argent des paysans, afin d'escompter leurs billets et de conjurer leurs faillites. VII. Les campagnes, sur lesquelles s'abattait un tel fléau, étaient précisément alors cruellement éprou- vées. En 1846, une crise alimentaire avait élevé le blé à 40 fr. F hectolitre, et épuisé les économies des ouvriers ruraux ; en 1 847, une crise financière avait avili le prix des denrées , et réduit à rien le revenu des propriétaires. Les uns ne pouvaient pas se passer de salaires; les autres ne pouvaient pas en donner. II n'y avait de travaux maintenus que ceux qui étaient indispensables, les labours, les semailles, la taille des vignes , les récoltes , les fenaisons. Le petit commerce des villes, les ouvriers d'état avaient vu leur clientèle disparaître. Qui songeait alors à bâtir, à peindre, à tapisser, à meubler? Vivre seulement était déjà une rude besogne; et le père de famille le plus 20 .l'Tî K • **-*- y SUQB Ka mok^ et fntOÊf Taies sons élabKie Ai. rHôtol de II » Gt ooHp dd , If Gmtioer^ LIVRE SEPTIÈME. 807 gOQvernement à jbon marché ^^ disait-elle encore; mais sons l'autre gouvernement, sous celui qui était cher, on payait quarante-cinq pour cent meilleur marché les services d'une administration plus éclairée et plus morale. Celui-ci , ce gouvernement qui se disait ré- parateur et à bon marché, demandait à cinq millions et demi de paysans, en outre des impôts ordinaires, le salaire moyen d'environ deux journées, c'est- à-dire le pain de la femme et des enfants. De quoi peuvent vivre en effet des contribuables payant de 1 à 5 francs d'impôts, si ce n'est de leur travail quoti- dien ? Et dans quel gouffre allaient tomber ces tré- sors , composés avec Tobole des pauvres? Quel pré- sage pour l'avenir qu'un présent déjà si sombre; et ce pouvoir intrus, que ses bienfaits seuls poavaient rendre légitime, n'avait-il donc d'autres titres réels que la dictature de la faim? r> Tel était le cri universel des campagnes , fi^appées par l'impôt des 45 centimes. C'était la quatrième et la plus périlleuse épreuve à laquelle le Gouverne- ment provisoire eût soumis, depuis un mois, le bon sens pratique, la patience et la dignité des popula- tions rurales. La République y succomba. Lorsque, deux mois plus tard, l'Assemblée constituante la ^ Parole de M. de Lamartine à THôtel de Ville. « Les huissiers allèrent nous chercher un broc de vin chez le marchand du coin et un fromage de Gruyère chez l'épicier. Repas d'un heureux augure, dit avec gaieté M. de Lamartine, pour un gouvernement à bon marché, cette fois-ci, »— Saint- Amand, le Drame aux Tuileries, p. 8. 20. 308 LÀ RÉPUBLIQUE DE 18i8. proclamait quatorze fois, dans un jour, elle était déjà morte dans le cœur du peuple, tuée par la violence et par la folie des républicains. VIII. Rien de plus étrange d'ailleurs que les raisons imaginées, même à loisir et après coup, par les hommes d'État de février, pour défendre l'impôt des 45 centimes. Ces raisons rappellent bien le mot du poëte : « A ceux qu'il veut perdre , Dieu Ole le bon sens ! » La première consiste à rejeter la catastrophe finan- cière de 1848 sur le gouvernement déchu, qui avait laissé prendre trop d'accroissement à la dette flot- tante ' . Ce reproche ne serait fondé que si la cata- strophe s'était produite sous le régime financier qu'on incrimine. Un gouvernement est obligé d'ad- ministrer ses finances en vue des crises, mais non en vue des révolutions. Les finances du gouverne- ment de juillet étaient si bien gouvernées en vue des crises, qu'elles venaient d'en supporter, sans trop d'efforts, deux formidables : en 1846, la crise alimentaire; en 1847, la crise financière. La gestion financière de la monarchie inspirait-elle confiance à l'opinion publique? La réponse est dans le taux de la rente. Le 15 février ^1848, le 5 pour cent était .* Garnier-Pagcs, V Impôt des quarante-cinq centimes y chap. n, p. 56. LIVRE SEPTIÈME. 309 à 1 1 7 francs; un mois pins tard, le 1 5 mars, le 5 pour cent était à 68 francs. Que s'était-il produit entre ces deux cotes ? — La République. Il faut donc, de deux choses Tune, ou déclarer que le roi Louis-Philippe avait proclamé la Répu- blique, ou déclarer qu'il ne fut pour rien dans la catastrophe financière de 1848. La seconde touche à la puérilité. Elle consiste à dire que le gouvernement déchu était partie en lais- sant les valeurs du trésor dépréciées^. L'auteur de ce reproche aurait dû savoir que le gouvernement déchu avait été chassé par les républicains, les- quels, sans y avoir été invités, encore moins for- cés , avaient pris sa place. Nanties de toute leur va- leur, quand elles avaient la caution du roi, les traites du trésor ne la perdirent qu'en recevant celle du Gouvernement provisoire. C'est donc lui qui fut la cause du discrédit et de la dépréciation. La troisième raison n'est qu'une raillerie malheii- reuse. Les 45 centimes auraient, dit-on, sauvé la France du papier-monnaie, qui l'eût minée pour vingt ans ^. Il faut être réduit à se vanter de bien peu de choses, quand on se vante du mal qu'on n'a pas fait. Mais ce qui résume et ce qui couronne dignement 1 Garnier-Pagès, l'Impôt des quarante- cinq centimes ^ chap. ii, p. 9«. 3 Garnier-Pagès , iôtd., chap. ii, p. 460. 340 LÀ RÉPUBLIQUB DE 4848. Tapologie des 43 centimes^ c'est Tappui qu'on leur a cherché dans quelques précédents. L'année 4813 aurait imposé 130 centimes^ L'aunée 4 81 i aurait imposé 250 centimes^ L'année f815 aurait imposé S13 centimes. L'année 1 81 6 aurait imposé 1 00 centimes , L'année 1830 et Tannée 4832 auraient imposé â? centimes ' . Y avait-on bien pensé, de justifier les 43 centimes de 4848 par l'exemple de toutes ces dates fatales? Mais qu'étaient donc les années 4813 et 4844, si ce n'est la coalition européenne et Tinvasion ? Qu'é- taient donc les années 4 84 5 et 4 84 6 , si ce n'est la rançon de la patrie, payée aux armées étrangères? Qu'étaient donc les années 4830 et 4882, si ce n'est une révolution et une guerre civile, c'est-à-dire tou- jours des désastres? Et l'on se couvre et l'on s'ho- nore de tels parallèles? Si l'ambition du Gouvernement provisoire se bor- nait à élever la Révolution de 4848 et ses actes au niveau des calamités publiques, il fallait le dire. Alors, il n'y aurait plus de discussion, car tout le mei^de est d'accord sur ce point* 1 Garnier -Pages, V Impôt des quarante-cinq centimes, cbap. ii) p. <54. LIVRE HUITIÈME. U «OBVBtNBHIMT mOTISOiKB à L'cBOVBB. — ^ BlVnKWi — IUFOISSAMa. La Frniéé M TEttropd tbnèéeê sur la sltoalioft du Gouvernement prariselre. — On lui croit une force qu'il n'avait pas. — B^n c6ié de cette erreur. — Elle lui attire le concours des forces réelles. — 11 ne répond pas à l'at- tente générale. — Divisions intérieures.— Il ne gouverne plis. — If. Ledru* loUiB et sa politique. — M. Plocon , autre dramatiirge révolutioKnttre. — M. Louis Blanc et M. Albert. — Leurs idées et leurs plans.— Groupe des républicains modérés. — Situation ambiguë de H. de Lamartine. — II se ëonné le taànerre ponr coUèigae. — H. "Pagnerre se repose dafts la BépvUH- que des fatigues de la Régence.— Luttes du Gouvernement provisoire. — Le dreît au travail réconnu. — ttefus de l'appliquer. — Établissement des «oiféreuMs d« Lnxembdurf . — Le drapent rouge propoié è riùstigition 46 M. Loaia Blanc. — Le peuple n'en voulait pas. — M. de Lamartine le fait repousser. — 11 fait adopter la rosette rouge. — Signification réelle et écèieci de l'émeute àéê hénnêtê à poU. — DédionMration terroriste du 47 mars. — Gomment elle échooe. — M. Lddru-Rollin prépare l'émeute du 4 6 avril pour prendre la dictature. — Il recule au dernier moment. — TrievDplie de l'ordre. — La di? isbn du Gonvernèment provisoire soaroe de Wutea la» d^acordes civiles. I. Lorsqu'on eut Iq sur le» murs de Paris, en Fraace, ea Europe^ partout, la proolaiiiatioû officielle annon- çafit que le peuple et les députés venaient d'ioft- poaer à un oertain nombre de citoyens le laborieux et difficile devoir de former un gonvertement pro- visoire i tout le monde dttt aatureUement croire et 3!« LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. crat à la sincérité de cette déclaration. Au miliea da troable profond que la catastrophe jetait dans les esprits et dans les affaires, qui pouvait avoir les moyens ou seulement la pensée de vérifier les titres du nouveau pouvoir? On supposa donc que ce gouvernement, tout étrange et menaçant qu'il fût^ représentait, dans une cer- taine mesure^ une idée, un appui et une force: c'est-à-dire au moins Tidée, l'appui et la force de' ceux qui l'avaient formé. Le plus sage, dans ce premier et triste moment, parut être de soupirer et de se résigner. Sans doute, tomber d'un régime qui avait eu les Soult, les de BrogUe, les Mole, les Duchâtel, les Tbiers^ les Guizot, à un régime qui avait les Grémieux , les Marie, les Garnier-Pagès , c'était faire une lourde chute ; sans doute l'arrivée au pouvoir de M. Ledru-Rollin était une menace ; celle de M. Louis Blanc et de M. Albert, une énigme; celle de M. Flocon, une facétie; mais qu'y faire? La probité des uns rassurait contre la té- mérité des autres; et M. de Lamartine semblait une garantie contre les doctrines ou contre les entraî- nements de tous. Le nom de M. de Lamartine , inscrit dans cette liste de gens trop ou trop peu connus, soulageait un peu les poitrines oppressées. On se disait : « Quel bonheur qu'il soit là! Dieu seul a pu suggérer la pensée de Ty mettre. Il a de bien tristes collabora- teurs; mais puisqu'il les a acceptés, c'est qu'il en ré- LIVRE HUITIÈME. 343 pond. Âppnyons-le toas; ii est le pilier du temple. » C'était en effet une chance merveilleuse d'avoir, parmi ces républicains, un royaliste; parmi ces avo- cats , un orateur ; parmi ces médiocrités , un talent ; parmi ces hommes de club, un homme de salon. Il pouvait présenter la République à TEurope, sans trop humilier la France. Quelle n'eût pas été l'épouvante universelle, si l'on avait su que ces hommes , poussés au même but par l'ambition, désignés par le hasard, quelques-uns in- connus de leurs propres collègues , ne représentaient absolument rien, pas même l'émeute; si l'on avait su qu'ils étaient comme autant de passants, sans titre, sans autorité, venus à l'Hôtel de Ville, les uns d'une Chambre dissoute, les autres d'un bureau de journal ; ceux-ci de la rue, ceux-là de leur lit, où ils s'étaient couchés fonctionnaires du roi, pour se lever ses suc- cesseurs ; si Ton avait su qu'avant d'exercer le pouvoir, ce Gouvernement était d'abord obligé de le conquérir; si l'on avait su enfin que M. de Lamar- tine, l'espoir des hommes d'ordre dans cette tour- mente sociale, l'avait lui-même déchaînée; et qu'il avait accepté , pour monter au pouvoir, le marche- pied des sociétés secrètes? L'erreur générale eut son bon côté. Dans la per- suasion qu'il y avait une autorité réelle, nommée par quelqu'un et représentant quelque ehose, les bons se sentirent un appui, et les méchants un frein. Qui dit gouvernement, dit ordre. Celui de février pouvait ne a|4 LÀ HËPUBUQUE DE 48i8. ps^s avoir la force de le ramener^ mais oq était cer- tain qu'il ee aurait le besoin et le désir. L'instinct de la conservation poussa vers le Gou- vernefflent provisoire tous les hommes qui, en le ser- vant^ pouvaient servir la société. On ne lui marchanda nulle part ni un vœu, ni un effort. Les adhésions n'a- bondèrent pas seulement y elles accoururent» Toutes sans doute n'étaient pas loyales, patdotiqBes ou désiatéresséea. L'intrigue et la peur envoyèrent à THôtel de Ville encore plus de monde que le dé- vouement i et ce que Paris offrit de plus hideux , le lendemain de la Révolution, ce ne fut pas le désordre des rues ou la détresse des familles, ce fut le trouble des esprits et la défaillance des caractères; mais enfin, vrais ou faux, purs ou sordides, tous ces serviteurs de la République faisaient nombre; et, dans les op^oments de crise et de lutte, le nombre si- mule au moins le droit et constitue la puissance. IL Jamais régime nouveau ne trouva auteur de lui plus de démonstrations. Les journaux et les hommes jusqu'alors les moins républicai» s'offrirent pour conserver la République, sans s'être même domué le temps de rechercher el de voir si sa conservation était utile ou possible. L'ancienne monarchie elle- même ne s'élaif fondée que par ses ouvres ; la Ré- piublique était dispensée d'épreuves nouvelles, quel- que tristes qu'eussent été les anciennes. On entsu* LIYRB HUITIÈIIB. 34S dait cridr de toates parts : Cobfiance! conBaftce! A Yoir tant de foi, de zèle et de néophytes, on eût dit une rcdigion nouvelle, à laquelle rien De manquait, elcepté le dieu^ En effet le vice fondamental de la altuation était le défaut absolu de doctrines et d'acootd dans le Gou- yernetnent prorisoire. Une partie de ses membres Voulait des chimères ^ l'antre Toulait des impossible lités. Ceux qui étaient assez raisonnable^ pour ne vouloir ni de l'itnpossible ni du chimérique , ne sa- vaient , de leur côté , ce qu'ils voulaient. Les mem- bres du Gouvernement provisoire s'affaiblissaietif DÈlutuellement par leurs luttes, s'annulaient par leurs contradictions , et se surveillaient par leurs polices. H n'y avait en eux du pouvoir que le titre et la forme ^ sofl ressort était brisé. La confiance qu'on leur téôioigâait restait donc stérile, et les encoura- geibéÉÊts à marcher s'adressaient à des paratytiqttes. D'àiliclurs, de Umë les séntimehta bdtnaitrs, la oon- fiande est le pltis raisonneur. Quand elle ser donne, elle veut savoir pourquoi. Celle qui se doùhe ainsi est )a seule qui mérite d'être souhaitée, parce qu'elle est clairvoyante , et la seule qui apporte une force avec elle, parce qu'elle est fidèle et résolue. La con- fiance qu'on affectait de témoigner au Gouvernement provisoire ne pouvait donc être qu'une avance faite à ses intuitions, avec Tespoir très -problématique d'en être remboursé par ses actes * . ^ La Presse disait, le 25 février 4848 ? « Corifianeef eanftàrêeê^ te 3t6 LA RÉPUBLIQUE DE 1848. Pour Tobservaleur le moina attentif, le poovoir de l'Hôtel de Ville n'était qu'imaginaire, et la société s'en allait visiblement à la dérive. Pas une intention qai se réalisât, pas une promesse qui fiit tenue. On sentait que pour se justifier de paraître mentear, le Pouvoir aurait été forcé de s'avouer impaissant. Ainsi, le Gouvernement se déclare provisoire, le 34 février, à trois heures ; et, te soir même, il abolit la MoDarcbie et proclame la République. Il recommande, le 26, la discipline à l'armée; et, dès la 8n de mars, des clubistes, payés par le trésor, vont de garnison en garoison embaucher les soldais. Il déclare, le 26 février, maintenir provisoirement l'état des choses dans les colonies, et réserver la question de l'esclavage à l'examen de l'Assemblée consUtuante; et, le 4 mars, il décide que l'escla- vage sera aboli immédiatement, et par décret. 11 annonce, le 4 mars, à la France et à l'Earope, que la République vent vivre en paix avec toutes les nations; et des colonnes armées, équipées et soldées par l'Ëtat partent de Paris, le 3:4 mars, poar aller envahir le territoire belge; le 30 marA, pour aller envahir le territoire de la Confédération germanique. ËaSn, il annonce, le? mars, aux contribuables, qn'il ne réclamera d'eux aucun sacrifice extraordi- X'Vre estsincén!» Hais l'auleur de ces mots ajoutait, le 1" juillet: 0 L'incapaciti de ceux qui ont usurpé le pouvoir le Si février Hait facUe à prévoir i elle a amené la guerre civile, o — JounuU d'un joxirnalisle au ttcrtt , p. 3i. ^ LIVRE HUITIÈME. 317 naire ; et , le 1 6 marsy il les frappe d*oii impôt extraw** dînaire de cent qaatre-vingt-dix millioDS. Un pareil goayern^Dent ne gouvernait rien. II n'était maître ni des questions, ni de Ini-m^e. S'il n'avait été qn'irrésola , l'expérience et la réflexion l'aaraient pent-étre fortifié à la longue; mais il était profondément divisé, et chaque jour ajoutait à la vio- lenceMe ses Inttes intérieures. III. M. Ledru-Rollin représentait, dans le Gouverne- ment provisoire, la tradition des jacobins. 11 n^était pas violent, il était outré. Il rêvait plus qu'il ne peu* sait. L'éclat, le bruit , les coups de théâtre de la Con- vention lui montaient au cerveau, à travers des lectures mal faites et des souvenirs mal digérés. Il admirait Gambon , dont le génie financier se réduisait pourtant à fondre des doches , des ciboires et des calices. Il eût bouleversé la société, pour reproduire qaelqne scène grandiose dessinée par David. II en- voyait à rOpéra et au Théâtre-Français les ouvriers qui n'avaient pas dîné; il ranimait le travail de l'agricultore avec des fêtes parisiennes , oii Ton dorait les cornes des bœufs gras , avant de les taer, et où rbn donnait double salaire à des jeunes filles pour se promener toute la journée. M. Flocon suivait M. Ledru-RoUin. C'était un autre dramaturge révolutionnaire. Sans autorité, même dans 34S Lk RÉf&BLlQUB DB 1848. soB parti ^ u'ayapt figqré Hulle part atec édat , pas même dans la nédaction de la Réforme^ M. Flocon, Tune des faataisiea de la fortune, avait saisi avec ha- bileté la seule chanœ qu'il eât d'être d'un gouyeroe- œeot, qui était d'en &jre uo lui-môiae. Il compre- aait autant que personne l'importance du eœip de dé Hiiraculeux qui lui donnait la France à gouverner, après avoir vingt ans trempé ses doigts dans récri- toire commune des sténographes. Rangé docilement à côté de son patron, il semblait lui emprunter et lui rapporter son lustre; et il usait avec modération d'une autorité de hasard. Arrivé au pouvoir avec moins de titres que ses CQllègues , puisqu'il n'avait pris part à la révolution 49 février ni comme combattant , ni coiume député, BÎ comq^e journaliste » M. Louis Blana apportait néan- Hioins dans le Gouvernement les prétentions et les difficultés de beaucoup les plus grandes. Le but qu'il se proposait ae pouvait être atteint qu'à la condition dQ détruire , matériellement et moralement, la société moderne, ouvre du christianisme, et eouronnemeat dm progrès du passé. M. Lanis Blaqp voulait que le Gouvernement pro* vispire reconq^t à chaque citoyen^le droit de récia- flier de l'État un travail régulier et permanent , ainsi que des salaires suffisants pour assurer son existence et celle de sa famille. Une pareille obligation imposait à l'État l'équiva- lent d'une e^^propriation]! universelle^ des industries LIVRE HUITIÈME. 3^9 et des terres, car pour donner du travail , il faut en avoir. Les exploitations privées, agricoles ou indas- tridles, n'auraient pas tardé à être désorganisées et détruites par les avantages que M. Louis Blanc pro- mettait aux ouvriers, au nom de l'État, et qui étaient: dans le présent , la conservation , pendant les pério* des de crise , des salaires appartenant aux périodes de prospérité, avec une participation aux bénéfices * ; dans l'avenir, « le libre exercice de leurs facultés, la libre satisfaction de tous leurs besoins , et même de tous leurs désirs, enfin le maximum du bonheur *. » Sommé de tenir de tels engagements , à la place des particuliers, qui n'auraient pu y suffire, TÉtat serait rapidement devenu le seul détenteur des industries et des terres. . D'un autre côté, l'État lui-même n'aurait pu cou- vrir les frais du travail qu'avec le bénéfice de ses pro* duits. M. Louis Blanc voulait donc qu'aux fonctions de propriétaire il réunit celles de commerçant , et qu'il eât le monopole de la vente, comme celui de la pro- duction. ^ Le 26 mars 1S46, M. Louis Blanc intervint, au nom du Gou- vemiBiBeiit, et comme arbitre, eetre les pttroes et les eurriers de l'atelier Derosne et Gail. Il décida ce qui suit : a La somme des salaires actuellement payée aux ouvriers méca- Bknens ne sera pas changée; seuletnent, Tentreprenettr s^engage à y ^Qter, M^ forme de bMfiGe^ un oo^iième 4u prif des fafiope; depuis le commencement de la commande,*, » M. Louis Blanc ajouta pette clause puérile : à condition toute- fois QUE CELA SERA POSSIBLE. ^ Ce sont les propres paroles de M. Louis Blanc à la commission du Luxembourg. — Conférence du 29 avril 4848. / jf^pUBllQl^E DE 4 848. j^ -^^ ^roDt examinées plas loin ; mais ^ 'elles, on voit qu'elles entraînaient la des- ^^ a coioplèie de la société moderne. Elles suppri- ^'eot te propriété , la dot , le testament , Théritage, . /àoîi'te. Le sol de la France devenait propriété de i'^(at f comme le sol de l'Egypte sous les Pharaons. Une immense communauté, subdivisée en couvents solidaires les uns des autres, absorbait, dans la pétri- fication d'un despotisme indien, Tensemble de la liberté humaine. Ainsi garrottés, les hommes au- raient croupi dans l'immobilité d'un ordre bestial ; et , comme le voulait M. Louis Blanc , arrivé au pou- voir, tes révolutions seraient devenues à jamais impos- sibles ^ M. Albert, dont le vrai nom était Martin, inconnu, avant le 24 février, à tous ses collègues, devait, comme on Ta vu, son élévation au Gouvernement provisoire à M. Flocon. C'était un ouvrier mécani- cien, habile de son état, ayant contribué au perfec^ tionnement de la fabrication des boutons de porce- laine *. Il était, dans sa vie privée, honnête, rangé, mais égaré par les idées socialistes , et la révolution de février le trouva l'un des directeurs de la société secrète des Saisoiis. Ses idées communistes l'avaient signalé à M. Louis Blanc, qui ne tarda pas à l'en- traîner dans sa sphère. Sa qualité d'ouvrier, af- * Louis Blanc, le Nouveau-Monde ^ numéro du 13 septembre 1849.* Projet de décret pour l'organisation d'un ministère du progrès. 2 L. de la Hodde, Histoire des sociétés secrètes, ch. XV. LIVRE HUITIÈME. 3ÎI fichée avec affectation , donnait une sorte de sanction pratique aux théories sur Torganisation dn travail. Au milieu des fumées qui exaltaient le Gouverne- ment provisoire, M. Albert conserva une attitude réservée et modeste , qui n'était pas sans dignité. Il sentait l'énormité et la difficulté de son rôle. Il par* lait peu. Ses idées n'allaient guère au delà de ren- seignement habituel de la presse démagogique. Il voulait le communisme avec modération , avec ater- moiement, mais avec force; et, dans le verbeux conclave de rHôtel de Ville , il était le seul homme d'action. IV. En face de MM. Ledru-Rollin et Flocon , qui vou- laient revenir à Tancienne révolution , et de MM. Louis Blanc et Albert , qui voulaient en commencer une nouvelle^ se tenait le groupe de MM. Arago, Gré- mieux, Garnier-Pagès, Marie, Dupont de TEure et Marrasty qui voulaient tout simplement s'en tenir à la révolution présente 9 la pacifier, la régulariser, la consolider, afin de lui devoir un pouvoir durable et commode. Les hommes qui composaient ce groupe étaient des imprudents et des ambitieux. Us avaient accepté des circonstances , des entraînements de leur parti , un rôle violent qui n'était pas dans leur caractère; et s'ils avaient pu obtenir le pouvoir d'une régence, ils ne l'auraient pas demandé à une révolution. Ils étaient 21 ^n LA RÉPUBLIQUE DE 4848. embarrassés et consternés de leur victoire. Rester mi- nistres j trôner an nom dû peuple , laissé à son rôle séculaire, emplir les administrations de créatures, calmer, sinon apaiser , la soif ardente de jouissances matérielles dont leurs amis étaient consumés * : voilà Fidéal de leurs rêves politiques. Les projets de M. Le- dru*Rotlin rendaient le plan difficile ; ceux de M. Louis Blanc le rendaient impossible. Renouveler les souve- nirs et les pratiques des jacobins, c'était épouvanter la société; entreprendre la réalisation des utopies communistes, c'était la dissoudre. Certes M. Ledru- Rollin et M. Louis Blanc étaient bien maudits dans les campagnes , mais ils ne Tétaient nulle part autant .qu'à FHÔtel de Ville. Si ta société en détresse avait pu être témoin des angoisses secrètes de ces hommes , dans lesquels Tam- bition n'avait pas éteint T honnêteté, elle aurait été vengée. « Le pouvoir, s'est écrié depuis lors M. 6ar- nier-Pagès , c'est le martyre * ! » Il l'ignorait proba- ^ Voici, à ce sujet, le témoignage de M. Garoier-Pagès : « Au-dessous un spectacle plus douloureux encore : la soif des places excitée jusqu'à la folie. Chacun se croyant propre à tout, et exigeant tout. Et ce n'étaient pas seulement des républkama qoi réclamaient Les ))énéfices de la victoire; parmi les plus ardenta se distinguaient les convertis de Theure présente. 1 J-ai vu do près ces bouillonnements; tout s'y mêlait; ce que la nature humaine a de plus noble , ce qu'elle a de plus vil. L'idéal de la perfectibilité sociale poussé jusqu'à l'impossible , le sensualisme surexcité jusqu'à la fureur 1 » — Un épisode de la Révolution de hSi^ y ebap. II, p. 37. 2 Garnier-Pagès, Un épisode de la Révolution de 4848, chap. iv, p. 491. LIVRÉ HUITlftMB. m Umnent y loraqull ÉiartyriBail les ministres de Louis* Philippe. Au milieu de ces partis se mouvait M. de Lamar«« tine, souriant à tous, ne se vouant rien, ne se donnant à personne. Si Voù consulte et si Ton rapproche les témoignages de ses collègues ^ on trouve qu'il s'était attribué et composé un rôle de prépondérance per- sonnelle, se réduisant, en somme, à être applaudi. On le tenait toujours tout prêt , dans une pièce , ceint de son écharpe , comme un grand prêtre en habits sacerdotaux. Lorsqu'une bande envahissait THôtel de Ville, on allait chercher le joueur de lyre, on le pla* çait sur une table ou sur une fenêtre ; et là , devant ces foules parisiennes, éminemment artistes, que tout tré*^ teau captive et que tout théâtre passionne, M. de Lamartine faisait et refaisait des discours assez sem^ blablesà son auditoire , c' est *à«»dire sans commence** ment et sans fin. Dans les premiers temps ^ cette mu- sique harmonieuse , mais vague et un peu monotone, plut par sa nouveauté, et endormit quelquefois le délire populaire. L'abus qu'il fallut en faire diminua son mpire; on cessa d'abord d'applaudir, et l'on finit par cesser d*écouter ' . Parmi ses collègues, et d'après leurs témoignages , M. de Lamartine sembla laisser quelque peu à désirer • M. do LcBMurtiiie avooe lui*méme qu'on lui criaH quelqu^ois, au milieu d* ses discoure : Au$z joui de la lyre! Plusieure per- sonnes de noire connaissance ont entendu adresser à M. de Lamar- tine des invitations beaucoup plus énergiques. 21. 3U LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. pour la netteté des doctrines et poar la sûreté des rela- tions. Les uns le représentent comme s'étant donné en détail à chacun ^ même aux plus forcenés démagogues ' ; les autres le peignent comme prodigue envers tous de ses avances et de ses caresses , et recherchant l'ap- probation des clubs, pour en fortifier sa popularité de salon ^. « Avec M. Marrast, ditr-on encore , il ac- cusait les intempérances révolutionnaires de M. Le- dru^RoUin; avec M. Ledru-Rollin, il déplorait la mol- lesse de M. Marrast. Chacun avait une bonne parole de lui y et, pour tout projet, il laissait une espérance. Il flattait la garde nationale, et caressait Blanqui; il ménageait Sobrier et amorçait Caussidière. Il se te* nait dans celte attitude intermédiaire., et toujours avec assez de réserve pour que chacun espérât trou- ver en lui un auxiliaire du lendemain'. » L'un des hommes les plus modérés du Gouvernement de fé- vrier, et celui qui y porta peut-être le plus de fran- chise, déclare que si les conspirateurs du 47 mars, c'est-à-dire Caussidière et Barbes , avaient réussi à porter M. Ledru-Rollin à la dictature, M. de Lamar- tine aurait suivi et partagé sa fortune *. Qu'était de- venu le temps, pourtant si rapproché, où M. de La- martine, s'élevant contre les symboles de 1793, ^ Goudchaux, Déposition devant la commission d'enquête, ^ Louis Blanc, Pages d'histoire, chap. xiii. 3 Elias Regnault, Histoire du Gouvernement provisoire^ cb. viii. . •— M. E. Regnault était le chef du cabinet de M. Ledru-Rollin. ^ Goudchaux, Déposition devant la commission d' enquête j 25 juil- let 4848. LIVRE HUITÏËME. 3«5 arborés au banquet de Ghàlons , s'écriait : n Si nous sommes confondus avec les démagogues, nous som- mes perdus dans la raison publique. On dira de nous : ils ont leurs couleurs, donc ils ont leur délire! x> Pour excuser ses relations avec Blanqui, M. de Lamartine disait : « J'ai conspiré avec Blanqui, comme le paratonnerre conspire avec la foudre. » L'excuse pouvait être vraie ; mais c'était un étrange gouverne- ment, on en conviendra, que celui dans lequel on se donnait le tonnerre pour collègue. V. Ainsi, toutes les passions, toutes les ambitions, toutes les utopies contemporaines étaient réunies dans le Gouvernement provisoire. Il y avait des commu- nistes, des jacobins, des constitutionnels, des hom- mes désireux de jouir, des hommes désireux de bril- ler. Il touchait même par ses régions inférieures aux opinions dynastiques , ayant pour secrétaire général l'organisateur des banquets. M. Pagnerre était venu se reposer au sein de la République des fatigues que lui avait causées la régence, a Je l'avais reconnu, dit M. de Lamartine, sur le siège de la calèche disloquée et boueuse qui portait M. Barrot'. » Quand on n'a que l'ambition d'être à cette place, il importe peu qui est dans la voiture. C'est pour cela qu'après avoir conduit ^ Lamartine, Histoire de la Révolutûm de 4818, liv. IV. m LA RÉPUALIQUB DE 4 848. M. Odilon^Barrot le matin, M. Pagnerre conduisait M. Ledru-RoUin le soir. Que pouvait , pour créer un peu d'accord autour de lui , un gouvernement qui en avait si peu dans son sein? L'ambition effrénée du pouvoir était le mobile des vainqueurs. Pendant que les dictateurs escaladaient l'Hôtel de Ville, d'autres escaladaient les administra*» tiens publiques. M. Etienne Arago s'était emparé de l'hôtel des Postes, M. Gaussidière de la Préfecture de police. Un général Esprit, établi au Ministère de la guerre , s'était donné un lieutenant de la garde natio- nale pour chef d'état-major, et lançait des proclama- tioOiS au peuple et à l'armée \ • D'un auU*e côté, le Gouvernement provisoire et les vainqueurs eux-mêmes n'étaient pas sans nne certaine appréhension. Un combattant fort résolu, M. Paul Emile Laviron, demandant, le 25 février, une direc- tion génitale au Ministère de la justice, insistait prin* cipalement mr le danger qu'il pouvait y avoir encore m se charger de fonctions publiques ^. Le château de Vin- eennes et le fort du mont Yalérien inspiraient surtout d6 vives inquiétudes. Par ordre du ministre de la guerre, M. Laugier, membre de l'Institut, fit, à l'aide de la lunette de l'Équatorial , des observations sur ^ Noos avons en notre posseeston deux proclamations autographes du général Esprit et de son chef d'état-major. 3 Voir, aux pièces justificatives, la lettre de M. Laviron, dont Tau- tographe est entre nos mains. LIVRE HUITIÈME. 327 « Taspect de ces deux fort^eeses. Le rapport de cet astronome, daté du 25 février, à deux heures de Taprès-midi, donne des détails ' de nature à rassurer les triomphateurs de THôtel de Ville. C'est au milieu de cette confusion universelle qm comm^cèrent les actes ^ c'est-à-dire les lottes du Gouvernement provisoire. VI. Là pranière lutte éclata le 25 février au matin ; elle eut pour cause le socialisme. Une bande nombreuse et armée envahit l'Hôtel de Ville, et l'orateur admis au* près du Gouvernement, frappant le parquet de la crosse de son fusil, demanda d'une manière impéra- tîve ce qu'il nommait « la l'econnaissance du droit au travail. » Sans examiner, sans comprendre peut-être la portée qu'avait, cette formule dans le langage des sectes socialistes, les membres du Gouvernement pro- visoire livrèrent la décision à M. Louis Blanc, qui improvisa le décret suivant : , « Le Gouvernement provisoire de la république française s'engage à garantir l'existence de l'ouvrier par le travail. » Il s'engage à garantir du travail à tous les ci- toyens. » Jl reconnatt que les ouvriers doivent 8*aseoder 1 Voir, aux pièces justificatives, le ra{^KHi de M. Laugieri dont nous possédons ia copie oonforme adreasée au maire de Paris. 3t8 LÀ RÉPUBLIQUE DE 4 848. entre eux, poar jouir du bénéfice de lenr travail ^ » Ce décret était insensé; le Gouvernement ne fut pas longtemps à s'en apercevoir^ car il Tut obligé d'en renier le principe et d'en refuser Tapplication le lendemain. Tout en réservant pour un chapitre spécial Texa- men des doctrines et des menées des sectes socia- listes, sous la république de 4848, nous devons si- gnaler néanmoins dès à présent ce qu'avait de sophis- tique leur plus énorme et leur plus générale préten- tion, la reconnaissance par l'État du droit au travail. L'État n'est, en somme, que la société se gouver^ nant elle-même, à l'aide de certaines formes les mieux appropriées aux intérêts et aux traditions d'un pays. Sous un régime libéral, et spécialement sous le régime du suffrage universel, tout citoyen fait partie de la société politique, et par conséquent, dans une certaine mesure, il fait partie de TÉtat. Vouloir que l'État reconnaisse à tout citoyen un droit au travail, c'est donc vouloir que les citoyens se re- connaissent des droits contre eux-mêmes , ce qui est absurde. Un État, pas plus qu'un individu, ne saurait être obligé au delà du raisonnable et du possible; et un citoyen ne saurait avoir, ni contre TÉtat , ni contre personne, un droit à une chose impraticable et in- sensée. Tout individu est fondé à demander aux lois ^ Ce décret, signé de tous les membres du Gouvernement provi- soire, est au Moniteur du 26 février 1848. LIVRB HUITIÈME. 3t9 de son pays aide et protection , dans la mesare de ce qne le temps, les circonstances et les mœurs auto- risent; tout gouvernement, s'il comprend ses devoirs, doit travailler, avec une affection paternelle, au sou- lagement des souffrances publiques ou privées : mais tous les droits et tous les devoirs imaginables ont une limite infranchissable : la possibilité et le bon sens. Le Gouvernement provisoire, après avoir dit de lui : « il s'engage à garantir du travail à tous les citoyens, » aurait donc dû ajouter : autant que faire se pourra. Le décret n'aurait pas été socialiste, mais il aurait été raisonnable, et il n'y aurait rien perdu. Les idées nettes et sensées eurent toujours un empire irrésis-* tible sur les masses. Les ouvriers de Paris n'étaient pas encore égarés à cette époque. Les doctrines so- cialistes n'avaient pas franchi la sphère, relativement fort étroite , des sectes et de leurs affiliés. D'ailleurs le principe du droit au travail pouvait être refusé sans danger le 25 féyrier, puisque l'application en put être refusée le 2S. Il était évidemment moins dangereux et plus digne de ne point faire une pro- messe que de la violer. VU. Le 28 février, peodant que le conseil était réuni , une longue colonne se préseota devant l'Hôtel de Ville. Elle était formée de ces éléments déclassés et IM LA RÉPUBLIQUE DE 18i8. tarbalents, jetés dans les raes par Témeate^ qui 8er<* vaient déjà et qui servirent plus tard encore à toutes les démonstraUons. Cette colonne portait de nom- breuses bannières , sur lesquelles étaient écrites ces paroles : Organisation du travail! Ministère du pro-* grès ! Une députation monta les degrés de rHètel , et se fit annoncer au conseil. Le parti à prendre était grave, et le temps était court. On délibéra donc à la hâte sur la réponse qui serait faite à la demande de la députation. Cette scène était Tœuvre indirecte de M. Louis Blanc. Ambitieux et rêveur, il voulait satisfaire son ambition et réaliser son rêve* Les autres le faisaient bien : pourquoi ne le ferait-il pas, comme lea au- tres? Des révélations intimes le montrent, dans cette matinée du 28 février, appelant dans un concilia- bule secret M. Marrast, M. Flocon et M. Albert, et cherchant à les attirer dans ses projets. — « Les hommes venus de la Chambre étaient tous pourvus ; les hommes venus de la presse resteraient-ils dans une portion amoindrie et humiliée? La révolution n'exigeait-elle pas des formes administratives nou- velles? Pourquoi M. Marrast n'aurait-il pas un mi* nistère des Beaux- Arts, M. Flocon un ministère de la Bienfaisance publique, et M. Louis Blanc, secondé par M. Albert, un ministère du Progrès ^ ? » — Ces ouvertures ayant été froidement accueiUieSi il ne RAgnauit, Hiêtoire du GùuvemêmetU provisoire , ch. tii. LIYRB HUITIÈME. 981 resta à M. Louifi Blanc que les chances d'une lotte ouverte avec ses collègues pour devenir ministre du Progrès. ■ Ce ministère^ si étrangement nommé , était plus étrange encore par son objet. Le Droit au travail^ avec la signification rigoureuse que ces termes en- traînent et celle que les sectes socialistes y attachent, ne saurait évidemment être garanti par les sociétés modernes, dans lesquelles l'État n*est que d'une ma- nière exceptionnelle propriétaire , fabricant et négo- ciant. C'est à l'aide d'une certaine Organisation que le droit au travail devait être mis en pratique. M. Louis Blanc avait dévdoppé ses idées à ce sujet dans un ouvrage publié avant la révolution. Ses coU lègues ne connaissaient probablement pas cet ou* vrage; mais c'eût été bien pis encore s'ils l'avaient connu, car l'application des principes qui y étaient exposés entraînait la destruction totale des sociétés modernes, et le retour aux systèmes communistes sot lesquels étaient fondées la société grecque et la société romaine. C'est donc la restauration des prin-^ eîpes sociaux contemporains de Numa et de Lycur* gue qui devait être, avec l'anéantissement de la li- berté humaine f l'œuvre fondamentale dû ministère du Progrès. La question posée dans le conseil, M. Louis Bianc la soutint avec véhémence. Il représenta cette révo^ lution de hasard , sortie d'un malentendu et d'une surprise , comme l'avènement naturel des doctrines 332 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. socialistes, et Torganisatioii du travail comme une satisfaction nécessaire accordée au prolétariat vain- queur. Les collègues de M. Louis Blanc, qui sa- vaient aussi bien que lui comment la révolution s'é- tait faite, qui ne se sentaient les représentants ni du prolétariat, ni de personne , ne se crurent pas auto- risés, quelque osés qu'ils fussent, à prononcer et à opérer la destruction de la civilisation moderne. M. de Lamartine ajouta qu'il ne comprenait pas et qu'il ne comprendrait jamais Torganisation du tra- vail. Son avis prévalut dans le conseil. Le socialisme, auquel M. Ledru*Rollin , M. Marrast et M. Crémieux lui-même devaient se rallier plus tard, n'avait alors ni autorité ni vogue. M. Louis Blanc vaincu offrit sa démission. VIIL Le Gouvernement provisoire n'avait alors ni cohé- sion, ni but; il commit deux fautes énormes. La première fut de ne pas accepter la démission de M. Louis Blanc; la seconde fut de lui offrir d'aller prêcher ouvertement, au nom du Gouvernement, dans le palais du Luxembourg, avec les exa- gérations que permet Tirresponsabililé , précisément ces mêmes doctrines que Ton répudiait à THÔtel de Ville. M. Louis Blanc n'avait alors aucune autorité, et les ouvriers de Paris, on le verra plus loin, ne son- LIVHE HUITIfiME. 333 geaient encore à aacune des moDstroosités que ren- seignement du Laxemboarg eut pour résultat de leur suggérer. Hors du Gouvernement, M. Louis Blanc , noyé dans le débordement de la presse et des clubs , aurait offert moins de dangers que Blanqui , Barbes et Raspail, qui étaient des hommes d'action. Dans le Gouvernement, M. Louis Blanc resta un danger per- pétuel et immense. Il y fut Tinstigateur et Fâme de toutes les conspirations, depuis la proposition du dra- peau rouge jusqu'à F émeute communiste du 16 avril. Ne pouvant être ministre du progrès , M. Louis Blanc accepta la proposition que lui firent ses coilè* gués de présider une commission permanente siégeant au Luxembourg, dans T ancienne salle de la pairie, et chargée de s'occuper du travail et des travailleurs. Entre les mains de M. Louis Blanc et de M. Albert, Tun président et l'autre vice-président , et tons deux communistes avérés , la commission pour les travail- leurs va devenir une officine publique de désordre. On y prêchera pendant deux mois, au nom du Gou- vernement, la haine la plus aveugle et la plus sauvage contre les institutions nées du christianisme et de la civilisation générale. L'événement montra que les théories socialistes n'avaient pas encore, le 88 février, déracines dans la population ouvrière. Aucune réclamation ne s* éleva contre le refus d'organiser le travail et de créer un ministère du progrès , quoique ce refus violât assez ouvertement le décret du 25 février, qui adoptait, dai LA RtFUBLIQUB DE 4 848. aa nom do Gouvernement , la plus groise [urétoitioii du socialiame. Entre la pétition sur le droit au travail et le refus de Torganiser, s'était passé , à THôtel de Ville, un grave événement, qui montre encore combien les masses étaient saines au début de la révolution : c'est la demande du drapeau rouge. IX. Il devint manifeste, dès le S6 février, qa*un cer- tain nombre de sectaires violents, trainant à leur suite des masses d'ouvriers inexpérimentés, médi- taient le renversement du Gouvernement provisoire. Des informations nombreuses et précises firent con- naître que les meneurs prendraient pour prétexte le procès des ministres , et qu'ils demanderaient l'adop- tion du dra[ieau rouge, l'établissement du tribunal révolutionnaire et le gouvernement de la terreur. Réduits, comme ils Tétaient, à des discours pour toute défense contre les entreprises violentes, les membres modérés du Gouveniraient provisoire du- rent s'émouvoir d'une telle éventualité. Le tribunal révolutionnaire était une institution lugubre. Les pas- sions qui auraient été assez fortes pour le rétablir eontre les ministres ne Tauraient pas été assez pour en prémunir longtemps le public , et pour s'en pré- munir elles-mêmes. Un louable accord s'établit entre quelques hommet LIVRB HUITISMB. d3b dont le conGonre était néeeesaire pour eonjorer Torage. La première mesure jugée nécessaire fut d'6ter aux factieux le prétexte qu'ils avaient assez habilement trouvé 9 le procès des ministres. On résolut de Tévo^ quer immédiatement devant la justice ordinaire. La force morale que le procès fait aux ministres donnait à la justice parut devoir permettre de commencer un autre procès, bien plus fondé et bien plus urgent : celui des incendiaires et des assassins qui désolaient les environs de Paris. Tout cela fut concerté et exécuté, le 26 février, en quelques heures. Les noms des deux conseillers^ choisis pour instruire le procès des minis- tres révélait aux esprits clairvoyants la pensée qui avait dicté la mesure; et l'arrêt de non lieu, par lequel se termina Tinstruction , écarta , lorsqu'on pou* vait le faire sans danger, la question la plus redoux- table que la révolution eût suscitée. Restait la demande du drapeau rouge , qui n'était pas, comme on voit, une démarche isolée, mais qui se rattachait à la tentative ayant pour objet Tétablia^ Bernent d'un régime de terreur. Des bandes nombreuses, mais flottantes, sans co*- hésion, sans parti pris, conduites et trompées par des fanatiques, se présentèrent à T Hôtel de Ville, le 26 février. Elles étaient précédées d'un groupe por- tant des drapeaux rouges, et leurs chefs vinrent de- mander arrogamment que la République adoptât cette ^ MM. de la Haye et Perrot de Chezelles. 336 LA RËPUBLIQUB DE 4 8i8. coaleur. Le drapeau roage avait qd complice dans le GouverDement provisoire, c'était M. Louis Blanc. Deux de ses collègues le déclarent; et Tun d'eux ajoute que la demande du drapeau rouge avait été faite à son instigation ^ Dans une publication ultérieure, M. Louis Blanc ne dissimule pas Tappui qu'il donna à l'adoption du drapeau rouge dans le conseil; il s'at- tache seulement à enlever à ce drapeau toute signifi- cation sinistre , et à le présenter comme un symbole d unités à l'aide duquel le peuple aurait voulu repré- senter la république ^. M. Louis Blanc peut avoir été dupe de sa bonne foi. Il est étrange néanmoins que le drapeau tricolore^ par lequel la république une et in- divisible de Couthon, de Saint-Just et de Robespierre s'était trouvée suffisamment représentée, ait sérieuse- ment paru à la république de 1 848 entaché de préjugés monarchiques '. Le drapeau rouge a d'ailleurs, en France, une signification historique et légale qu'il ne dépend de personne de changer à l'aide d'un symbo- lisme imaginaire : c'était^ dans l'ancienne France, comme dans la constitution de 1791 , le drapeau de la loi martiale , c'est-à-dire le drapeau de la dictature militaire et de la force *. * Goudchaux , Déposition devant la commission d'enquête. ^ « On demanda le drapeau rouge, comme Tétendard de l*unité. » Louis Blanc, Pages d'histoire, ch. v. • « Le drapeau tricolore portait la trace des préjugés monarchi- ques. » Louis Blanc, Pages d'histoire, ch. v. ♦ Loi du 21 octobre 1789, Moniteur du 20 au 22. LIVRE HUITIÈME. 337 X. Dans cette lutte contre les traditions de la terrenr^ comme dans toutes celles qu'il eut à soutenir contre les passions révolutionnaires, M. de Lamartine montra un grand courage , et développa les ressources d'une éloquence appropriée à l'exagération , à la fièvre et môme à Tignorance de ses auditeurs ^ L'espèce d'hallucination que la continuité de ces scènes fan- tastiques et violentes avait produite dans son esprit lui fît voir d'ailleurs l'épisode célèbre du drapeau rouge avec des proportions et des résultats qu'il n'eut pas en réalité. Ses propres collègues, qui l'aidèrent ce jour- là à calmer le monstre de l'émeute , disent que « sa victoire fut facile y parce que la foule ne voulait pas du drapeau rouge , et qu'il n'y avait à le vouloir que quelques hommes instigués par Louis Blanc'. » Cette déclaration dérange d'autant plus la tradition accré- ditée au sujet du drapeau rouge, que si la foule ne 1 Le discours de M. de Lamartine donne à penser que le drapeau rouge aurait fait, en 179^, le tour du Champ de Mars, porté par des émeutiers. Le drapeau rouge ét.ait, à cette époque, le drapeau de Tordre public , conformément aux articles 2 et 3 de la loi du 24 oc- tobre 1789, contre les attroupements, où il était dit qu'en cas d'émeute, tin drapeau rouge serait exposé à la principale fenêtre de l'Hôtel de Ville et dans toutes les rues. Au signal ^u drapeau rouge^ tout attroupement devenait criminel , et devait être dissipé par la force. Le drapeau rouge n'eut donc jamais à faire et ne fit jamais le tour du Champ de Mars, ) Goudchaux, Déposition devant la commission d'enquête, 22 338 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. voulait pas de cette coaleur, M. de Lamartine en voulut. En effet, par une concession aussi insensée qu'inu- tile, et dont le bon sens du vrai peuple fît justice, M. de Lamartine rédigea lui-même, avec M. Louis Blanc, et signa, après que Témeute fut dissipée, un écrit qui adoptait^ sinon le drapeau , au moins la couleur rouge. Ce décret s'exprime ainsi : « Comme signe de ralliement et souvenir de recon- naissance pour le dernier acte de la révolution popu- laire, les membres du Gouvernement provisoire et les autres autorités porteront la rosette rouge, laquelle sera placée aussi à la hampe du drapeau ^ . » C'est donc à l'initiative personnelle de M. de La- martine que fut due la création d'un signe de rallie* ment contre lequel ne tardèrent pas à s'élever avec force les mœurs publiques. Les membres du Gou- vernement provisoire déclarent eux-mêmes que lors- que, (( pour obéir au décret, ils se montrèrent en public, avec la rosette rouge, le peuple les insulta; et quelques-uns d'entre eux en prirent occasion de montrer à M. Louis Blanc que les couleurs rouges n'étaient pas les couleurs nationales *. » Prisonnier de quelques centaines de sectaires et d'émeutiers, le Gouvernement provisoire achetait un peu de liberté et de pouvoir au prix de la corruption des mœurs publiques. C'est en effet à l'initiative du 1 Moniteur du 27 février 4848. 2 Goudchaux , Déposition devant la commission d'enquête. LIVRE HUITIÈME. S3d pouvoir que furent dues et la proclamation des doo* trines socialistes , que le peuple n'avait pas detnan-^ dées , et Tadoption de la couleur rouge , contre la- quelle le peuple protesta. C'est encore dans ses luttes intérieures ou dans ses principes quMl faut chercher la cause des deux redoutables crises du 1 7 mars et du46avriH848. XL La garde nationale de Paris, honteuse et conster^ née de la révolution de février, qui était son ouvrage', cherchait une occasion , sinon de renverser la repu*- blique, au moins de chasser du Gouvernement {)ro-^ visoire les éléments terroristes et socialistes qui Ten^ traînaient. Elle crut avoir trouvé un prétexte plausible dans un arrêté de M. Ledru-Rollin, du H mars^ qui dissolvait les compagnies d'élite, c'est-à-dire les gre* nadiers et les voltigeurs. Ces compagnies, spéciale* ment formées par la bourgeoisie , constituaient , par r union de leurs membres, une force considérable. Maintenue et bien dirigée, cette force pouvait, à un moment donné, peser d'une manière décisive sur les affaires publiques. La dissolution des compagnies d'élite devait au contraire noyer dans les flots d'une milice nouvelle , portée à deux cent mille hommes, et remplie d'inconnus ou de démagogues, les élé- ments essentiellement conservateurs de la garde na- tionale. Il fallait donc, ou se résigner au joug révo- 22. 340 LA RÉPUBLIOUE DE 4848. JatioQDaire, ou tenter de le secouer avant le jour très-prochain assigné à la nomination des officiers. L'arrêté ministériel ayant fixé au 1 6 mars la clôture des listes d'inscription, ce fut ce même jour 16 mars qui fut choisi pour la tentative. Le projet fut conçu par Tétat-major de la deuxième légion, la plus conservatrice de toutes. Il fut aisé- ment accueilli dans toute la garde nationale , déses- pérée de sa folle conduite, le 23 février. Malheu- reusement ce plan était vague, sans but clairement indiqué, sans moyens d'exécution précis. Il consis- tait à entraîner les seize légions de la garde nationale, sans armes , a THôtel de Ville , sous le prétexte de protester contre la dissolution des compagnies d'élite, et de demander un ajournement pour la nomination des officiers. Une fois à THôtel de Ville , on espérait nouer quelque intelligence avec la partie modérée du Gouvernement provisoire. Le concert établi , on serait rentré chez soi , on aurait pris les armes , et Ton aurait débarrassé THôtel de Ville de ses hôtes les plus dangereux. Bien évidemment, ce plan n'était pas sérieusement conçu. Si Ton était résolu à réparer, dans une cer- taine mesure, l'irréparable faute du 23 février, il fallait aller à l'Hôtel de Ville, non pas désarmés, mais les fusils chargés, avec le parti pris de briser tous les obstacles. Toute démarche tiède, molle, formaliste, devait non-seulement donner à la partie violente du Gouvernement le temps de prendre ses mesures, LIVRE HUITIÈME. 311 mais avoir pour résultat nécessaire de compromettre la partie modérée aux yeux des révolutionnaires, et d'imprimer un élan redoutable à la démagogie. C'est en effet ce qui arriva. Les gardes nationaux eurent un échec, et c'est par une sorte de miracle que le communisme et la terreur n'eurent pas un triomphe. On ne peut pas évaluer à moins de vingt-cinq mille les gardes nationaux qui se dirigèrent, le 16 mars, à une heure de l'après-midi, vers l'Hôtel de Ville. Ils étaient sans armes. L'objet principal de leur protes- tation, annoncée, dès la veille, par des affiches, n'a- vait pas échappé à la pénétration de ceux qu'elle menaçait. Des masses de clubistes couvraient la place de Grève. Les colonnes de gardes nationaux arrivées les premières furent arrêtées par ces mas- ses, qui criaient : Vive Ledru-RoUin ! et qui chan- taient la Marseillaise. Comme les clubistes étaient décidés à défendre leurs patrons, et que les gardes nationaux n'étaient pas décidés à les attaquer, cette différence dans les dispositions donna aux bourgeois une attitude timide et aux démagogues une attitude provocatrice.* Après deux heures de pourparlers sans but, il fallut battre en retraite. Les gardes nationaux, parvenus jusqu'à la place de Grève, se retirèrent hués, insultés et même un peu battus. Ils n'empor- taient pas seulement le ridicule de cette échauffou- rée, dite Vémeute des bonnets à poil; ils emportaient encore la lourde responsabilité de la redoutable jour- née du lendemain. 84) LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. XIL La démoDstratioD démagogique du 17 mars ne fut pas, comme on Ta cru, la conséquence de la ten- tative conservatrice du 16, mais elle en reçut un degré notable d'aggravation. Il y avait déjà plusieurs jours que les corporations, représentées aux conférences du Luxembourg, et les clubs les plus violents avaient résolu de prolon- ger leur dictature, en ajournant les élections géné- rales, soit des officiers de la garde nationale, soit de TAssemblée constituante. Tout pouvoir régulier leur jparaissait un rival. Ces hommes, tous gagnés à la démagogie ou au socialisme, qui devaient à un ha- sard inespéré une domination sans limites, ne vou- laient pas rendre la société à elle-même, avant de l'avoir pétrie à leur image. Une Assemblée souve- raine et une garde nationale nommées et organisées en dehors de leur influence, auraient été une force que la société en détresse eût pu opposer à leurs des- seins. Il fallait donc écarter ces obstacles, et s'oppo- ser à la rentrée des troupes à Paris. Les délégués des corporations, réunis aux confé- rences du Luxembourg, prirent l'initiative de cette mesure ^ Elle était déjà adoptée par tous les clubs violents le 1 5 mars , et la démonstration aurait eu ^ Louis Blanc , Pages d'histoire^ ch. xi. LIVRE HUITIÈME. 343 lieu ce jour méme^ si le Gouvernement provisoire avait pu recevoir Blanqui, Gabet, Yillain et les au- tres délégués, qui devaient lui porter les intimations du socialisme et de la démagogie ^ A quelles inspirations supérieures étaient dues ces résolutions, et à quelles ambitions devaient^elles profiter? Il suffirait de savoir qu'elles remontaient à l'initiative des corporations représentées au Luxem- bourg) pour y reconnaître la main de M« Louis Blanc et d^ Albert , et qu'elles avaient été adoptées par les clubs de Barbes 9 de Yillain et de Longepied, pour y reconnaître celle de M. Ledru-RoUin. Ges présomp- tions deviennent une pleine certitude , si Ton consi- dère que M. Louis Blanc , M. Ledru-Rollin et Albert appuyèrent les prétentions des corporations et des clubs au sein du Gouvernement provisoire '. M. Le- dru-RoUin ne trouvait pas la France assez républi- caine. Il voulait ajourner les élections générales, afin d'avoir le temps de souffler de tous côtés, par Tor- gane de ses clubs, l'esprit de la démagogie. M. Louis Blanc et M. Albert, soupçonnant bien que l'Assem- blée constituante ne se prêterait pas à la destruction de la société, voulaient qu'elle trouvât, à son arri- vée, le socialisme établi. Ils avaient résolument sou- tenu leurs idées au sein du Gouvernement, et averti * Voyez dans les Murailles révolutionnaires , p* 777, la demande d'audience des chefs des clubs. 2 Louis Blanc, Pages d'histoire, ch. xi.— Elias Kegnault , Histoire du Gouvernement provisoire , ch. xiv. ' 344 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848.. même lears collègues à l'avaDce des proportions et des desseins de la démonstration populaire qui vien- drait les appuyer * . La marche de M. Ledru-Rollin était bien plus dan- gereuse. « Certain, dit son chef de cabinet , de voir repousser par la majorité du conseil les mesures qu'il croyait les meilleures et la méthode qu'il croyait la plus sûre , il devait , ou éviter les discussions, ou ne pas tenir compte des avis opposés. Le premier parti était le plus convenable ; M. Ledru-Rollin Tadopta'.» C'était donc par ses Circulaires , par ses Bulletins , par ses clubs, parTappui que lui donnaient M. Caus- sidière à la Préfecture de police, M. Louis Blanc au Luxembourg, que M. Ledru-Rollin marchait au triom- phe de ses idées révolutionnaires. La démonstration de la garde nationale, faite spécialement contre lui, avait naturellement ajouté à la vivacité de ses idées xelle de son ressentiment. Il voulait donner une legon, et à la garde nationale, qui avait blâmé son autorité, et à M. de Lamartine, qui avait récemment condamné sa politique. Et puis, qui savait ce que les circonstances pourraient conseiller, ou commander? Si la dictature s'offrait, ou se laissait prendre, on deman- derait conseil à la fortune et aux événements. A tout hasard, les faubourgs, les clubs, les ateliers natio- naux, les corporations ouvrières, les désœuvrés, furent poussés vers THÔtel de Ville. ^ Louis Blanc, Pages d*histoireyCh.xi, - Elias Regnault, Histoire du Gouvernement provisoire j ch. if. LIVRE HUITIÈME. 3i5 XIII. NéanmoiDs, à côté de l'ambition de M. Louis Blanc, de M. Ledru-Rollin et de M. Albert, chemi- naient sourdement, pleines de mystères, de haines ou de vengeances , trois ambitions rivales : Cabet , Ras- pail etBIanqui. M. Cabet était .un communiste pur. Il avait réuni dans un club nombreux et puissant les éléments depuis longtemps préparés par ses prédications. M. Raspail, plus violent, se rattachait à ce socialisme jacobin et brutal, dont Saint-Just avait été Tçxpres- sion la plus redoutable. M. Blanqui était une nature fébrile, exaltée et sombre. Les conspirations lui étaient devenues nécessaires. On lui attribuait des haines ardentes contre la société et des desseins atroces. Ces trois hommes, chefs de trois clubs dis- ciplinés et puissants, ne subissaient aucune influence extérieure. Barbes, chef du club de la Révolution; Sobrier, Yillain et Longepied, chefs du club des Clubs, obéissaient à M. Ledru-Rollin; mais Raspail, Cabet et Blanqui ne recevaient l'impulsion de per- sonne, et n'avaient d'ailleurs entre eux ni principes, ni projets communs. Trop faibles pour usurper direc- tement la domination , ils étaient assez habiles pour la saisir dans un moment de trouble. La crainte trop fondée qu'ils inspiraient avait imposé quelque réserve à M. Louis Blanc et à M. Ledru-Rollin; et c'est en 316 LA RÉPUBLIQUE DE 4848. effet la multiplicité des dictateurs qui va nous pré- server de la dictature. La grande manifestation populaire et pacifique reçut l'ordre de se concentrer, le 17 mars, à dix heures du matin, sur la place de la Concorde. Des masses effroyables s'y entassèrent, conduites par des com- missaires, et précédées par des drapeaux. Malgré son titre de pacifique ^ la manifestation était mena- çante pour la bourgeoisie de Paris et pour le Gouver- nement. Les hommes descendaient les boulevards, en criant et en forçant le public à crier Ça ira! Un placard, signé par les chefs des clubs , disait : 0 Le peuple voit d'un œil sévère des manifestations contre celui des ministres qui a donné tant de gages à la Révolution. Nous attendons avec confiance la réalisation des promesses du Gouvernement *. » La ville de Paris et le Gouvernement étaient absolument à la discrétion de ces masses populaires. On n'avait pas quinze cents soldats dans les casernes , et l'ap- parition des uniformes de la garde nationale eût été une menace ou un défi. A midi, la manifestation se dirigea, dans le plus grand silence et avec ordre, vers l'Hôtel de Ville. A une heure, la place de Grève était couverte, les quais occupés, et le Gouvernement enveloppé par une armée de plus de cent mille hommes. Les chefs des clubs, réunis, et placés en tète , touchaient à la grille de l'Hôtel de Ville. Chacun avait ses craintes et 1 MuraiUes révolutionnaires , p. 480. LIVRE HUITIÈME. 347 ses espérances; mais dqI n'aurait osé prédire ce qui allait arriver. Un immense et impénétrable imprévu couvrait la situation. M. de Lamartine ayant fait introduire M. Cabet^ seul, sur le grand escalier, conféra avec lui. Sur les assurances que donna M. Cabet, le Gouvernement fit transmettre au colonel Rey l'ordre de laisser entrer les délégués du peuple. Les plus connus étaient Bar- bes, Blanqui, Raspail, Cabet, Longepied, Yillain, de Flotte et Lacambre. Le Gouvernement les reçut dans la vaste salle Saint-Jean. Ces prétendus délégués du peuple, comme ils se nommaient, n'étaient en réalité que les chefs les plus ardents des sectes communistes et les clubistes les plus efiPrénés. Ils s'avancèrent ^ laissant quelques pas entre eux et le Gouvernement provisoire. XIV. Lorsqu'il eut vu de près, reconnu et compté ces délégués du peuple , M. Louis Blanc , qui avait senti ses yeuœ se remplir de larmes de joie ^^ à rapproche des colonnes^ ne tarda pas à rabattre de sa trop prompte satisfaction. Il avait trouvé dans la députa- tion des figures inconnues et sinistres; elles appor- taient au moins autant de menace que d'espoir. Sur l'invitation de M. Dapont de l'Eure, l'un des délégués lut une pétition qui demandait, au nom du ^ Louis Blanc,. Pa^es d'hUtotre^ ch. xt. 3i8 LA RÉPUBLIQUE DE 18i8. peuple, d'ane manière ferme et impérative, l'ajour- Qemeat des éleclîoDS de la garde nationale au 5 avril, l'ajoarnement des élections de l'Assemblée consti- taante an 31 mai , et l'éloignement absolu des trou- pes. L'orateur terminait en demandant uDe délibé- ration prompte et une décision séance leoaDte. Ces dernières paroles, qui étaient une sommation impérieuse et insolente adressée au Gouvernement provisoire tout entier, éteignireut les dernières lueurs d'espoir que la présence et l'attitude de Blauqui avaient pu laisser à MM. Ledru-Rollin, Louis Blanc, Flocon et Albert. Ils pouvaient, moins que persoone, se courber devant de pareils ordres; car, au lieu de la dictature qu'ils avaient espérée, les clubs lenr imposaient, pour gage d'alliance, le plus honteux abaissement. Sentant ce que leur imposait leur position spéciak dans cette crise ', M. Louis Blanc et M. Ledru-Rollin prirent les premiers la parole. Ils durent défendre, en eux, la dignité commune du Gouvernement. Dès leurs premiers mots , le but de la démonstration se trou- vait donc manqué pour tous ceux qui l'avaient pré- parée. L'nnion du Gouvernement provisoire enlevait à Blanqui les chances qu'il eût trouvées dans sa dis- corde ; elle enlevait au socialisme et au communisme la domination qu'ils s'étaient promise; elle enlevait même à M. Ledra-RoUin les bénéfices de la leçon ' L. Blaïc, Pagei Shitloirt, ch. u. S LIVRE HUITIÈME. 349 qu'il avait voulu donner à la bourgeoisie et à M. de Lamartine. En effet , il avait été directement bravé par les clubs, comme tous ses collègues, et ce n'est pas son discours, mais celui de M. de Lamartine qui amena la retraite de ces hôtes dangereux. Cette lutte entre le Gouvernement provisoire et les clubistes fut longue et lamentable. Douze hommes isolés, cernés, disputèrent pied à pied, phrase à phrase, leur pouvoir, presque leur vie, aux chefs d'une innombrable armée de démagogues. Spectacle digne d'une pitié profonde, puisque en ces douze hommes résidait alors la dignité de la France, abaissée avec eux jusqu'à la prière devant des factieux. Le sentiment que tous les acteurs de cette scène avaient de leur fausse situation mit un terme à la lutte. Déconcertés par l'accord inattendu des membres du Gouvernement provisoire, et contenus par la mo- dération des clubs rivaux , Blanqui et les siens batti- rent en retraite, abandonnant à regret une proie qu'ils ne cessèrent de convoiter. De son côté, la partie violente du Gouvernement provisoire, satisfaite de l'appui plus apparent que réel de la démonstration, ajourna l'accomplissement de ses projets, détruits par la présence de rivaux plus violents encore. L'his- torien de cette époque le plus favorable à M. Ledru- Rollin ne le dissimule pas : « L'apparition de Blanqui, dit-il, devenait un sinistre avertissement. Peut-être en ce jour même avait-elle été un obstacle. Combien de fois le serait-^lle encore? Cette image des factions 350 LA RÉPUBLIQUE DE 1848. extrêmes, toujours sur son chemin, tempérait la joie du ministre et troublait ses pensées ' . » En effet , la crainte d'être emporté par l'impulsion qu'il aurait communiquée aux passions révolutionnaires arrêta seule M. Ledru-RoUin ; et deux fois, le 17 mars et le 1 6 avril , la terreur que lui inspirait la dictature de Blanqui sauva Paris de la sienne. XV, Enhardi et aveuglé par cette grande démonstration populaire^, de laquelle il n'avait pas tiré néanmoins atutant de force qu'il se l'imaginait, M. Ledru-RoUin se prépara et se résolut sérieusement à prendre la dictature, objet de sa convoitise. Les élections de l'Assemblée arrivaient; il fallait le^ prévenir, si Ton voulait opérer de profondes transformations , aux- quelles il était probable que les représentants des populations opposeraient la barrière des traditions na- tionales et des mœurs publiques. Deux personnes, poussées par des mobiles différents, entretenaient M. Ledru-RoUin dans ces idées, et le pressaient de les réaliser : c'étaient M. Louis Blanc et M. Caussidière. M. Louis Blanc se rapprochait beaucoup plus de M. Ledru-Rollin par l'ambition que par la doctrine. Quoiqu'il ait subi plus tard le joug du socialisme, M. Ledru-Rollin ne le croyait alors ni très-puissant, ^ Elias Regnault , Histoire du Gouvernement provisoire , ch. xi. LIVRE HUITIËMB. 351 ni très-dangereux. Il s'alliait donc à M. Louis Blanc et à M. Albert y et il en acceptait Tappui sans en re- douter la rivalité. Par les délégués des corporations réunis aux conférences du Luxembourg, M. Louis Blanc soufflait ses idées et ses colères à quarante mille hommes. C'était un auxiliaire important : il fut accepté. Sans doctrines exclusives, bienveillant de mœurs, rond de manières, sachant rassurer, même contre son parti, JM. Caussidière valait mieux que sa ré- putation. Sa force était en lui-même, sa faiblesse dans ses antécédents et surtout dans son entourage. Il avait dans le caractère la résolution que M. Ledru- RoUin avait dans les paroles ; et de beaucoup le plus redoutable, il était des deux celui qui inspirait le moins d'appréhension. Il voulait grandir, non domi- ner. C'était donq un appui considérable et net d'in- quiétudes. Ses soldats étaient dans tous les clubs, dans tous les bouges, sous tous les pavés. Les conjurés s'étaient bornés à un programme très- vague, ce qui prévenait ou du moins ce qui ajour- nait les divisions. « Leurs projets consistaient dans l'ajournement des élections et dans l'épuration du Gouvernement K » Dans la pensée la plus générale des hommes qui eurent la confidence de ces projets, la dictature devait être prise par MM. Ledru-Rollin, Louis Blanc , Albert et Caussidière. Dans la pensée • Elias Regnault, Histoire du Gouvernement provisoire, ch. xii. 35JI LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. de quelques-uDs, M. de Lamartine devait les suitre. Des témoignages certains établissent que M. Flocon ne cessa de prêcher T union et de blâmer les violences. L'exécution du coup de main fut fixée au diman- che 16 avril. On prévenait ainsi les élections, indi- quées pour le 22. On prit pour prétexte de la con- centration des ouvriers et des clubistes, au Champ de Mars et à THippodrome, la nomination de quatorze officiers d'état-major de la garde nationale, qui de- vaient être choisis parmi les candidatures popu- laires. L'opération terminée^ les masses populaires devaient aller publiquement à THôtel de Ville deman- der l'organisation du travail , et porter au Gouverne- ment tme offrande patriotique. Les préparatifs se poursuivaient sur une si vaste échelle, et chaque partie du Gouvernement faisait sur- veiller si exactement la partie rivale, que les mem- bres destinés au sacrifice furent informés de point en point du sort qui les attendait. Leurs ressources pour se défendre étaient bien faibles; ils eurent néanmoins le bon esprit et le mérite de ne point désespérer. L'absence de troupes rendait illusoires les offres de quelques généraux. La garde nationale réorga- nisée n'avait pas encore dit son mot; la garde mobile, formée d'éléments révolutionnaires, pouvait être douteuse. On fit agir néanmoins toutes les in- fluences qui pouvaient réveiller ou fortifier dans ces deux corps Tesprit de la discipline militaire et de LIVRE HUITIÈME. 3$3 Tordre social. Ces ressources élaient ioeertaines et faibles; et les hommes modérés pouvaient encore moins espérer le salut de leur accord problématique , que du désaccord certain des hommes violents. XVI. Blanqui était toujours un obstacle. On crut avoir trouvé un moyen de Técarter en le perdant dans Topinion des clubs. Un document de la nature à la fois la plus délicate et la plus confidentielle fut ex«- humé des archives secrètes du ministère de Tinté- rieur. C'était une révélation détaillée, intime et com- plète sur Torganisation, le personnel et les projets des sociétés secrètes en 1840. On publia ce document dans les journaux, le S avril. Ce fut un coup de fou- dre. La révélation était si minutieuse et si exacte, que Barbes s'écria : a Deux personnes seules ont su et ont pu dire cela : Blanqui ou moi ! » Ce mot, immé- diatement et universellement répété , désignait Blan- qui. Il y eut dans les clubs un véritable rugissement de colère. Blanqui se présenta au sien avec beaucoup de dignité. Il résigna ses fonctions de président , et déclara qu'il ne reparaîtrait qu'après sa justification. Tout le monde ne trouva pas très-justificative la ré- ponse de Blanqui; mais ses partisans, fanatisés par ses prédications, ne virent en lui désormais qu'un martyr de la calomnie. Ainsi, non-seulement Blanqui n'était pas écarté, 2% 364 LA RÉPUBLIQUB DE 4 8i8. mais il restait avec son ambition , augmentée de sa haine et de sa vengeance. On résolut de l'arrêter; mais M. de Lamartine, qui le voyait secrètement, et qui voulait le rallier, s'interposa, et dit : a N'arrêtez pas cet homme ; j'en réponds ! » Blanqui va être en effet la pierre d'achoppement de la dictature; il sauvera de M. Ledru-Rollin , de M. Louis Blanc et de M. Caussidière. L'erreur fondamentale des conjurés avait été de croire que les clubs se laisseraient faire leur part. Ils résolurent au contraire de se la faire eux-mêmes. Les chefs, réunis chezSobrier, quelques jours avant la prise d'armes, arrêtèrent la liste des membres du comité de salut public qui devait gouverner la France. On adopta, comme membres anciens : Ledru- Rollin, Flocon et Albert. On ajouta, comme membres nouveaux : Raspail, Blanqui , Kersausie et Cabet. Cette liste, de laquelle, comme on le voit, M. Louis Blanc était écarté, fut discutée chez M. Ledru-Rollin ^ Le ministre de l'intérieur refusa de faire partie d'une administration dans laquelle serait Blanqui. De son côté, Blanqui refusa de s'associer à M. Ledru-RoUin, qu'il accusait d'avoir livré un document confidentiel, de nature à le perdre. Les clubistes essayèrent de s'interposer. Ils envoyèrent au ministère de Tinté- rieur de Flotte, qui ne fut pas reçu. Sobrier vint à son 1 Voir les détails donnés à ce sujet par M. Marrastdevant la Gom- miasioa d'enquête, 8 juillet 4S4S. LIVRE HUITIÈIIB; 3M toorat iûftista aapràsda ministre, qoi fu4 iiiflexible. Poussé à bout, Sobrier quitta M. Ledru-Roliia , e6 lui laissant pour adieu cette mesace : « Eh bien , si vous ne voulez pas marcher avec nous , vous serez jeté par la fenêtre, dimanche, avec les autres; noub sommes en mesure ! » XVII. La situation devenait donc à la fois tendue et éom^ pliquée. II ne fallait pas se jeter seulement dans Tin^ connu , il fallait encore y marcher avec des ennemis redoutables dans ses propres rangs. M. Ledru-Rollin se vit clairement débordé et entratné. Des rapports sérieux lui montr^0nt l'influence de Louis Blanc comnoe menaçante, et la victoire de Blanqoi comme probable. . Avec le premier , on allait au commu- nisme; avec le second, à Téchafaud. M. Ledru- Rbttin hésita dans une voie qui aboutissait à du sang ou à des ruines. Il résista aux instances de M. Caus- sidière , il demeura sourd aux conseils de M. Louis Blanc. Après avoir passé la nuit du 1 S au 1 6 avril dans une perplexité facile à comprendre, il prit enfin son parti. Il se rendit , à dix heures du matin , auprès de M. de Lamartine, et lui avoua tout. Dès ce moment, il n'y eut plus qu'une chose à faire, se défendre. On avait donné tant d'armes à l'attaque, que le succès de la défense devenait pro- 23.- 3iir6 LA R&PDBLIQUE DE 4 848. blémalique. « Faites battre le rappel y dit M. de La- martine; et si^ par hasard, il reste encore une garde nationale , nons sonunes sauvés, n Pendant que le rappel jetait encore une fois Té- pouvante dans les rues, on se barricadait à THôtel de ville. M. le général Changarnier en prenait le com- mandement. On avait à peu près quinze cents hom- mes. Tons les membres du Gouvernement provisoire arrivèrent. M. Marrast ayant demandé à M. de La- martine :« Que pensez-vous de la journée ? «il répon- de :« J'ai fait mon testament; madame de Lamartine est en sûreté; je suis préparé à tout. » 11 y eut une attente longue et horrible. On voyait , au loin^ sur les quais, la tête des colonnes populaires, et la garde nationale ne paraissait pas. Vers deux heures, les corporations arrivaient au coin de la place de Grève , et le drame touchait à son dénoûment ré- volutionnaire, lorsque, tout à coup, la 10^ légion parut sur la rive gauche , traversa le . pont d'Arcole au pas de course, et couvrit T Hôtel de ville d'une masse impénétrable. En même temps, les gardes, mobiles, conduits par le général Duvivier, tombaient sur les quais par les rues perpendiculaires, et cou- paient irrésistiblement la colonne en tronçons isolés et captifs. C'en était fait de la révolte; et Tordre rem- portait sa première victoire. Les Parisiens n'oublieront de longtemps cette journée. C'était un dimanche. La bourgeoisie labo- rieuse prenait, sous un soleil de printemps, ses paisi- LIVRE HUITIÈME. 367 Ues et traditionnels ébats. Le rappel n'apporta qn'assez tard dans le quartier de la rive droite la nouvelle de l'envahissement de THôtet de ville par les socia- listes et la détresse do Gouvernement.  peine avertie, elle quitta femmes et enfants , et courut aux armes. C'était un enthousiasme universel. Les légions de ia garde nationale affluèrent de toutes parts à THÔtel de ville; les dernières arrivèrent portant des torches ^ et Paris tout entier s'illumina. La colonne des corporations , arrêtée à l'entrée de la place de Grève, réclama ses patrons à grands cris. MM. Louis Blanc et Albert arrivèrent. Ils étaient eux* mêmes dans la consternation. Tout ce que les maîtres d'hier obtinrent, ce fut que les gardes nationaux, maitres d'aujourd'hui, ouvriraient, à travers leurs masses profondes, un étroit passage dans lequel les clubistes s'engagèrent pour défiler. Ce fut pour eux une rude expiation. Un vaste et formidable cri : A bas les communistes! accueillit et couvrit, pendant deux heures, les masses révolutionnaires. C'était l'explosion de l'indignation publique ; toute la France y répondit. La journée du 16 avril rendit Paris à la garde nationale et sauva les élections. Les vaincus du 1 6 avril , ce furent les clubs vio- lents, les conférences du Luxembourg, M. Louis Blanc et M. Albert. M. Ledru-RoUin en fut aussi pro* fondement atteint , quoique à un moindre degré que ses deux collègues. SbH LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. Le vaiiiqueiir du 46 avril, ce ne fut pas le Goa-^ verneineDt provisoire, ce fat la cause de Tordre. Tout le monde vit alors qu'il n'y avait rien à espérer d'hommes ambitieux, divisés et impuissants, qai avaient été épargnés par les clubs le 17 mars, et qai étaient sauvés par la garde nationale le 16 avril. Les espérances du pays se tournèrent Vers la piXH chaine assemblée. LIVRE NEUVIÈME. l'assemblée constituante. — SON IRRÉSOLUTION AMÈNE LA DICTATURE L'Assemblée coDstltoante est affaiblie par le retard des élections. -^ Ce r«tard doQDe aux clubs le temps de se fortifier, et aux paysans le temps de s'éclairer. — Préjugés exclusifs des républicains et des socialistes. — Ils veulent orga- niser un gouvernement pour eux , non pour la France. — • M. Ledm-RolliBy M. Marrast et M. Louis Blanc dirigent les élections — Us s'excluent mu- tuellement de leurs listes — Les clubistes voyageurs de M. Ledru-Rollin. «— Les ateliers nationaux de M. Marrast. — Les brossiers et les cuisiniert de M.' Louis Blanc. — Les partis s'appuient sur les ouvriers. — Les élections sont faussées par le scrutin de liste. — Les députés ne représentent pas le pays. — Rôle délicat de TAssemblée. — Elle est la rivale des clubs. — * Ouverture de la session. *- Discours de M. Dupont de l'Eure — Pression morale exercée sur l'Assemblée. — Scission des'partis. — Nomination de la commission executive. — Chute de M. de Lamartine. — Attentat du 45 mai. — Vainqueurs et vaincus de ce jour. — Les vaincus cberchenfc une revanche. — Journées de juin. — Le général Cavaignac appelé à là dictature par les républicains. — Bataille de trois jours. — Impuissance de l'Assemblée. — La France se repose dana la dictature. L L'Assemblée constituante aarait joui d'une popu- larité immense et d'une autorité irrésistible, si elle avait été nommée et réunie immédiatement après la révolution de février, avant que les clubs fussent paissants, et avant que les paysans fussent désa- 360 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. bu8és. Elle eût été alors, pour toat le monde, une force et uue garantie. Le Gouvernement provisoire et les républicains, avaient de sérieuses et de légitimes crainles sur les dispositions de Topinion publique. La révolution de février les avait surpris au moins autant que les con- servateurs \ et elle leur avait donné le pouvoir avant qu'ils eussent des idées ou des hommes pour Texercer. Les républicains pouvaient espérer que les classes po- litiques dépossédées souffriraient leur gouvernement avec résignation ; ils ne pouvaient pas raisonnable- ment se promettre qu'elles le seconderaient avec dé- vouement. Une assemblée démocratique nommée par le peuple, en vue d'organiser et de consolider le régime issu de la révolution, aurait donc apporté aux chefs du parti républicain cette base solide et ce concours extérieur qui leu r manquaient . Par besoin de direction , rassemblée se serait appuyée sur le gouvernement ; par besoin de force , le gouvernement se serait appuyé sur rassemblée. Ainsi associés et unis, ces deux pou- voirs auraient brisé toutes les résistances et suffi peut- être à conjurer tous les périls. La bourgeoisie connaissait trop le personnel du Gouvernement provisoire, et trop peu le personnel administratif sorti du bouillonnement de février, pour ne pas avoir sur le régime qui commençait de naturelles ^ M. Crémieux dit à la tribune, le 43 septembre 4848 : « Je dé- clare à TAssemblée , je le dis hautement^ que le 21 février, à midi , je ne pensais pas à la République. » LIVRE NEUVIÈME. 364 appréhensions. Ce n'est pas qu'on pût refuser aux chefs du Gouvernement nouveau Thonnéteté ou les bonnes intentions ; mais il ne suffit pas de vouloir le bien pour le faire, surtout au milieu des difficultés qu'une révolution suscite et des passions effi^énées qu'elle déchatne. Les anciennes classes politiques au- raient donc été un peu rassurées si, au milieu d'une situation pleine de désordre et de périls , une assem* blée librement élue était venue corriger, par de la maturité et de la sagesse, ce que le Gouvernement provisoire faisait redouter d'inexpérience et de théo- ries. Les populations industrielles et agricoles, qui devaient à la révolution le bienfait du suffrage uni- versel , et qui , par conséquent , étaient favorables au nouveau régime, auraient également trouvé dans la calme volonté d'une grande assemblée, nommée par elles, des garanties que ne pouvait pas leur offrir le cénacle capricieux et violent formé à la hâte par une poignée d'ambitieux et de sectaires. L'élection et la réunion immédiate de l'Assemblée constituante après la révolution de février eussent donc offert, à tous les points de vue, la chance la plus certaine d'asseoir sur des bases durables le gouverne- ment républicain . Venue deux mois plus tard , quand les clubs avaient pris un immense empire , et quand les ateliers nationaux, les commissaires et les 45 cen- times avaient profondément dépopularisé le nouveau régime, l'Assemblée constituante, usée à l'avance, se trouvera un obstacle pour les démagogues, 36i LÀ RÉPUBLIQUE DE 4848. sans élre une garantie pour tes hommes d'ordre. Les clubs verront dans l'Assemblée une rivale , et tente- ront deux fois de la dissoudre ; les intérêts généraux de la société n*y verront pas un appui , et ils favori- seront moins son autorité, qu'ils n'appelleront celle de la dictature. Dès le 4 5 mai , la sauvegarde de Tordre et des citoyens n'était plus au palais législatif, mais dans les casernes. Abandonnée par les passions révo- lutionnaires comme par les opinions modérées y l'As- semblée s'abritait, dès sa réunion , sous la tutelle de la force militaire ; et la Constitution , à peine à son premier feuillet, était déjà une paperasse. II. Ce fut donc une énorme faute du Gouvernement provisoire d'avoir ajourné les élections ; mais cette faute, imposée par les préjugés de la démagogie et du socialisme, tient aux principes mêmes du parti républicain, qui a été jusqu'ici et qui sera toujours le principal obstacle à rétablissement et au maintien de la république en France. Le parti républicain français, tradition vivante de l'ancien jacobinisme , a toujours la prétention d'éta- blir une république, non pas pour la France, mais pour lui ; non pas au goût de la nation^ mais au sien. Pour les chefs de ce parti , quiconque n'est pas répu- blicain à leur manière ne l'est pas du tout; quiconque n'outrage pas les rois, ne menace pas les monarchies, LIVRE NEUVIÈME, 363 ne travaille pas à la ruine de la religion, ne croit pas à l'efficacité des clubs, et tie jure pas par le Comité de salut public, est un ennemi de la raison humaine et de tout progrès social. Les sectes socialistes sont bien plus exclusives et bien plus tyranniques encore. Les républicains, à la condition de subir leurs bruyants désordres, laisse-^ raient peut-être aux individus la paix de la famille et la sécurité du foyer. Les sectes socialistes ne vous laissent ni foyer, ni famille, ni conscience. Celle-ci vous interdit le mariage^ celle-là vous enlève le pa- trimoine, cette autre vous ôte Dieu. . On n'a pas encore vu en France une école de républicains qui ait pour but d'accorder la liberté à. tout le monde; encore moins y a-t-on vu une école de socialistes qui, en proscrivant de son sein la religion, la famille et la propriété, ait consenti à respecter ces trois principes sociaux chez ceux qui les professent. Les élections de 1848 furent retardées parce que M. Ledru-Rollin ne trouvait pas la France assez répu- blicaine, et parce que M. Louis Blanc ne la trouvait pas assez socialiste. Ce n'était pas, comme nous disions, le gouvernement de la France qu'ils vou- laient fonder, c'était le leur. M. Ledru-Rollin imagina, pour inculquer les principes républicains à la France, deux moyens qui donnent la mesure de la politique et de Tintelii-* genoe de cet homme d'État. Il lâcha dabord à travers le pays près de quatre cents clubistes de bas étage , 364 LA RÉPUBLIQUE DE 1848. payés à raison de 10 francs par jour, avec la mission d'aller de village en village lire sur un tréteau , de- vant des oisifs , des commères et des enfants , les trente articles de la déclaration des Droits de Robes- pierre ^Cette prédication achevée, un Bulletin officiel, rédigé dans le cabinet du ministre, menaça très- nettement la nation du renvoi de ses représentants, s'ils n'étaient pas l'expression pure et simple des opinions et des volontés des sociétés secrètes *. Pour s'imaginer que des inconnus, tombés tout à coup dans des auberges de campagne, avec un équi* page de maquignon ou de colporteur, séjournant quelques heures à peine, sans relations, sans crédit, ayant pour toute autorité l'attache d'un club de Paris, ^ D'après le propre témoignage de M, Longepied , président du Club des Clubs, M. Ledru-Rollin lui remit cent mille francs, sur les fonds du ministère de Tintérieur, pour influencer les élections du 23ayriH848. M. Longepied envoya quatre clubistes par département , à 40 fr. par jour. — Voyez la déposition de M. Longepied , et celle de M. Bertoglio, commissaire de police , dans le Rapport de ïa Commis- sion d'enquête. ^ Voici le passage de ce Bulletin du 45 avril, qui émut si juste- ment Topinion publique : a Les élections , si elles ne font pas triompher la vérité sociale, si elles sont Texpression des intérêts d'une caste , arracbée.à la con- fiante loyauté du peuple ; les élections, qui devraient être le salut de la République, seront sa perle, il n'en faut pas douter. Il n'y aurait alors qu'une voie de salut pour le peuple qui a fait les barricades : ce serait de manifester une seconde fois sa volonté, et d'ajourner les décisions d'une fausse représentation nationale, » Ce remède extrême y déplorable ^ la France voodbait-ellb roft- CER Paris a t recourir? » Ce Bulietin avait été écrit par madame George Sand. LIVRE NEUVIÈME. 365 changeraient Tétat moral et traditionnel des popula- tions, il fallait ou une ignorance absolue du pays, ou un mépris plus absolu encore pour Tespèce humaine. Ces tristes missionnaires, rarement écoutés, souvent hués, quelquefois menacés, placèrent sous les yeux des populations laborieuses et honnêtes les maximes, les moyens et te personnel le plus décrié des clubs, et firent remonter jusqu'au Gouvernement qui les em- ployait la défaveur et le dédain attachés à leur office. Ils aliénèrent beaucoup d'esprits, et ils n'en gagnèrent aucun ^ Quant aux menaces du Bulletin, adressées aux électeurs et affichées à la porte des quarante mille églises rurales, elles fortifièrent un peu plus le désir qu'avaient fait naître les commissaires et les 45 cen- times de se débarrasser au plus tôt d'un régime qui ne laissait aux gens ni la bourse ni la dignité. III. Ministre de l'intérieur et armé d'un budget, M. Le- dru-Rolliu put corrompre et intimider les suffrages des électeurs. Les influences rivales de la sienne dans le Gouvernement provisoire ne purent que les lui dis- puter, par tous les moyens que le désordre de ce temps suggérait à des révolutionnaires. ^ M. Sénard jugeait ainsi cette violence morale faite à la conscience publique : « On a, par là, fait tort à la République. Le pays y allait; on Ta traité comme s'il ne la voulait pas. On a traité la France comme un pays conquis. » — Commission d*enquéte^ déposition de M. Sénard. 366 LA BËPUBLIOUB DB 4 848. Cette compétition se fit, dans le Gouvernement provisoire , avec un mélange de ruse et de cynisme. Elle mettait à nu les luttes et les courtes vues des partis qui se disputaient la domination. Quelle stabi- lité, quelle force pouvaient communiquer à un jbuvoir des suffrages imposés par l'intimidation ou arrachés par le subterfuge ? M. Ledru-Rollin fit imprimer et distribuer dans Paris, aux frais de son ministère, cinq cent mille listes de vote ' . C'était aussi son budget qui avait payé la plantation enthousiaste des arbres de la liberté '; et c'est son influence qui avait déterminé l'envoi gra- tuit, par la poste, de la Commune de Paris j journal de M. Sobrier^ M. Marrast , inspirateur du groupe des républicains modérés, avait aussi ses listes. M. Ledru - Rollin , M. Flocon, M. Louis Blanc et M. Albert en étaient exclus. Elles étaient distribuées par les délégués des ateliers nationaux, et payées soit par le budget de la Ville, soit par celui du Ministère des travaux publics^ . M. Louis Blanc n'avait pas de budget, mais il avait un mobile bien plus puissant encore ^ c'était l'enthou- ^ Dépogition de M. Carlier devant la Commission d*enquéte. 2 Ibid. ^ Rapport de la Commission d^enquéle y note de M. Trouvé^ Chauvel, * I) résulte du rapport de M. Ducos sur les comptes du Gouver- nement provisoire que la distribution des listes de M. Marrast fût fai'e par des hommes qu'on payait 5 francs par jour. — Voyez le Moniteur du 26 avril 4849. LIVRE NBUVIÈMB. 367 siasme crédule des ouvriers des corporations, auxquels il promettait qu'ils seraient tous rois, perspective assez singulière pour des républicains. Les listes inspirées par M. Louis Blanc n'admettaient que quatre membres du Gouvernement provisoire : M. Flocon, M. Ledru- Rollin, M. Louis Blanc et M. Albert. Elle fut formée par un comité de six ouvriers, appartenant aux indus- tries parisiennes ' . L'esprit générai d'égoïsme, d'ambition et de cbi* mère qui dirigea les élections de la Constituante ne permettait pas d'espérer que cette assemblée répondit à quelque chose de sérieux et de durable dans le pays. Non-seulement des hommes ayant fait jusqu'alors profession de royalisme s'offraient de toutes parts pour organiser la république, mais les visées les plus bizarres devenaient des titres de candidature. Beau* coup aspiraient à gouverner, sur ce que, disaient-ils, c'était leur tour^. Les uns prétendaient être députés parce qu'ils étaient pauvres % les autres parce qu'ils étaient infirmes^. Certains alléguaient leur titre de ^ Il y avait dans ce comité un typographe , un compositeur , un tapissier, un brossier , un menuisier et un ébéniste. — Le reste des jaaortels était obligé d*obéT. * « Je crois que mon tour est enfin venu. » — A. Baudin , auçp éUeieurs de l'Ain. 3 « Je suis républicain et pauvre. Je ne vois pas parmi vos can- didats huit citoyens qui puissent en dire autant. Voilà pourquoi j^ vous prie de me nonamer représentant. » — Philippe Lavergne , an- cien chef de section de la société des Droits de rhomme, aua: électeurs de la Corrè:iie. « « Toutes les classes de la société doivent être représentées à la 368 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. pères de famille j et tout ce que le cœur dun père contient de bon et de généreux ' . Un candidat promit aux sourds-muets de leur rendre Touïe et la parole > s'ils le nommaient '. Un grave historien , voué aux travaux de son cabinet, annonça que, ne pouvant se donner lui-même, il donnait son gendre à la France *. Un tel bouillonnement de passions effrénées et ridi*- cules ne pouvait rien produire d'utile et de sensé *. Ces voix tumultueuses ne déguisaient pas le silence du pays, et cette multitude d'ambitieux et d'em- pressés ne répondait à Tappel de personne. Il en fut de même de ces ouvriers, pris à la truelle ou au rabot, pour monter au gouvernement, comme si Col- bert et Turgot , pour n'avoir jamais été ouvriers , n'a- vaient pas été les promoteurs les plus éclairés et les plus efficaces du travail en France. chambre nouvelle. Pourquoi la portion si intéressante des sourds- muets en serait-elle exclue? — Ferdinand Berthier , président de la sociéié centrale républicaine des sourds -muets français, aux clubs parisiens. ^ Obriotf avocat, aux électeurs de la Marne. ^ « Les sourds-muets ont été tenus jusqu'ici sous une tutelle dé- daigneuse; je ferai tous mes efforts pour que les barrières qui les séparent encore de la société mère soient renversées, » — Alphonse Esquiros aux sourds-muets. 3 « Je les accepte , vos suffrages , non pour moi , mais pour mon gendre. Il s*est donné à moi; je le donne à la France.» — i. MichS" let, aux amis connus et inconnus, qui m'offrent leurs suffrages. * Ce déchaînement d'ambitions faisait dire à M. Proudhon que , sans la Révolution de février, on n'aurait jamais su tout ce qu'il y a de bêtise en France. » — Confessions d'un révolutionnaire , cha- pitre viu. LIVRE NEUVIÈME. 369 IV. Le céDacle d'avocats et de journalistes qui, depuis 4830 , avait dirigé ou exploité les conspirations , était trop isolé et trop impuissant pour ne pas chercher un appui dans la population ouvrière. Les industries pa- risiennes, dans lesquelles Tart et le goût tiennent une si grande place, offraient d'ailleurs un certain nom- bre d'ouvriers dont une bonne éducation avait élevé ou mûri l'intelligence. Certains d'entre eux, s'ils étaient parvenus régulièrement aux affaires pendant des pé^ riodes calmes, auraient pu siéger utilement à côté d'in- dustriels, anciens ouvriers comme eux. Mais ce que les ambitieux du Gouvernement provisoire demandaient aux classes laborieuses, ce n^étaient pas des conseils, c'était un appui ; et les travailleurs qui furent portés à la Constituante y arrivèrent en général beaucoup plus comme clubistes que cx)mme ouvriers. L'opinion publique ne les y suivit pas. Ils y furent souvent une gène, rarement une force. Peu de mesures devaient isoler l'Assemblée, au sein du pays lui - même , comme Tempressement frivole avec lequel les commissaires chargés d'administrer les départements s'imposèrent, presque partout, au choix des électeurs. Des hommes véritablement voués au nouveau ré- gime se seraient attachés à lui conquérir les popula- tions. Sa force était dans les paysans, non dans les 24 370 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. conspirateurs. On pouvait proclamer la république à Paris, elle ne pouvait être fondée que dans les campa- gnes. Élevés tout à coup à une situation inespérée, les commissaires ne parurent ni en comprendre la gran- deur, ni en accepter les devoirs. Travailler, adminis- trer, faire de l'ordre, était, il est vrai, une œuvre difficile à des hommes habitués au dérèglement des conspirations. Il fallait à l'orgueil expansif de ces natures fiévreuses et irrégulières un théâtre pour agir, parler et briller. Presque tous voulaient rentrer à Paris députés. Ce facile honnpur ne leur coûta qu'un désir; mais il était aussi vain que facile. Ce n'était pas un mandat qu^ils emportaient , c'était une cour- toisie. On avait sacrifié au dieu inconnu. Les popu- lations s'en délivraient en les nommant. Le vote voulait dire : bon voyage ! Il a été si bon , qu'ils n'en sont pas revenus. Il n'y avait pas jusqu'à Tappui simple et loyal des populations rurales dont le Gouvernement provisoire n'eût privé l'Assemblée constituante, faute d'avoir su en recueillir l'expression. Peu de gens ont moins connu les populations ru- rales que les membres du Gouvernement provisoire, et personne ne s'en est autant défié. Ces faux répu- blicains n'avaient pas le sentiment du vrai peuple. Le manteau de leur souverain devait sa pourpre au cabarets t J'ai toujours pensé ^ j'ai toujours écrit, di- sait M. Louis Blanc, que dans Tétat de dépendance ^ d'ignorance^ où végitent les populations rurales , il y LIVRB NEUVIÈME. 374 aurait folie à espérer tout d^abord des choix intelli- gents et libres S. On ne saurait dire en moins de li- gnes qu'on est complètement étranger aux mœurs françaises 9 telles que les ont faites trois révolutions. Le savoir des champs n'est ni ambitieux , ni dé- clamatoire; il est modeste et pratique. On y apprend ce qui sert. Qui voit bien ce qui le touche , dans la condition que la Providence lui a réservée, n'a rien à envier aux plus grands philosophes. Le peuple des capitales, entouré d'enseignements perpétuels et di- vers , peut et doit avoir dans l'esprit plus de connais- sances; le peuple des champs, éclairé par la religion, mûri par la réalité de la vie humaine , préservé des illusions et des sophismes , y a plus de discerne- ment, de droiture et de sagesse. Si M. Louis Blanc avait exposé aux paysans son système d'association, ils lui en auraient montré clairement l'immoralité et la 'chimère; et s'il leur avait proposé de les faire tous rois, ils se seraient moqués de lui. V. Il doit sembler étrange que les membres du Gou- vernement provisoire aient contesté l'indépendance des populations rurales, après l'avoir si rudement éprou- vée. S'il est vrai, ainsi que M. Louis Blanc l'assure, que le suffrage universel eût besoin , en 1 848 , de s'apprendre et de se perfectionner , on ne saurait nier ^ Louiâ Blanc, Pages d'histoire, ch. xv. 24. 372 LA RÉPUBLIQUE DE U48. que ses progrès n'aient été aussi étendus que rapides. Institué le 24 février , il sauvait la société le 1 0 dé- cembre. Le peuple des campagnes possède, à un degré bien plus éminent que celui des villes^ les éléments de la véritable indépendance : des désirs simples , des mœurs laborieuses, des habitudes économes. Les huit dixièmes au moins des paysans sont propriétai- res. Une maison, un jardin , une vigne ou un champ ne font pas Taisance; mais ils constituent une partie considérable du nécessaire. Rien ne préserve des ten- tations comme ce qui préserve des soutFrances; rien n'abrite et ne conserve la dignité de 1 homme et la pudeur de la femme , mieux que le toit et le foyer. Les influences féodales sont mortes. Les conseils municipaux appartiennent à la propriété moyenne ou petite. Les campagnes acceptent les influences mo- raies et honnêtes, mais elles n'en .subissent aucune. Avec un tapissier, un brossier, un ébéniste, un typo- graphe et un cuisinier , M. Louis Blanc fit voter soixante mille ouvriers parisiens; avec la moitié d'une commune rurale, on ne serait pas certain de faire voter l'autre. Dans les grandes crises politiques, les paysans n'obéissent qu'à leur raison pratique. Huit Jours après la proclamation de la république, per- sonne ne les eût empêchés de voter pour ; huit mois après, personne ne les eût empêchés de voter contre. Profondément étranger à l'état réel de la société française, se défiant des populations rurales, qu'il LIVRE NEUVIÈME. 373 « ne pouvait pas dominer avec les clubs , le Gouverne- meut provisoire imagina un mode d'élection qui en- levait au vote des campagnes toute sincérité , toute réalité, et qui ôtait par conséquent toute force à leur représentation. Non-seulement les électeurs ruraux, dont le plus grand nombre est pauvre, dont plusieurs sont des vieillards, parmi lesquels la possession d'un cheval ou d'une voiture est une exception, durent faire d'une à trois lieues, à pied, dans la boue, sous la pluie, par des chemins difficiles, pour aller voter au canton ; mais ils durent nommer à la fois tous les députés du département, c'est-à-dire voter pour ou contre des candidats dont la plupart leur étaient in- connus, même de nom. Les départements ont en gé- néral vingt lieues de diamètre.  d'aussi grandes distances , les populations , toutes sédentaires par leurs habitudes, ne se connaissent pas. Le moyen qu'un valet de ferme des environs de Rouen appré- ciât les titres d'un candidat des environs de Paris? Les élections générales du nouveau régime, faites à tâtons, dans les ténèbres, durent produire nécessaire- ment une assemblée qui représentait moins la volonté réfléchie du pays, que les combinaisons mobiles de rintrigue et du hasard. Cette assemblée, qui allait donner des institutions à la France, lui était véritablement étrangère. Les brossiers et les cuisiniers de M. Louis Blanc, les ate- liers nationaux de M. Marrast représentaient l'esprit et les intérêts de Paris, à peu près comme les commis- 374 LÀ RÉPUBLIQUE DE 1848. saires et les sous-commissaires de M. Ledru-Rollin représeDtaient les intérêts et l'esprit des départements. Chose étrange , dans cette assemblée républicaine » il n'y avait guère de sérieusement élus que les an- ciens royalistes ! Connus de leurs concitoyens , ayant déjà donné des gages de talent ou de moralité, ils étaient véritablement dépositaires de la confiance de leurs commettants. Les autres n'avaient pas de racines dans le pays, et le premier vent qui soufflerait devait infailliblement les emporter. VI. Jamais assemblée politique n'eut peut être un rôle plus délicat et plus difficile à remplir que la Consti- tuante. Elle venait organiser la république dans un pays qui n'était pas républicain. Favorable aux tra- ditions démagogiques, elle s'aliénait les conserva- teurs ; favorable aux traditions monarchiques , elle s'aliénait les- démocrates ; neutre , elle s'aliénait tout le monde. Il n'y avait qu'un terrain , d'ailleurs étroit et glis- sant y sur lequel elle eût pu conquérir l'approbation générale : c'était le rétablissement de l'ordre matériel et moral au sein d'une société lancée dans les aven- tures , douloureusement frappée dans le présent , épouvantée de l'avenir. Si peu que les candidats de la province eussent pris la peine de consulter Topinion publique , ils sa- LIVRE NEUVIÈME. 376 vaient le dégoût et l^horreur qu'inspirait aux popula* tioDs rurales la dictature des clubs et des ateliers natiouaux. Rendre aux intérêts la sécurité, au Gou- vernement la dignité, était, aux yeux de ces popula- tions, l'œuvre la plus urgente et la plus méritoire. Paris appelait avec plus d'ardeur encore l'heure de la délivrance. Dans les campagnes, au milieu de popu- lations laborieuses, on avait encore une certaine me- sure de tranquillité et de bien-être; mais à Paris, où toute porte est une boutique, chaque journée d'alerte amenait une ruine. Malgré les vaines et menteuses dé- clamations du Gouvernement provisoire sur la sagesse du peuple et sur V ordre admirable de la capitale ', les habitants de Paris savaient bien que le cercle le plus profond de l'Enfer de Dante était seul une image fidèle de leur ville. Depuis le 24 février, pas un d'entre eux ne pouvait se vanter d'avoir dormi pai- siblement une nuit entière. Désarmer la démagogie , dompter le socialisme , c'était, pour TAssemblée constituante , s'assurer la gratitude des honnêtes gens et acquérir une force im- ^ M. Louis Blanc , Tun de ceux qui ont le plus admiré la majesté tranquille et le puissant repos du Paris de la Révolution, disait un jour à Barbes : a Nous savons bien , nous qui avons traversé deux mois de révo- lution, quels hommes il y a dans les clubs... Ne donnons pas à la réaction cette joie de pouvoir dire : La République en France n'a aucun gage de stabilité ; nous sommes entraînés perpétuellement de manifestations populaires en manifestations ; il n'y a ni crédit , ni tranquillité possibles avec la République, s — Pages d^histoire , cbap.xi^ni. 376 LA RÉPUBLIQUE DE ^848. mense. Mais si elle écartait les socialistes , les dé- magoguesy les conspirateurs, ce qui restait en France de véritables républicains se réduisait à une mino- rité imperceptible ; et alors que devenait la répu- blique ? L^instinct des clubs et des socialistes leur avait ré- vélé que r Assemblée constituante venait mettre fin à leur tyrannie et à leurs rêves. Des pouvoirs irrégu- liers et violents, pleins de menaces et d'orages, abu- sant de la faiblesse du Gouvernement provisoire , avaient pu usurper Tautorité et le nom du peuple. De- puis que les vrais et légitimes représentants du peu- ple français étaient connus , avoués et réunis , il n'y avait plus, en dehors d'eux, que les délégués de la faction et de l'imposture. Quant aux sectaires qui se promettaient la dissolution de la société et la dépouille des familles , ils savaient bien que les populations honnêtes et laborieuses des campagnes ne leur en- voyaient pas des complices. L'Assemblée nommée, on ne pouvait l'empêcher de se réunir ; l'Assemblée réu- nie, on ne pouvait l'empêcher de faire son œuvre naturelle. Les forces révolutionnaires, depuis trois mois maîtresses de Paris, résolurent donc d'essayer sur les députés des départements l'effet d'une pres- sion énergique. VII. Le 4 mai , anniversaire de l'ouverture des états généraux de 1 789, avait été choisi pour la réunion de LIVRE NEUVIÈME. 377 la nouvelle Constituante. C'était une belle journée de printemps. Le Gouvernement provisoire avait déployé ce qui n'épuise jamais Tempressement d'un public français 9 une grande solennité militaire. On venait de traverser tant d'angoisses , qu'on était heureux d'es- pérer. La foule était immense et joyeuse. Le Gou- vernement provisoire se rendit à pied, entre deux, haies profondes , de la place Vendôme au palais de l'Assemblée. Quand il pénétra dans l'enceinte, il fut reçu debout. M. Dupont de PËure lut, au nom du Gouvernement, une sorte de proclamation vaguement impérative. Elle semblait tracer sa voie et marquer ses devoirs à l'Assemblée. Elle indiquait et patronait les doctrines socialistes, et continuait d'égarer l'opi- nion de la France et de l'Europe sur les causes et sur la consistance du régime républicain. « Vous allez fonder nos institutions nouvelles , di- sait-elle, sur les larges bases de la démocratie, et don- ner à la France la seule constitution qui puisse tui con-- venir j une constitution républicaine. » Mais après avoir proclamé la grande loi politi- que qui va constituer définitivement le pays , comme nous, citoyens représentants, vous vous occuperez de régler l'action possible et efficace du Gouvernement dans les rapports que la nécessité du travail établit entre tous les citoyens y et qui doivent avoir pour base les saintes lois de la justice et de la fraternité. )) Fidèles à notre origine et à nos convictions per- 378 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. sonnelles, nous n'avons pas hésité à proclamer la république naissante de février * » . D'un côté, cette proclamation donnait un gage aux éléments révolutionnaires , dont la cause était ainsi portée devant les représentants légaux de la France; de l'autre , elle était comme un avertissement et une sommation aux éléments conservateurs de l'Assem- blée, auxquels on demandait la consécration du bou- leversement de la société. Toutefois, et comme si cette Assemblée, venue en toute bonne foi pour seconder la république, avait inspiré des défiances, on voulut lui faire sen- tir le poids des influences révolutionnaires. Dans l'intérieur du palais, des prétoriens farouches, à la cravate et à la ceinture rouges , avaient la mission de garder les représentants, et pouvaient recevoir, au besoin, celle de les chasser. Autour du palais, sur les quais, sur le pont, sur les places, les ateliers natio- naux et les clubs déployaient leurs phalanges profon- des et disciplinées. C'est en présence et au milieu de ces masses populaires qu'on fit la motion d'aller pro- clamer la république. Le président , le bureau, le Gouvernement provi- soire , l'Assemblée tout entière se rangèrent sous la colonnade du palais, et couvrirent l'amphithéâtre de ^ Le lecteur sait au contraire qu'ils avaient beaucoup hésité à pro- clamer la république , notamment M. Dupont , qui n'en voulait pas. Ils étaient d'ailleurs très-infidèles à leur origine, M. de Lamartine ayant déclaré, avant de nommer le Grouvernement provisoire , qu't{ ne préjugerait rien , ni de nos lois , ni de nos institutions. LIVRE NEUVIÈME. 379 ses gradins. Quand ces dispositions furent accom- plies, le président donna le signal d'un immense cri de : Vive la République! auquel répondit , en roule* ments lointains et successifs, l'écho des places, des quais et des Tuileries. Puis TAssemblée s'ouvrit un passage au milieu de ces miasses profondes, et elle se rendit processionnelleinent , accompagnée de longs hourras, de la grille du quai à la grille de la place de Bourgogne. Deux sentiments bien différents inspiraient les cris et partageaient les sentiments de cette foule. Les uns saluaient avec enthousiasme Ledru-RoUin , Caussi- dière, Albert, Louis Blanc, c'est-à-dire la démagogie et le socialisme, dont ils appelaient la venue et dont ils invoquaient les promesses; les autres saluaient r Assemblée elle-même, à laquelle ils demandaient l'ordre matériel et moral , la dispersion des clubs , le retour du travail et de la confiance. Les représen- tants ne rentrèrent pas intimidés dans Tenceinte lé* gislative ; ils y rentrèrent éclairés. Vin. La diversité d'éléments que le hasard et l'ambi- tion avaient accumulés dans le Gouvernement provi- soire, celui-ci l'avait introduite dans l'Assemblée. La première question politique à résoudre devait natu- rellement mettre ces éléments aux prises , et faire éclater leur inconciliable contradiction. Telle fut la 390 LA RÉPUBLIQUE DE 4848. question du pouvoir régulier et temporaire à orga- niser pour remplacer y jusqu'à Tachèvement et à la mise en œuvre de la Ck)nstitution , la dictature de rHôtel de ville. La réunion de l'Assemblée paraissant à tout le monde une garantie pour Tordre public , l'opinion était devenue plus expansive et les langues s'étaient déliées. L'anarchie de l'Hôtel de ville, la lutte de ses passions rivales, la violence de ses projets, n'étaient plus un mystère pour personne ; et la société n'avait pas de plus ardent et de plus légitime désir que d'être délivrée de ce monstrueux pouvoir. De leur côté, les membres les plus compromis du Gouverne- ment provisoire sentaient bien que la seule chance qui leur restât de conserver leur rôle, c'était de maintenir leur faisceau de février, les bons couvrant les médiocres et ceux-ci les pires. Le maintien pur et simple du Gouvernement provisoire se trouvait donc naturellement au nombre des combinaisons qui devaient se produire. Il fut proposé par M. Bastide et patroné par M. Barbes , dans l'intérêt avoué des doctrines et des sectes socialistes. La combinaison la plus éloignée de celle-là était celle qui aurait attribué à l'Assemblée la possession de tous les pouvoirs, avec la faculté de les exercer par des ministres de son choix. Essentiellement vicieuse comme forme du pouvoir, parce qu'elle eût ôté à l'administration la direction, Tunité et l'esprit de suite qui lui sont nécessaires, cette combinaison avait LIVRE NEUVIÈME. 381 néanmoins en sa faveur deax éléments de succès. D'abord y 1! Assemblée, dont Topinion publique et la nature des choses faisaient une rivale de THÔtel de ville, trouvait dans cette combinaison un moyen d'é- carter, en le blâmant, le Gouvernement provisoire ; et puis, les ambitions innombrables que tout désordre social fait éclore y trouvaient une perspective et une curée. Cette combinaison fut, de toutes, celle qui trouva le plus d'accueil parmi Jes représentants. Deux combinaisons intermédiaires vinrent, avec des chances diverses , exploiter le champ , toujours si vaste et si fécond , des doutes , des hésitations et des compromis. La première consistait à conférer tous les pouvoirs à des comités, qui auraient gou« verné, au nom de l'Assemblée, comme gouvernaient les comités de la Convention. La seconde consistait à créer une Commission executive de cinq membres, investie à peu près des anciens pouvoirs du Direc- toire, et les exerçant par l'intermédiaire de ministres responsables et révocables. La première de ces deux combinaisons , chère à quelques démocrates inexpérimentés et rêveurs, n'aurait pas résisté aux nécessités pratiques de l'ad- ministration moderne, quand bien même elle n'au* rait pas succombé sous le poids des souvenirs lugu- bres du Comité de salut public. La deuxième combinaison, celle qui avait pour objet la formation d'une Commission executive de cinq membres, devait, quoique vivement combattue 38S LA RÉPUBLIQUE DE 4818. daDs l'Assemblée , l'emporter sur toutes les antres, parce qu'elle se produisait sous le patronage d'une ligue fortement organisée , au milieu d'hommes nou- veaux, inconnus les uns aux autres, sans doctrine commune et sans lien. La principale difficulté de cette Commission de cinq membres, c'était sa composition. Deux partis fort opposés, les républicains modérés et les roya- listes, réussirent à la former, à l'aide de faiblesses et de compromis qui perdirent leurs auteurs, sans sauver la situation ou les principes. IX. Les républicains modérés du Gouvernement pro- visoire ne pouvaient alléguer, en faveur de leur al- liance avec les jacobins et avec les socialistes, que la douteuse et triste excuse des circonstances. Médiocre en tout temps , cette excuse devenait inacceptable en présence de l'Assemblée, qui ramenait et qui repré- sentait l'ordre légal. C'était donc pour eux une bonne fortune autant qu'une nécessité d'écarter dé- sormais du pouvoir l'élément communiste et l'élé- ment démagogique : M. Louis Blanc et M. Ledru- RoUin. L'un et l'autre les compromettaient également auprès de l'opinion publique , Tun et l'autre avaient également voulu bouleverser la société, l'un et l'autre avaient également conspiré contre leurs collègues, et LIVRE NEUVIÈME. 383 cherché à saisir, par un coup de main, une dictature violente. Exclure M. Louis Blauc de la Commission executive et y conserver M. Ledru-Rollin , c'était faillir aux principes et au devoir, et sacrifier à Tam- bition ou à la peur la vérité et la France. Les royalistes, aveuglés par le mirage de Paris, auquel bien peu d'esprits et de regards échappent, crurent faire un chef-d'œuvre en aidant les républi- cains à exclure du pouvoir l'élément communiste, au prix de la conservation de l'élément démagogi- que, îls ne comprirent pas que l'exclusion de M. Louis Blanc de la Commission executive s'opérerait néces- sairement et comme d'elle-même , parce qu'elle était alors également désirée et poursuivie par toutes les fractions du parti républicain. La moindre conces- sion qu'ils pussent imposer , en échange de leur con- cours, c'était l'exclusion de l'élément démagogique, en la personne de M. Ledru-Rollin. C'est donc avec le concours des royalistes, aveu- glés ou pris pour dupes, que l'on vit figurer dans la liste des membres de la Commission executive, pro- posée par MM. Dornès, Trélat et Raynaud , le nom qui soulevait alors, en France, la répulsion la plus universelle et la plus profonde, on peut ajouter la plus légitime. M. Louis Blanc lui-même était, à cette époque, bien moins impopulaire que M. Ledru-Rol- lin dans les campagnes, parce que son nom y était encore peu connu, et que son système n'y était pas compris. 381 LA RÉPUBLIQUE DB 4818. La liste des membres de la Commission exécolive, dans laquelle figuraient MM. de Lamartine , Arago , Marie, Garnier-Pagès et Ledru-Rollin , prépara la perte du parti des républicains modérés, dont elle révéla Tambition et la faiblesse; mais elle jjprdit sur-le-champ M. de Lamartine qui la défendit, et TÂssemblée qui la vota. M. de Lamartine était, depuis deux mois, en pos- session d'une popularité incomparable. Aucune pa- role publique, aucun acte extérieur n'avaient révélé son attitude ambiguë au sein du Gouvernement pro- visoire, son alliance récente avec M. Ledru-Rollin , ses caresses et ses avances à Raspail et à Blanqui. Pour la France entière, il n'avait pas cessé d'être le conservateur de 1841, l'homme profondément mo- narchique du discours sur la Régence. On bénissait Dieu d'avoir préservé ce talent et cette renommée, pour en faire, au milieu de la tourmente sociale, le frein des méchants et l'espoir des bons. Lui-même, enivré de succès et de louanges, ne semblait pas comprendre ce qu'une telle position, fondée sur des concessions et sur des réticences, avait de passager et de stérile. Il se laissait aller au flot de l'erreur et de la bienveillance universelles, qui semblaient lui réserver infailliblemeut la première place dans la république, comme un juste hommage dû au sauveur de la société. Il se voyait applaudi, et il se croyait fort. Lorsqu'il apprit de la bouche de M. Marrast sa triomphale nomination à Paris, il se LIVRE NEUVIÈME. 385 leva par un mouvement extatique; et a debout, les yeux au ciel| les bras étendus, il s'écria : — Me voilà donc plus grand de la tête qu'Alexandre et César M » Ce vainqueur des vainqueurs de la terre^ élu ce jour-là par dix départements , n'était élu par aucun Tannée suivante. Toute cette gloire d'emprunt s'évanouit le 9 mai 1848, à la suite d'un discours dans lequel M. de La- martine se montra tel qu'il était. Le poëte se sépara lui-même de la France. Il porta à la tribune l'apo- logie des éléments universellement réprouvés du Gk)uvernement provisoire. Il déclara qu'entre lui et ses collègues communistes et démagogues, entre lui et M. JLedru-Rollin , qui avait voulu reprendre la tradition de 93 , entre lui et M. Louis Blanc , qui avait voulu détruire la propriété et la famille, il y avait eu a des dissentiments bien plus présumés que réels ^. )) Ces mots arrachèrent enfin le bandeau à Topinion publique ; et , dans le scrutin qui eut lieu pour la nomination de la Commission executive, M. de Lamartine, ce triomphateur de la veille, ce maître du lendemain, ne fut élu que le quatriàone, juste avant M. Ledru-RoUin et après M. Marie*! L'Assemblée elle-même se perdit dans l'opinion pu- 1 Elias RegnauU, Hist. du Gouv. provisoire ^ chap. Xiv. ^ Moniteur du 40 mai 4848, Discours de M, de Lamartine, 3 Voici l'ordre du scrutin : M. Arago, 725 voix. 1A. Garnier- Pagès^745. M. Marie, 703. M. de Lamartine, 643. M. Ledru- Roilin, 458. 25 386 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. blique par Fex pression y pourtant bien modérée et bien marchandée 9 d'un témoignage de reconnaissance ac- cordé au Gouvernement provisoire. L'universalité des électeurs, sans attendre un grand bien de la république , était alors disposée à ne pas combattre son établissement. L'Assemblée n'avait donc pas reçu la mission de marchander son concours au nouveau régime ; mais elle avait bien moins en- core reçu la mission d'apporter au Gouvernement provisoire Thommage d'une gratitude et d'un enthou- Btasme qu'il était fort loin d'avoir inspirés au pays. Beaucoup de députés avaient dû leur mandat à l'offre d'aller soutenir la république modérée contre les élé- ments subversifs et violents de l'Hôtel de ville. Ce ne fut pas le sujet d'un médiocre étonnement pour les cam- pagnes d'apprendre, par le vote de ces députés, que les auteurs des ateliers nationaux et des 45 centimes, que les fauteurs de tant d'émeutes et de désordres, avaient bien mérité de la patrie. Quoique cette déclaration, mendiée deux jours avant d'être obtenue, et modi- fiée publiquement le lendemain par quelques dé- putés, eût été bien plus une concession arrachée par l'importunité qu'un éloge dicté par la reconnaissance, les espérances générales se retirèrent néanmoins d'une Assemblée qui, par faiblesse ou par ambition, s'isolait elle-même de Topinibn et de l'attenté pu- bliques. Que pouvait-on raisonnablement se promettre, pourle rétablissement des principessociaux, d'hommes qui glorifiaient publiquement M. Albert , le commu- Livre neuvième. 38? histe, et qui liààiMlôDâiëU att poivùilt M. lJe A ces mots , la confusion arriva à son comble. Le président fut enlevé et chassé de son siège. L'enceinte appartint désormais aux clubistes, sans dispute. Au milieu des cris qui emplissaient Tair, au milieu de la foule qui battait les parois de la salle , on voyait passer gà et là des groupes qui portaient Louis Blanc, Sobrier ou Barbes sur leurs épaules, tandis que d'autres plantaient au bout d'une pique le bonnet rouge sur la tribune. Vers ce moment comnœnça la fabrique des gou- vernements provisoires. La première liste comprenait les noms suivants : Bar- bes, Louis Blanc, Ledru-Rollin, Blanqui, Huber, Ras- pail, Caussidière, Etienne Arago, Albert, Lagrange. ^ Le Monitwr du 46 mai dit que les ordres écrits et signés par M. Bûchez ne portaient pas le timbre de la questure, ce qui les rendait nuls ; mais le même Moniteur contient une déclaration de M. Etienne Arago où il est dit que l'ordre de M. Bûchez de ne pas battre le rappel portait le cachet de la questure. 398 LA RÉPUBLIQUE DE 4848. Une seconde liste fat proclamée à la tribtlne ; elle était composée ainsi : Cabet , Louis Blanc , Pierre Le- roux , Raspaily Considérant, Barbes , Blanqui , Proad- hon. Lorsque ces noms eurent été prononcés , des du- bistes s'écrièrent : « Vous allez effrayer, il y a trop de socialistes ^ ! » Cet horrible cauchemar dura jusqu'à quatre heures. A ce moment, on commença d'entendre distincte- ment un tambour qui s'approchait. Des hommes effa- rés entrèrent en criant : Voici la garde mobile! voici la garde mobile ! Une panique générale saisit tout à coup les envahisseurs, qui se sauvèrent péle-méle par toutes les issues. Parla porte située à droite de la tribune dé- bouchait en effet le 2' bataillon de la garde mobile, commandé par M . Justinien Clary, aujourd'hui membre du Corps législatif. Ce bataillon poussa, en entrant, le cri de : Vive l'Assemblée nationale ! Il restait dans la salle environ trente -cinq ou quarante députés; le bataillon se rangea autour d'eux, en croisant la baïon- nette contre les émeutiers, qui disparurent ien un clin^ d'œil, et jusqu'au dernier, devant la première dé- monstration énergique. xm. II y eut, le 15 niai, trois vaincus : les clubs, le gouvernement et l'Assemblée. Barbes, Albert, Blanqui, Raspail, Sobrier dispa- rurent de la scène, laissant leur œuvre à reprendre * Moniteur du 46 mai 4848. LIVRE NEUVIÈME. 399 et leur chute à veDger à des hommes résoiiis , mais désormais sans lien et sans direction. La Commission executive, ce chaos d'honnêtetés impuissantes y d'ambitions sournoises et de populari- tés en ruines , fit son dernier effort et dit son dernier mot. Tous les partis virent clair dans le décousu et dans rincapacité d'un pouvoir qui n'avait pas su ou qui n'avait pas osé disperser une émeute confuse, dont un chef de bataillon avait eu raison en deux minutes avec quatre-vingts gardes, sans avoir à peine eu le temps de tirer l'épée du fourreau * . L'Assemblée elle-même reçut le légitime contre- coup de cette faiblesse et de cette incurie. L'opinion la rendait solidaire des fautes d'une administration qui avait été le fruit de la plus coupable condescen- dance, et qui n'ofTrait aucune garantie à la sécu- rité publique. Comment le pays aurait-il donné sa confiance à qui donnait la sienne à M. Càussidière etàM. Ledru-RoUin? Si Ton cherche quelle fut la situation générale du Gotivet-nement et des partis le lendemain de la ré- pression du 1 5 mai , on trouve qu'elle était restée sensiblement la même que la veille. L'arrestation ou la fuite de Barbes , de Raspail , de Blanqui et de Sobrier , avait sans doute enlevé leurs chefs aux clubs les plus redoutables; mais les clubs ^ Pendant l'invasion de l'Assemblée , M. de Lamartine éiait venu ret>retidre dans la salle de Mirabeau le cours de ses harangues. C'est là qu*OQ lui cria : Ahitz^wU de la lyre^ et Assez de bl comme ça! — Voy. Commission d^enquéte^ déposition de M. Levasseur. 400 ^ LA RÉPUBLIQUE DE 4 818. eux*mêmes restaient avec leurs haines et avec lears vengeances. Plusieurs milliers d'hommes compromis ou déclassés , traînés de barrière en barrière , d'espé- rance en espérance , ne pouvaient pas renoncer, pour une défaite, à des illusions qui faisaient partie de leur existence. Habitués aux déceptions , ils ne se laisseraient pas détourner, pour une de plus, du but qui leur coûtait déjà tant de sacrifices. Entre eux et la fortune, c'était une revanche à prendre, et ils se promettaient bien de la gagner. Il en était de même des socialistes du Luxembourg. La chute de M. Louis Blanc et l'arrestation d'Albert étaient un rude coup porté à leurs projets , mais leurs doctrines demeuraient entières. Quatre mois passés loin des ateliers , loin du travail , loin du foyer, avaient altéré en eux les habitudes régulières. Ces Moïses d'un monde nouveau ne se résignaient pas à voir de loin ses rivages, sans pouvoir y aborder. C'était donc, pour les socialistes et pour les clubs, un nouvel assaut à préparer et à livrer, dans un avenir plus ou moins prochain. 11 fallait demander au temps et au hasard deux choses indispensables à tout succès, un prétexte assez plausible et une armée assez nombreuse. Après quelques réflexions , on crut que le 1 4 juil- let, anniversaire de la prise de la Bastille, serait une occasion naturelle pour agiter les esprits. Ce jour était déjà choisi pour livrer la grande bataille, lorsque la dissolution des ateliers nationaux vint offrir, plus LIVRE NEUVIÈME. 401 vite qu'on n'eût osé l'attendre , un prétexte plus que suffisant, et une armée formidable ^ Deux choses étaient également certaines , en ce qui touche les ateliers nationaux : leur licenciement était inévitable, et ce licenciement devait amener fatale* ment une lutte sanglante. Il pouvait y avoir doute sur la date ; il n'y en avait pas, pour un homme sensé, sur le fait. ^ XIV. Le trésor était hors d*état de pourvoir encore long- temps à une aumône de cinq millions par mois, faite humblement à plus de cent mille hommes armés, campés au milieu de Paris. Le trésor l'aurait pu, que les mœurs publiques seraient entrées en révolte. Deux raisons pour une faisaient donc pressentir la prochaine dissolution des ateliers, ateliers de nom; car, sur cent cinq mille hommes inscrits^ deux mille seulement travaillaient ; les autres restaient chez eux, ou jouaient au bouchon^. Mais il y avait, sur ces cent cinq mille hommes , une masse énorme de mal- heureux ayant pris au sérieux les promesses de fé- vrier. On avait dit aux ouvriers : « Vous pouvez vous croiser les bras, jamais le Gouvernement ne vous lais- sera mourir de faim. On expropriera les ateliers et les ^ « Le mouvement de juin a éclaté avant Theure. Le coup était monté pour le 4 4 juillet ; on s'est hâté à cause de la désorganisation des ateliers nationaux. » — Commission d'enquête , dépoâition de M. Garlier. 2 Commission d'enquête , déposition de M. Lalanne. 26 402 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. grands établissements, et vous les aurez en propre^ » Des engagements aussi insensés devaient^ le jour où ils seraient rompus ^ mettre les armes à la main aux hommes enrôlés dans les ateliers nationaux ; et le li^ œnciement ne pouvait s^ opérer que sur des cadavres» C'était par Teffet d'illusions bien puériles que la Commission executive, pressée par une inexorable nécessité, tenta, le 1 0 juin, par divers décrets, d'en» voyer les ouvriers des ateliers nationaux exécuter des terrassements en Sologne , en Saintonge , ou dans le val de la Loire. D'abord, dans ces ateliers, bien peu étaient des ouvriers véritables; ensuite, ceux qui Tétaient au début avaient cessé de Tètre à cette heure. L'oisiveté, les clubs, les démonstrations populaires, un salaire gagné sans travail ^ avaient gâté les na- tures les plus droites. D'un autre côté, les clubistes se seraient bien gardés de laisser sortir de Paris une armée aussi précieuse. Si quelques centaines d'ou- vriers eurent l'honnêteté de vouloir obéir aux dé- crets, on les en détourna. « Les meneurs les arrê- taient en disant : Ne partons pas ; on veut détruire la République *. » C'est donc l'impulsion du socialisme et des clubs qui prépara , comme tous les contemporains l'affir- ment^, la terrible insurrection du 24 juin 1848, dont ^ Commission d'enquête , déposition de M. Goudchaux. ^ Ibid.^ déposition de M. Lalanne. " Voir , à ce sujet , dans le rapport de la Commission d'enquéU^ 1 es témoigaages unanimes de M. Proudhon, de M. Marie et de M. Ri- chard, maire du 4jil« arrondissement. \ LIVRE NEUVIÈME. 403 les ouvriers des ateliers nationaux , égarés et entrât* nés , furent les instruments et les victimes. — La lec- ture du rapport de M. de Falloux , du 23 juin , sur la dissolution des ateliers nationaux, n'eut lieu , le Moni" tmr Fatteste, qu'après le commencement de Témeute. La connaissance intime que les républicains avaient des éléments révolutionnaires, les relations natu- relles et nécessaires qu'ils conservaient avec les clubs leur avaient donné la certitude absolue d'un soulè- vement formidable et prochain. Il s'en préoccupaient, et ils s'y préparaient plus d'un mois à l'avance. Le Directoire boiteux et divisé qui siégeait au Luxembourg ne rassurait personne. Il avait été im- puissant à contrer l'orage du 1 5 mai ; comment dé- tournerait-il celui que le regard de tous voyait se former à l'horizon? Les propres amis de la Commis- sion Executive étaient ses juges les plus sévères, parce que la pratique de ses faiblesses leur laissait moins d'illusions. Parmi les projets que suggéra l'approche du dan- ger, l'idée d'un Triumvirat fut d'abord mise en avant. M. le général Gavaignac, M. Marrast et M. Sénard formaient la base de ces premières et vagues combi- naisons. Néanmoins Les mêmes raisons qui faisaient abandonner le gouvernement des Cinq empêchèrent de s'arrêter au gouvernement des Trois; et la force 26* i04 LA RÉFUBLIQUB DE 4848. des choses oonduisit les cherchears de soIoUods à la Dictature. Un seul homme pouvait alors la jostifter , c'était M. le gén^til Gavatguac. Par ses priueipes, il ras^ aurait les républicains; par son énergie, il pouvait rallier les royalistes. On s'occupa d'y préparer les es- prits; et un homme que sa modération faisait ac- cueillir des deux grandes fractions de T Assemblée, M. d'AdelswoBrd , pressentit la réunion de la rue de Poitiers sur ses dispositions envers un général qui se trouvait, à cette heure, le candidat des circonstanoes autant que celui de la République. Cependant il y avait , dans le parti républicain , des esprits préoccupés d*eux-mémes^ qui auraient voulu d'une dictature très-résolue, mais d'un dicta- teur un peu maniable. Ceuit-*là cherchaient un carac- tère moins entier et une main moins ferme, aftn qu'il y eût place pour des Augustes à côté de ce César d'apparat. Les partisans de cette combinaison se réu- nirent, le S3 juin, dans l'un des bureaux de l'Assem- blée; et, s'ils échouèrent^ ce fût en trébuchant à ce grain de sable que l'ironie de la Providence sème quelquefois sur la route des «uoîbitieux* Il y avait seize assistants. La réunion était présidée par M. Flocon. H avait à sa droite M. Louis Blanc, et à sa gauche M. Martin de Strasbourg. « Messieurs, dit M. Flocon, la Commission Execu- tive est évidemment frappée d'impuissance , et nous avons besoin d'un pouvoir fort. La discusirion doit LIVRE NlUVIÈME. m avoir pour but et pour réBoltat de noas entendre sur la personne à laquelle devra être remise l'autorité nécessaire pour maîtriser la situation. Je donnerai la parole à celui qui voudra fiftire une proposition dans ce sens. y> Les paroles de M. Flocon étaient justes en elles- mêmes. Sa qualité de ministre de cette Commission Executive^ qu'il proposait ainsi.de congédier sans phrases j les rendait peut-être un peu étranges ; mais la casuistique républicaine n'y trouva rien à redire ; et M. Martin de Strasbourg demanda la parole pour faire la motion qui venait d'être provoquée* Il proposa M. Arago. C'était » sans doute, un hom- mage à la tradition. La Commission Executive ayant été prise au sein du Gouvernement provisoire , il pouvait sembler nécessaire que la Dictature procédât de la Commission Executive. La situation person- nelle de M. Arago et la juste considération dont il était environné, le désignaient suffisamment, suivant M. Martin , , à la suprême magistrature. Un silence approbateur suivit ses paroles, et M. Flocon se disposa à mettre le Dictateur proposé aux voix. Tout à coup, un homme de sens, d^un esprit net et pratique » s'écria : a Permettez! je vou- drais dire un mot. )) C'était M. de Yaulabelle; il con- tinua ainsi : « Si j'ai bien compris, il s'agit de substituer, au moment d'une bataille, un pouvoir vigoureux et agis- sant à une autorité molle et endormie. Pensez- vous m LA RÉPUBLIQUE DE 4848. qu'un vieillard y digne de respect sans aucun doute, mais affaibli par Tâge, infirme^ presque aveugle, soit rhomme que vous cherchez? et puisqu'il y a une bataille à livrer , n'est-ce par le moins que vous pre- niez un général ? » » — Avez- vous quelqu'un à proposer? demanda un peu rudement M. Dupont de Bussac. » — Non , répondit M. de Vaulabelle. » — Alors, continua M. Dupont , ce n'était pas la peine de repousser celui qu'on avait mis en avant. » — Je n'étais venu, répliqua M. de Vaulabelle, pour proposer personne; mais puisqu'on le prend ainsi, je dois m'expliquer. J'ai entendu M. le général Cavaignac faire une déclaration à la tribune sur des cris royalistes, poussés à Troyes par un bataillon; et j'ai trouvé qu'il réunissait à un nom, qui est une garantie pour la République, une énei^e qui est aussi une garantie dans les circonstances où nous sommes. » M. Flocon mit alors les noms des deux candidats aux voix, en commençant par M. Arago. Il y eut sept voix i^our et neuf voix contre. Puis vint le scrutin relatif à M. le général Cavaignac. Le général réunit la presque unanimité des suflfragest MM'. Ducoux, Pascal Duprat et Latrade furent dé- signés, sur le refus de M. de Vaulabelle, pour aller apporter au Dictateur le résultat de la conférence. Ils lui dirent que le parti républicain était bien décidé à renverser la (commission Executive, et qu'il avait pris ses mesures pour obtenir de l'Assemblée un vote dans ce sens. Ils lui demandèrent si , dans une pa- LIVRE NEUVIÈME. 407 reille éventualité, il était prêt à accepter la Dictature qu^ils venaient lai offrir ! Le général Cavaignac répondit sans hésiter : a Oai, je Taccepte , sous la réserve du concours de T Assem- blée et du vôtre, que vous me promettez. » Ainsi fut concertée et naquit , avant l'insurrection de juin, la dictature de M. le général Cavaignac^ qui avait précisément pour objet de combattre Témeute, prévue depuis longtemps , et de la vaincre. L'insurrection de juin, ouvertement préparée quelques jours à l'avance , se dessina le 23 au soir, éclata le 24, et dura avec furie jusqu'au 27 inclusi- vement. Ce furent, pour Paris et pour T Assemblée, quatre jours lugubres et pleins d'angoisses. Paris n'a jamais contenu au delà de quatre mille clubistes , affiliés de sociétés secrètes ou conspirateurs de tempéramment et de profession. On peut supposer que les troubles et les prédications de la République avaient temporairement doublé ce nombre. On estima que les ateliers nationaux, dévoués de cœur à l'émeute, lui fournirent environ six mille hommes armés' . Enfin l'administration dealers supposait que Paris devait réunir la moitié de tous les repris de justice de France, c'est-à-dire douze mille individus environ*. En ad- mettant qu'ils fussent tous, jusqu'au dernier, les alliés naturels et énergiques du désordre, c'était en tout et au plus vingt-cinq ou vingt-six mille hommes qu'il s'agissait de combatU*e, de réduire et de désarmer. * Commission d^enquéie, déposition de M. Lalanne. ^ Jbid.^ déposition de M. Cartier. i08 LA RÉPUBLIQUE DB 4848. • M . le général Cavaignac, investi, le 24^ de tous les pouvoirs exécutifs, avait sous la main 23,000 hommes de troupe de ligne et 2,500 hommes de cavalerie et d'artillerie ^ Quatre régiments de ligne, mandés im-* médiatement d'Orléans et de Versailles, vinrent aug* menter ces forces. Des ordres télégraphiques appe- lèrent sur Paris, à marches foroées, toute l'infanterie disponible des divisions de Lille, de Mets et de Rouen. Enfin, une division de Farrnée des Alpes reçut l'ordre d'aooounr au secours de la capitale. On ne doit donc point estimer à moins de 40,000 hommes, en y comprenant la garde mobile, les troupes qu'on pût, dès la première heure , oppo- ser aux insurgés ' ; sans compter la garde nationale , qui eut à supporter le rude labeur des pr^nières luttes, et qui fit énergiquement son devmr. Pendant ces quatre sanglantes journées du 24^ du 25, du 26 et du 27 juin ^ Paris subit le régime d'une ville assiégée, ayant déjà l'ennemi dans ses faubourgs. Dès le matin, passé l'heure aecordée aux familles pour leurs provisions, les rues, occupées militaire- ment^ étaient vides , et les fenêtres closes. Ce silmce de nécropole laissait édater, dans toute leur énergie^ le pétillement de la fussillade et le grondement do canon. On sait si la lutte fut acharnée. L'armée y perdit trois généraux qui s'étaient illustrés en Afrique. L'émeute, vaincue à la fin, y laissa environ trois mille morts et quinze mille prisonniers. < Documents publiés par la Cotnmtss ton d*ênquéU. * Commission d^enquéte, déposition de M. Cbarras. LIVRE NEUVIÈME 409 La bataille de juin fût le réveil terrible et sanglant, auquel aboutirait l6i iltuffions et \m rôvos de février. La responsabilité en revient tout entière aux ambi- tieux et aux déclamateurs qui avaient jeté» les ou- vriers sur la place publique , sans se demander s*il serait en leur pouvoir de rendre à tant de pères de fâmHIe Fatelier fermé et le travail perdu. La société , qu'on n^avait pas consultée , n'était pas tenue à l'ac- complissement de promesses insensées. La Providence, qui sait proportionner le châtiment aux ftiutesy permit que lea hommes du National et de la Ré forme j qui avaient appelés les ouvriers dans les rues^ en février, fussent investis de la redoutable- mission de les en chasser en juin. Les ouvriers pu- rent lire alors au fond du cœur du parti républicain , et mesurer ce qu'il contient d'amour pour le peuple ou de pitié pour ses souffrances. La victoire de juin apporta un peu de sécurité dans les rues« L'Assemblée, jusqu'alors battue de tant d'orages , s'abrita sous la dictature , pour tra* vaitler enfin à la constitution. Cependant , ce n'était là qu'une halte. Le parti démagogique de l'Assem- blée, qui Vêtait donné le nom de Montagne, s'orga- nisait en opposition violente , sous la direction de M. LedrurRolUn. tîe 80cialisme« vaincu dans la rue, reparut à la tribune , en la personne de M. Prou- dhoD. La situation restait donc sensiblement la méme^ il n'y avait de changé que la forme du périU LIVRE DIXIEME. « LE SOGIALISME DANS LA RÉPUBLIQUE DE 4848. Explication da tocialisme.— Erreur de M. Louis Rlanc, qui le croit nouveau.— Il est la forme des sociétés primitives. — Le socialisme dans les républiques grecques. — Le socialisme dans la république romaine. — OrganisatioB communiste des ouvriers dans Tempire romain.— Le sentiment de la liberté et de la dignité humaines le détruisent. ^ Les ouvriers romains échappent an communisme. — Ses inconvénients dans la société civHe. •«- Le chris- tianisme rapplique à la vie religieuse, — Les couvents succèdent à la vie contemplative. '— Action des couvents sor la civilisation. — Pourquoi ils sont tombés. — La renaissance grecque remet en honneur les théories socialistes de l'antiquité. — Socialistes du dix-huitième siècle. — Brissot, Saint-Just et Rabeuf. — Le socialisme était étranger aux ouvriers en 4848. — C'est H. Louis Blanc qui le leur prêche. — Exposition et examen de sa doctrine. — Ses conséquences immorales et rétrogrades. — Elle est renouvelée de Mi nos. — M. Proudhon n'a pas de doctrine propre. — Con- tradiction de sa doctrine et de ses principes. — C'est un pur agitateur. — Il est félicité par les prostituées et par les forçats. — Il finit en cour d'as- sises. — Le socialisme n'a pas été compris par le public. — Ses chefs ont dissimulé ses^tendances. — Personne ne l'a soutenu à TAssemblée con- stituante.— Le droii au tranail n'y est pas .défendu dans le sens do socia- lisme.—Discours de MM. Mathieu de la Drôme, Ledru-Rollin et Grémieux. — Discours de M. Rillaut. — Il explique le droit au travail dans le sens dirétien et monarchique. — Ce qui manque aux discours de MM. Marcel Barthe, de Tooqueville et Thiers. — Orgueil des socialistes. — M. Louis Rlanc n'est pas un enfant du peuple. — Il ne reste de M. Louis Blanc et de M. Proudhon que leur haioe contre la société. I. On a donné, dans ces derniers temps, le nom de Socialisme à ane prétendue science pblitique élaborée par des hommes de lettres on par des utopistes, avec des doctrines empruntées le plus souvent auic phi- losophes et aux gouvernements de Tantiquité. Ces LIVRE DIXIEME. 414 systèmes, qui ont eu un moment de crédit, dû à rignorance trop commune en France de l'histoire et de réeonomie politique, se proposent généralement pour objet la destruction de la société moderne, et Torga- nisation d'une société nouvelle, dont la nature, la base et le but varient à l'infini. Tous ces systèmes se confon- dent en effet par la haine quMIs portent à ce qui est, mais tous diffèrent par l'idée qu'ils donnent de ce qui dmt être, suivant le mot d' un maître en ces matières : « Il n'y a pas deux socialismes qui se ressemblent ^ . » On trouve dans tous les systèmes socialistes, si nombreux et si divergents 'qu'ils soient, une préten- tion et une erreur communes et fondamentales. La prétention consiste à vouloir ployer les hommes, les peuples, les sociétés, les croyances, les mœurs, les habitudes , suivant certaines combinaisons arbi- traires et idéales. L'erreur consiste à ne pas savoir ou à oublier que, lorsque les nations primitives se fondèrent, les légis- lateurs antiques, Minos , Lycurgue, Solon, Numa, les jetèrent dans ces moules, dans ces formes socialistes ou communistes, ressuscitées au seizième siècle, vantées au dix-huitième, et proposées de nos joars. L'effet de la liberté, de ]a dignité et de la moralité croissantes des peuples a été précisément de briser ces formes , insultantes pour le progrès de la raison humaine. Commander aujourd'hui aux nations d'oublier le chemin qu'elles ont fait depuis leur origine, et de ^ Comminion âftnq^éU^ déposition de M. ProudhoD. An LA RËFDBLIQUB DE 48^8. « tendre les mains aux chaînes infamantes dea organi- sations primitives I c'est donc tenter une chose aussi insensée et aussi impossible que le s^ait de com- mander à un homme d'oublier ce qu'il est devenu depuis le berceau , et de rentrer dans le sein de sa mère. « La seule objection qu'on puisse faire à notre sys- tème, dont la logique me parait irréfutable, disait M. Louis Blanc, serait tirée de sa nownauté^. n Le lecteur verra que ce système soulève cent objections sans réplique sensée. La pins radicale de toutes est tirée de ce qae, loin d'être nouveau, il a été appli- qué , pendant des siècles , chez de grandes nations. Il est irrévocablement tombé, comme tyrannique, abrutissant et ruineux , sous le poids de Texécration universelle. IL Les religions et les philosophies antiques ne par- vinrent jamais k s'élever jusqu'aux dogmes de l'ori- gine commune des hommes et de leur égalité devant Dieu. Pour ces religions > certaines familles avaient une origine céleste ** Pour les plus renommées de ces philosophies, les hommes étaient faits, en naissant, d'or , d'argent ou de fer ^ < Commission du gouvernement pour les trairalUeurs, séat^eè du S0mafi4SiS. ^ Dans la noblesse antique, les familles prétendaient descendre des dieux, — Voyez notre HisL des Classes nobles, chap. 4 . 3 Platon, la République, liv. III, m fin$, où il est dit : t te dieu LIVRB DIXIËMK. 443 Les gouveraMnênto primiUfe , étrangers à la vraie notfon de la dignité et de la liberté humaines, tarent géaéraléQQeDt fondés, sur ce principe, qoe le législa- tenr ait tout^puissant^ et qn'il dispose arbitraireaaent, an gré de ses théories » des familles , des personlaes #t des bians. Les penplea antiqnes enx^nômes, péné- trée des idées d« ces religions et de ces philosophie», se lafssaieat pétrir et façonner, selon les systèmes las pins étranges , par des légidateors qui dessinaient caprioieusement leors nations, comme pins tard le NéM dessina ses jardins. Le principe général auquel les législateurs et les philoaophes anciens donnèrent la préférence, pour rorganisalion des États, c'était le Communisme, vute nt profond abtme, où disparatt la liberté humaine, et auquel les divers systèmes socialistes vont fatalement aboutir. Toutes les nations antiques furent plus on indns dominées par ce principe, surtout les républi- ques grecques; mais aucune ne le fut an même degré qua celle de Sparte, organisée par Lycurgue, à l'imi- tation des Cretois. La tonte*puissance de l'État, propriétaire unique des biens et maître absolu des personnes, s'était ap- pliquée, à Sparte, à constituer, d'après un type im- muable, les patrimoines et les ftimilles. Le territoire était divisé en autant de parts égales qu'il y avait de qui vous • formés â Mt sstrer Tor dans la eompogitloo ds oiot qui •ost propre^ à fouTanier Iss sutrss; il S mêlé l'argent daos la for- mation des guerriers, le fer et Tairain dans celle des laboureurs et des artisans. » iU LÀ RÉPUBLIQUE DE 4848. familles dans la nation, et les mariages étaient réglés de manière à maintenir le nombre et Timportance des familles* Dans ce régime, la loi prenait la place de la vdonté individnelle. Tout Spartiate était obligé de se marier, sons peine d'amende, et de se marier à an âge déterminé. La femme qne la loi Ini imposait n^était pas seulement à lui ; elle était encore à tout citoyen qui voulait la lui emprunter. Les enfants nés de ces unions appartenaient à TÉtat. Le législateur mainte- nait le chiffre de la population en noyant, parmi les plus faibles, ceux qui dépassaient le nombre néces- saire. Ces enfants étaient élevés dans des gymnases , par la république, et ils se livraient, sous les yeux du public, à des exercices de chant, de danse ou de guerre, dans un état de nudité complète, qui se main- tenait , même pour les femmes , jusqu'après Tâge de la nubilité. Les garçons, destinés à la guerre, étaient exercés à voler adroitement, pendant le jour; et, la nuit, ils allaient, armés de poignards, s'embusquer dans la campagne, pour apprendre, sur les paysans sans défense, à égorger habilement l'ennemi. Le régime de la vie intime était r^Ié par la loi, comme celui de l'éducation et de la vie politique. Les maisons étaient bâties d'après un système dans lequel tout était prévu , jusqu'au nombre et à la forme des instruments employés à leur construction. Toute la po- pulation se réunissait dans un certain nombre de ré- fectoires publics , distribués par quartiers. La nation entière, divisée par tables, mangeait, aux mêmes LIVRE DIXIËMB. 445 heures y des mets fournis par les familles, mais déler*- minés par des r^lements et préparés d'une manière prescrite * * Une pareille organisation et de telles mœurs sup* posaient évidemment une nation très-peu nombreuse y vivant dans un isolement complet et dans une oisiveté absolue. En effet la nation Spartiate j durant sa pé* riode la plus florissante, ne dépara point trente-six mille individus , en y comprenant trente mille paysans ilotes, disséminés dans la campagne, et cultivant la terre. Les étrangers n'étaient pas admis dans la ville, et toute relation commerciale était interdite avec eux» Les citoyens, nourris par les ilotes, passaient leur vie à table ou dans les gymnases ; et c'était un axiome Spartiate que le travail est indigne d'un homme libre'. HT. Les philosophes les plus célèbres de cette époque, qui sont restés également les plus célèbres de toutes, * Voir, pour les détails relatifs à Torganisation de Sparte , Plutar- que, Vie de Lyeurgm; Platoo, liv. 5 de la République; Ut. I, 5, 6, 8 et 42 des Lois; et Aristote, liv. 2 de la Politique, 2 « Un Spartiate se trouvant à Athènes un jour qu'on venait de coftdamner, pour câase d*oisiV6té, un citoyen qui s'en retournait chez lui fort triste , pria ses voisins de lui montrer ce citoyen , qui était puni pour avoir vécu en homme libre. » — Plutarque, Vie de Lycurgue, chap. 35. — On voit par là que le communisme athénien imposait le travail aux citoyens, tandis que le communisme Spar- tiate le leur interdisait* On n'admettait) ni à Sparte ni à Athènes, qu'un homme pût vivre à sa guise , même en ne faisant du tort à personne. 446 LÀ RÉPUBLIQUE DE 4 848. professaient eux-mêmes , au nom de la politique et de la morale, telles qu'ils les comprenaient, ces prin- cipes monstrueux , sur lesquels les législateurs grecs avaient fondé le régime de leurs peuples. Platon, dans deux traités fort renommés, la Répu- blique et les Lais , propose un gouvernement complet, dans Forganisation duquel Socrate accepte et exagère les doctrines de Lycurgue. Le mépris de l'espèce humaine y est porté si loin , que Socrate s'autorise de V exemple des animaux pour constituer la famille à sa guise', et qu'il trace le rôle de l'épouse et de la mère sur le modèle que lui offrent les femelles des chiens*. Aristote n'admit pas la toute-puissance de l'État; mais il considéra les individus commis voués par la nature aux diverses fonctions sociales f les uns étant nés pour être maîtres , les autres pour être esclaves. Il pensa aussi que le législateur pouvait et devait maintenir la population à un niveau constant, soit par la destruction des enfants inutiles, soit par Tavor- tement des mères'. Des républiques grecques , le communisme passa , en se modifiant un peu au profit de la liberté , dans la république romaine. Le pouvoir absolu sur les per- * Xl^ irep |y oXXotç^cootç..... t^v xoiva>v(ay. Plat., De RepubUcj lib. v. * Tiç ^"kiioLç Twv xuvSiv Plat., De Republic. ^ lib. v 3 Aristole, Politic., lib. 5, cap. xiv. J LIVRB DIXIÈME. 447 sonnes fut dévola aux chefs de famille; FÉtat réserva pour lui r empire sur les mœurs publiques, qu'il fit exercer par les censeurs. Le pouvoir sans limites exercé primitivement par l'État sur les femmes , sur les enfants et sur les es- claves, s'adoucit et s'épura graduellement, dans les mains des chefs de famille , par le développement na- turel des affections. La communication des femmes entre amis ne s'était pourtant pas complètement effa- cée , môme aux plus beaux jours de la république '. On immolait encore des enfants à Saturne sousTibère^ ; et on les mettait en gage chez des créanciers, sous Marc Âurèle'. Auguste imposa, par deux lois, aux premiers ordres de l'empire, Tobligation de se marier ^. Le pouvoir de la censure réglait, comme on le sait, ^ TertuUien le constate pour les Romains de son temps, et il en fait remonter l'exemple à Gaton l'ancien. t Non amicorum solummodo matrimonia usurpant , sed et sua amicis patientissime subministrant ; ex illa, credo, majorum et sapientissimorum disciplina , Grseci Socralis et Romani Gatonis , qui uxores suas amicis communicaverunt, quas in matrimonium duxe- rant liberorum causa et alibi creandorum. » — Tertull., Apologet., cap. 39. ^ Les parents les caressaient pour les empêcher de crier pendant qu'on les égorgeaient : — Commiss, du Gouvem. pour le$ travailL^ %^ avril 4848. ^ a Nous estimons qu'on pourrait arriver à une solidarité parfaite, d'abord entre les ouvrier» d'un môme atelier, puis entre les ouvriers d'une même industrie , et enfin eutr^ toutes lea indus- tries diverses. y> — Louis Blanc , Confér. du Luxemb,, 3 avril 1 848. '^ « La population est fort mal répartie sur notre territoire; il faut arriver à une distribution meilleure : il faut peupler les cam- pagnes désertes du trop-plein des villes* » — Commise, du Gouvem. pour les travaill,, %Q avril 4848, 28. 436 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. nauté; et l'État ftxait le tarif des marchandises S comme \e maximum de 93, ou comme les Âstynomes de la république de Platon *. Au point de vue économique, cette organisation du travail allait directement contre son but. En distri- buant les obligations selon les forces et les revenus selon les besoins, on sacrifiait ce qui produit à ce qui consomme*. La paresse, l'insouciance, la glouton- nerie, la débauche étant mises à la charge de l'acti- vité, de l'intelligence, du zèle, de la modération, le ressort du travail n'aurait pas tardé à se détendre, et la misère à devenir générale. L'action dissolvante de l'encouragement donné à la fainéantise n'avait pas échappé tout à fait à M. Louis Blanc , et il avait cru y remédier en afii- • « Le prix de revient de chaque industrie sera déterminé; puis , au-dessus du prix de revient , le bénéfice à recueillir. Ce ne sera plus la concurrence qui fixera les prix, ce sera la prévoyance de l'État. » — Louis Blanc, Confér, duLuocemb,^ %0 mars 4848. 3 Platon , Les Lois, liv. xu, in fine. — La législation du moyen âge, inspirée par les traditions antiques, est pleine de ces règle- ments communistes sur le commerce et sur les salaires. Ainsi, une ordonnance de Jean II, du 27 février 1350, en 65 titres et 239 arti- cles, organise complètement le commerce et Tindustrie, fixe les bé- néfices et les salaires dans tous les cas et pour toutes les per- sonnes, depuis les négociants jusqu'aux servantes , avec défense de passer les limites tracées par la loi, sous peine d'amende. 3 « Si les aptitudes peuvent régler la hiérarchie des fonctions , elles ne sont pas appelées à déterminer des différences dans la rétri- bution. La supériorité d'intelligence ne constitue pas plus un droit que la supériorité musculaire ; elle ne crée qu'un devoir. Il doit plus, celui qui peut davantage : voilà son privilège.» — Louis Blanc, Confér.du Luxembourg^ 20 mai 4848. j LIVRE DIXIÈME. 437 chant à un poteau , avec la qualification de voleur ^ les noms des paresseux '. D'abord, la paresse a des degrés, comme toute chose , et il y a cent manières de ne pas faire assez , avant d'arriver à ne rien faire du tout. Ce poteau aurait donc moins puni les paresseux que les vau« riens. D'ailleurs, l'expérience ne prouve-t-elle pas que les mauvaises natures s'habituent à la honte ? Le poteau aurait-il donné dans les ateliers un résultat que le pilori et le bagne ne donnent pas dans la société? Au point de vue politique , cette organisation du travail imprimait un recul de trois mille ans à la so- ciété, en la dépouillant de toutes les conquêtes faites par la dignité individuelle sur la fatalité antique, et en replaçant les nations, comme des troupeaux, sous le despotisme de l'État. Elle offrait Tétrange spectacle d'un républicain faisant son procès à la liberté, et lui reprochant comme un crime ce qui sera éternellement son titre à l'amour des hommes, c'est-à-dire de donner à chacun sa valeur réelle , de mettre chacun à . la place que lui assignent ses œuvres, l'intelligent au-dessus du stupide, le laborieux au-dessus du fainéant, l'économe au-dessus du dissipateur, ce * ... c Qu'on plante dans chaque atelier un poteau avec cette inscription : Dans une association de frères qui travaillent , tout paresseux est un voleur, i> — Conférences du Luxembourg, 20 mars 4848. L__ m LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. que la tiatare. humaine contient de puiftëant et de noble au-dessus de qu'elle contient dHmpuissant et de dégradé. Le droit donné à la faiblesse sur la force j à Tapathie sur le zèle , wix traînards et aux déserteurs de la grande armée du travail sur les troupes robustes et résolues , eût dépouillé les géné- rations du fruit de leurs efforts et de leurs progrès. Le régime de la liberté n'est sans entrailles ni pour le malheur ^ ni pour la faiblesse , et les établissements charitables qu'il a fondés le prouvent bien ; mais en dispensant les faibles de l'œuvre des forts , il n'en- tend les dispenser ni de modestie, ni de recon- naissance. L'organisation communiste de M. Louis Blanc commençait donc par cette confiscation de la liberté et de la dignité, qui avait révolté et dispersé les membres des corporations romaines. Le siècle héri- tier de la Révolution française allait recevoir comme un progrès des institutions que le siècle de Julien et de Théodose avait repoussées comme une insul* tante rapsodie , renouvelée de Minos et de son frère Rhadamante. XL Si M. Proudhon , inventeur d'un socialisme paci- fique, s'est fait de ses propres mains une renommée presque sinistre, c'est que ses actes ont toujours été la contradiction de ses principes. Il faisait des sys- LIVRE DIXIÈME. 139 tèmes de philosophe, et il tenait une conduite de jacobin V. Justement révolté de la prétention affichée par tous les autres socialistes de soumettre les peuples à un esclavage certain avant de leur procurer une félicité problématique, M. Proudhon résolut de fonder son propre socialisme sur le concours éclairé et spon^ tané des hommes. « Quoi! disait- il à ses confrères, votas voulez rendre les hommes plus libres, plus sages, plus beaux et plus forts, et vous leur demandez, pour condition préalable du bonheur que vous leur promettes , de vous abandonner leur corps, leur âme, leur intelli- gence, leurs traditions, leurs biens; de faire, entre vos mains, abjuration complète de leur être? Qui êtes- vous donc, pour substituer votre sagesse d'un quart d'heure à la raison éternelle, universelle? Tout ce qui s'est produit d'utile dans l'économie des nations, de vrai dans leurs croyances, de juste dans les institutions, de beau et de grand dans leurs mo* numents, est venu par la déduction logique des faits antérieurs. Quant au pouvoir lui-même, il n'existe que pour protéger le droit acquis et maintenir la paix. » Avez-vous donc conçu une idée heureuse ? Pos- ^ Voici ridée que M. Proudhon exprime sur les jacobins : « La démdgogid, si connue en France depuis soixante ans sous le nom de jacobinisme, bst le juste milieu déguisé sous un masque de vio« lence et d'affectation révolutionnaire. Le jacobinisme en veut aux places, non aux institutions. La démagogie est Thypocrisie du pro- grès. » -^ Confeês. d'un révt>lMùmnaire, chap. ii. 440 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. sédez-vous quelque importante découverte? Hâtez- vous d'en faire part à vos concitoyens ; puis mettez vous-même la main à l'œuvre. Entreprenez, agissez, et ne sollicitez ni n'attaquez le gouvernement. C'est folie et injustice de battre les murailles de T Autorité de votre bélier démocratique et social... Au lieu de pourchasser le pouvoir, apprenez au peuple à faire lui-même, sans le secours du pouvoir, de la richesse et de Tordre. » Voilà, en mon âme et conscience, comment j'ai toujours entendu le socialisme. Voilà ce qui m'a surtout éloigné des autres Écoles ' . » De tels principes annonçaient donc évidemment , de la part de M. Proudhon,^ des doctrines calmes, patientes^ convaincues, épargnant aux croyances et aux lois des nations la haine, l'invective et l'outrage; suscitant aux institutions anciennes la concurrence toujours désirable et toujours légitime d'institutions meilleures, et cherchant à conquérir le monde, comme le conquièrent les doctrines vraies, par l'irrésistible puissance de l'exemple. Ainsi s'établit le christianisme. En se plaçant au milieu des nations antiques , dont ils venaient renou- veler la face, les chrétiens, indulgents à tous les autres, n'étaient sévères que pour eux. Ils n'atta- quaient ni les institutions, ni les principes contraires; ils vivaient entre eux et s'organisaient suivant des principes plus purs et des institutions plus nobles. Ils ^ Proudhon, Confessions d'un révolutionnaire, chap.xv. LIVRE DIXIEME. H\ ne dirent pas aux païens qne leors mariages étaient une promiscuité honteuse; ils se contentèrent d'en instituer parmi eux qui étaient de saintes unions. Ils ne se révoltèrent pas contre la justice des préteurs, rendue au nom et en présence des idoles; ils s'at- tachèrent à n'avoir jamais de procès. Ils ne firent éclater aucune indignation contre le culte rendu à des divinités immondes ; ils firent ressortir, par une tenue modeste et par des mœurs décentes, la honte de Tim* pureté. Lorsque les gouvernements les persécutèrent, ils opposèrent la douceur et le respect à Tinjustice. Ils pouvaient bouleverser le monde, en préchant l'é- galité aux esclaves; ils ramenèrent, comme saint Paul à Philémon, les esclaves fugitifs à leurs maîtres, et, de mauvais serviteurs, ils les leur rendirent bons. Ils donnèrent toujours Texemple du payement de Timpôt, de Tobéissance aux lois, du courage dans les armées; et c'est ainsi finalement quMIs gagnèrent Vadmiration enthousiaste des peuples. On ne les voyait ambitieux d'exercer aucune do* mination. Ils ne cherchaient pas, ici , à remplacer la monarchie par la république; là-bas, à remplacer la démocratie par Toligarchie; partout enfin , à troubler et à ruiner les peuples par d'éternels bouleverse- ments. Tous les régimes leur étaient bons, parce que tous permettent aux hommes d'être doux, laborieux, charitables et honnêtes. Aussi les voyait-on évangé- liser avec la même confiance chez tous les peuples et sous tous les gouvernements; à Rome, sous des em- ut LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. pereurs ; en Asie, 80Qi des rois; dans Tlnde, boub des radjahs ; en Perse^ soas des satrapes ; dans les Gaules^ sous des druides ; laissant partout sur leur pasage les mœurs plus pures, le travail plus réguli^, le pou* voir de la loi plus fort. Combien est différente la marche du socialiame I Partout où il pénètre, les révolutions l'accompa*^ gnent ; et ses traces sont marquées par la guerre cU vile, par les blasphèmes ^ par les ruines et par le sang! XIÎ. M. Proudhon n'aurait pas été rempli des senti- ments communs aux socialistes, s'il avait tenu les promesses de ses principes. Il n'aurait eu ni Testîme^ ni l'applaudissement, ni les votes des jacobins, qui le portèrent à l'Assemblée constituante , s'il ne s'était conduit en jacobin , et s'il ne s'était placé au-dessus d'eux par une haine encore plus sauvage déclarée à la religion, à la famille, à la propriété et à l'ordre. Cest ainsi que, sans y être forcé par ses principes» et môme en violation de ce qu'il croyait vrai, en àme et conscience, M. Proudhon s'approprie, en les exa* gérant, tous les torts et toutes les violences des sectes socialistes. Au dire de M. Proudhon, « la liberté est le dernier mot de la philosophie sociale ^ » Il a pour principe fon- damental que « la seule initiative légitime est celle * Proudhon, Confeuims d'unrévoMi'mêaiféj chap. xtt. LIVRE DIXIÈME. 443 du citoyen ' ; » et que « le Bocialisme doit avoir tout le monde pour auteur et complice, à peine de créer une confusion babélienne, une tyrannie , une misère épouvantables '. d Voilà ce qu'il prêche, — et cependant que fait-il? Celui qui reproche aux autres sectes socialistes d'exiger des hommes Tabjuration de leurs croyances ameute contre la religion traditionnelle de ses conoi*- toyens, contre le culte libre de tous, l'orgueil jaloux des écoles philosophiques, raveoglement des athées, rimpiété grossière et brutale des cabarets et des bouges ! Celui qui reproche aux autres sectes socialistes d'exiger des hommes qu'ils se dépouillent de leurs institutions, de leurs traditions et de leurs biens, ameute contre la propriété , fruit du travail , contre le patrimoine, base de la famille, contre le capital, ressort et but de Tactivité humaine, la convoitise ardente et cynique du fainéant, qui ne sait pas ac- quérir, et du dissipateur, qui ne sait pas conserver! Celui qui reproche aux autres sectes socialistes de vouloir substituer leur sagesse d'un quart d'heure à la raison éternelle et universelle demande avec fti- reur, la bouche pleine d'écume et d'outrages, le licenciement immédiat de la magistrature, la liqui- dation générale, c'est-à-dire la destruction des pro- ^ Proudhon , Confessions d'un révolutionnaire , chap. xii. ' Jbid,, chap, xx. 1 444 LA RÉPUBLIQUE DE 1848. priétéS) et V expulsion de Dieu des affaires humaines ' ! Celui qui reproche aux autres sectes socialistes d'avoir besoin de Tautorité des lois pour faire le bien conseillait aux locataires de Paris, le 13 juillet 1848, de ne point payer leur ternie, et sollicitait, le 31 juillet, de TÂssemblée constituante, un décret qui autorisât les fermiers à garder les propriétés sans payer le prix du fermage ! C'est donc sans aucun titre sérieux que M. Prou* dhon a fait le procès à M. Louis Blanc, à M. Pierre Leroux, à M. Considérant, à M. Cabet '. C'est sans ^ 11 serait saiis utilité de reproduire , môme pour les livrer à la justice du bon sens , les attaques de M. Proudhon contre le christia- nisme, qui n'en a pas, dit-il, pour vingt-cinq ans. Un édifice si peu solide ne mériterait pas tant d'assauts. M. Proudhon s'écrie : «A moi, Lucifer, Satan,, qui que tu sois» démon que la foi de nos pères opposa à Dieu et à TÉglise ! Je por- terai la parole, et je ne te demande rien. » — Idées générales de la Révolution au dix-neuvième siècle ^ Étude gén,y § 2. Quand le blasphème est arrivé aux confins de la folie , il ne peut plus exciter que la commisération. — C'est un homme à la merf comme disent les matelots. 3 On n'a pas tout à fait oublié les invectives de M. Proudhon contre quelques-uns de ses confrères en socialisme, qui s'étaient permis de l'attaquer. Leur crudité en fit le succès, au milieu des vlo* leoces de cette époque. Il dit à M. Considérant que les doctrines de Fourier, son maître, étaient le rêve de la crapule en délire. Dans le Peuple du 27 décem- bre 4849, il disait de M. Louis Blanc : « Cet homme n'a rien dans sa pannelière ; ce n'est qu'un grignoteur de croûtes politiques. » M. Proudhon ajoutait, en faisant allusion à M. Pierre Leroux : c II était encore dans sa destinée d'avoir pour apologiste le rhéteur le plus vain , le plus vide , le plus impudent, le plus nauséabond qu'ait produit le plus bavard des siècles , et la plus lâche des littéra- tures. » LIVRE DIXIÈME. 445 avoir produit lui-même un système fondé sur la liberté qu'il a poursuivi de ses sarcasmes les systèmes fon- dés sur la dictature. Il est, dit-il, un esprit excentrique ^ trempé pour la négation *. Il se trompe. On ne nie qu'en affirmant. Nier, c'est résister; et l'on ne résiste qu'avec un point d'appui. M. Proudhon n'en a point. II ne nie pas , il invective. XIII. Ck>mme philosophe, M. Proudhon est le moins in- ventif des hommes^ Soit qu'il les ait reçues, soit qu'il les ait trouvées , il se borne à reproduire les diverses attaques qui traînent, depuis moins d'un siècle, dans les matérialistes français ou allemands, contre la société ou contre la religion. Il doit à Brissot sa formule : La propriété ^ c'est le vol; et à Sylvain Maréchal sa formule : Dieu^ c'est le mal. Ck)mme socialiste, M. Proudhon partage avec toutes les sectes cette étroite et grossière doctrine des pre- miers économistes, qui ne voient dans l'homme qu'un instrument de production et de consommation. Platon et Aristote ne séparèrent jamais les destinées présentes de l'homme de ses destinées futures^ et ils cherchè- rent à donner des lois à son âme, comme à son corps. M. Proudhon ne voit dans l'homme qu'un être man- geant. Il le prend à l'atelier , le mène à la table , et ne le pousse pas au delà de la digestion. Cependant * Proudhon , Confessions d'un révolutionnaire , chap. xi. 446 LÀ RÊPU9UQUB DE 4 848. l'homme ne vit pas seulement 4q pain. Il lui faut encore une parole d*en hant qui le guide en lui ré- vélant ses destinées. Comme révolutionnaiie , M. Prondhon mi un Dtn- tonien. Il appartient, c'est lui-même qui l'avoue, à Técole de Taudaee. Il a voulu étonner p^r Vatidaee de ses propositions ; poser avec ieTrc$is/me la gueMion so^ dakj et faire peur ^ Il a échoué comme socialiste; mais il peut se vanter d'avoir réussi comme loup- garou . Les livres de M. Proudhon iront joindre le Télèphe de Peohméja et le Code d'une société d'hommes sans Dieu de Sylvain Maréchal ; mais la génération vivante n'oubliera jamais l'assaut furieux livré à la société par M. Proudhon, dès le mois de juillet 4848. La révolution de février était visiblement à la dé- rive. M. Ledru-^Roltin était vaincu , M. Louis Blanc abandonné, M. de Lamartine oublié, M. Albert arrêté. Les dubistes encombraient les fcu^ts et les prisons, et les faubourgs lavaient leurs pavé», teints du sang des ateUçrs nationaux licenciés par la mitraille. La so- ciété épouvantée cherchait Tordre jusque dans la dictature. Les révolotionnairés , un Instant éperdus , hésitaient; M. Proudhon se mit à leur tète, et les ramena au combat. Dans cette campagne, M. Proudhon se montra ha^ t»lQ. U ne défendit pas la révolution vaincue , il atta* qua l'ordre victorieux « Il l'attaqua à la manière des ^ Proudboo ) Confessians d'un révQluU(mnaitey chap. xi. LIVRE DlXl&MB. 447 barbares, e» pouasant de grandes clamearsy pour décooœrter rennemi. Orgueil ou vertige^ il crut, dit*il, que son tmr était venu^; çt il se mit à l'œuvre de destruction. M« Proudhon a une certaine hauteur de langage et une verve dUuvective qui font partie de son talent. Il ne quitte jamais, môme lorsqu'il est vaincu ^ son air de confiance et de triomphateur. Il se venge dea faits qui lui enlèvent le présent avec des prédie-* tions où il se donne Tavenir. M, Proudhon se rua violemment sur toutes les insti-» tutions, sur toutes les lois, sur tous les principes. Il jeta lïnjure aux choses les plus respectées, le blasphème aux choses les plus saintes. Dans ses écrits furieux , il appela Dieu Y ennemi de la société ^ les pré^ très dea escrocs, les propriétaires des voleurs , les gou-^ vernements une usurpation. Il poussa violemment les révolutionnaires, par un appel aux passions les plus effrénées , à l'abolition de la propriété , à l'athéisme et à Tanarchie* Le cri de M. Proudhon ftit entendu avec joie dans les régions désolées du crime et de la dégradation humaine. Satan > qu'il avait invoqué , lui répondit; car il reçut, comme un hommage dû à ses doctrines, les félicitations des prostituées al dea forçats *. Ge n*est donc pas comme socialiste , ce n'est pas comme édificateur d'une société quelconque ^ que ^ Proudhon , Confessions d^un révolutionnairt ^ chap. xi. ' « Les prostituées et les forçats m'ont adressé des félicitations, dont l'ironie obscène témoignait des égarements de l'opinion. » — Proudhon , Cwifemons d*un révolutionnaire , chap. xii. 148 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. M. Proudhon intervint dans la république de 1848. Sa Banque d'échange^ son unique essai d'organisation, son testament de vie et de mort^ disait-il dans Tacte fondateur, en date du 14 février 4849, entra en li- quidation le 1 2 avril suivant , deux mois après son ouverture ' . Elle s'était bornée , comme nouveauté économique et industrielle, à faillir avant d'avoir fonctionné'. M. Proudhon ne se donna qu'un rôle vulgaire : émeutier d'idées stériles , agitateur d'appé- tits immoraux, détracteur suranné des choses saintes. Une pareille mission Técartait des philosophes et le rapprochait des gendarmes. Son tour^ qu'il avait a*u près d'arriver , arriva en effet, le 28 mars 1849; mais ce n'était pas celui qu'il avait imaginé. Au lieu d'aller à l'Hôtel de Ville, il alla en face, au Palais de Justice. La Cour d'assises le condamna à trois mille francs d'amende et à trois années de prison. Ce fut la fin de sa carrière politique. Telle eût été à peu près la fin de M. Louis Blanc, s'il n'avait pris le sage parti de se dérober à la jus- tice , non comme socialiste , mais comme perturba- teur des conditions d'ordre les plus nécessaires à la société. ^ Voir le Peuple de ce jour. L'acte de fondation avait été passé devant M« Dessaigne, notaire. 2 « La Banque du Peuple eût fait de vous , disait M. Proudhon aux démocrates incrédules et railleurs , des travailleurs honnêtes; que fera de vous la Révolution? Vous êtes indignes de ramer sur les galères de la République. » — Le Peuple, 45 avril 4849. LIVRE DIXIÈME. 449 XIV. Le mal qae le socialisme a fait, en France, vient surtont de ce qq*il a été généralement peu compris. Au lieu de voir dans les principes socialistes des doctrines qui presque toutes aboutissent au com- munisme, et qui toutes abolissent la société civile^ produite par le christilanisme , la plupart n'y ont vu qu'une idée vague, indéterminée et louable de pro- grès. De là cette distinction, qu'il n'est pas rare de rencontrer dans le langage d'hommes bien intention- nés, mais inattentifs, entre le bon et le mauvais socialisme. Cette distinction est une erreur profonde. Ce qu'on appelle le bon socialisme, n'est pas du socialisme; car rien ne peut être bon, de ce qui est hostile à la religion, à la famille et à la propriété. Arrêtés et effrayés par la réprobation énergique et universelle qui accueillait leurs doctrines, lorsqu'elles étaient clairement expliquées, les chefs des sectes socialistes se bâtaient de les atténuer ou de les désavouer , à l'imitation de ces philosophes du dix- huitième siècle, qui, après avoir fait grand bruit de leurs idées, les rétractaient devant le parlement ou devant un prêtre. C'est ainsi que M. Louis Blanc, à la séance de l'Assemblée Constituante du 7 mai 1848, prétendit que la Commission du Gouvernement pour les tra- vailleurs, réunie au Luxembourg sous sa présidence, 29 IM LA RÉPUBLIQUE DE 4848. n'avait jamais pensé et enseigné que TÉtat dût ab- sorber en loi r œuvre des iâdustries privées *. Mais, outre que la doctrine de M. Louis Blanc tendait fata- lement, par la force de ses principes, à faire absor- ber tout le travail individuel par TÉtat, cette con- séquence avait été hautement avouée et préchéé au Luxembourg, devant un public d'adeptes avec le- quel .les ménagements n'étaient pas nécessaires. « L'organisation dn travail , avait-il été dît , doit ASSURER A TOUT HOMME le minimum de traitement que l'État garantit aux fonctionnaires. L'organisation élèvera chaque travailleur a la dignité de fônction- ifAiRE. Elle lui garantira; dans tous les cas, l'aisance et la sécurité. Elle neutralisera le dangereux effet de Toffre et de la demande '. » C'est enveloppé de voiles et masqué par des réti- cences, que le socialisme se glissa dans Topinion publique. Lorsque sa principale formule , le droit au travail j se produisit à la tribune de l'Assemblée Constituante, dans un amendement de M. Mathieu de la Drôme sur le préambule de la Constitution, aucun de ceux qui défendirent cette formule ne con- ' Moniteur du 8 mai 4848, où M. L6uis Blanc s'exprime ainsi : « Nous n'avons jamais entendu , comme on l'a avancé, que l'État se fit accapareur des industries, qu'il devînt l'unique industriel delà i^pubtique, absorbant en lui les activités individuelles. L'Ëtat inter- venant dans l'industrie , non pour l'accaparer, mais pour en exclure le principe d'antagonisme , voilà ce que nous avons demandé. » ^ Commission du Luxembourg., séance du 20 mars iS4S, discours de M.Vidal. — On sait que M. Vidai était le collaborateur principal et le plus capable de M. Louis Blanc. LITRE DIXIÈME. 451 sentit i lai donner son acception socialiste, pas même M. Petletier, montagnard lyonnais; pas méme.M. Mar- tin Bernard y associé aux conspirations de Barbes. De tout temps , depuis rétablissement dn christia- nisme, la société s*est considérée comme stricte^- ment obligée à soulager les malheureux, dans la mesure de ses forces. C'est ainsi que , dès le com- mencement du quatrième siècle, se fondèrent et se multiplièrent les orphelinats , les hospices pour les vieillards, les hôpitaux pour les malades. En France, rhistoire de la monarchie est pleine de lois et d'or- donnances en faveur des pauvres , et de tentatives , plus ou moins efficaces , ayant pour objet de pro- curer du travail et du soulagement aux ouvriers, pendant les disettes ou les chômages. De tels devoirs sont naturels dans toute nation civilisée. Ils sont acceptés et remplis, avec une pieuse sollicitude, par tous les hommes de sens et de cœur, comme par tout chrétien. XV. j L'histoire doit cette justice aux orateurs qui se firent , à la tribune , les apologistes du drdii au tra- vail j, que tous, sans exception , ils prirent cette for- mule dans la signification que les principes du chris- tianisme et la pratique des temps mddernes lui ont donnée. M. Mathieu de la Drôme expliqua le droit au tra- vail par le droit des malheureux à l'assistance. 29. 462 LÀ RÉPUBLIQUE DE 1848. M. Pelletier, plus explicite encore, réduisit Tas- sistance au cas où la nécessité en ferait une loi. M. Ledru-Rollin, après avoir protesté formellement contre le socialisme , déclara ne voir dans le droit au travail qu'une assurance de secours donnée aux malheureux. M. Grémieux se défendit de toute connivence socia- liste ) et il demanda que rengagement de la société envers les malheureux se renfermât dans la mesure du possible. M. Frédéric Arnaud, de TÂriége, repoussant toutes les utopies, expliqua la dette de la société envers les malheureux dans le sens que le christianisme lui attribue. M. Martin Bernard, en demandant Tassociation comme moyen d*assurer le travail, eut soin de dé- clarer qu'il voulait que cette association fiU libre, et qu'elle fàt dégagée de toute suprématie ou inter- vention de rÉlat. De tous les orateurs, M. Billault fut celui qui entra le plus avant dans le sujet, et qui, en prenant la parole au sujet du droit au travail, mit plus d'in- sistance que personne à expliquer qu'il donnait à cette formule le sens que lui ont invariablement at- taché la doctrine et la pratique du christianisme et de la monarchie. On se récria dans les rangs de l'ancien parti con- servateur, lorsque M. Billault demanda qu'un gou- vernement populaire fit, en faveur' du peuple, un pas LIVRE' DIXIË]dE. i53 de pins que les lois de la royauté , et lorsquMl ajouta que Révolution oblige. La remarque de Torateur était pourtant modérée et sensée. Une révolution oblige toujours à la pratique loyale des principes sociaux qu'elle prend pour base; et un régime inspiré par les doctrines de 89 peut et doit, sans donner la main au socialisme, favoriser, par des mesures de plus d'une sorte , les intérêts démocratiques que cette ré* volution a consacrés. L'empereur Napoléon III sera certainement le dernier des hommes d'État qu'on accusera de socialisme; et aucun néanmoins n'aura, plus que lui, fécondé le travail et adouci la condition * des classes ouvrières; soit en développant Tesprit d'entreprise, qui multiplie les salaires; soit en rema- niant, avec une prudente habileté, les tarifs qui touchent aux choses les plus nécessaires à la vie. C'est dans ce sens de démocratie progressive et prévoyante, morale et chrétienne, que M. Billault s'exprima , au sujet de la formule fondamentale du socialisme. La discussion du droit au travail offrit donc ce singulier spectacle, que, d'un côté, tout le monde attaqua le socialisme, tandis que, de l'autre, per- sonne ne le défendit. M. Marcel Barthe, député des Bâsses-Pyrénées , M. de Tocqueville et M .Thiers furent ceux qui combat- tirent les doctrines socialistes avec le plus de talent et de succès. M. Marcel Barthe, nouveau venu dans la politi- 45i LA R1ÈPUBLIQUE DB 4 848. que , apporta dans le débat une connaissance exacte et une appréciation éclairée des divers systèmes socia- listes. M. de Tocqueville fit ressortir ce qu'ils offraient de contraire à la liberté et à la dignité humaine. M. Thiers triompha , avec son éclat habituel , de leur insuffisance économique. Ces trois discours réunis constituaient l'appréciation la plus vraie qui eût été faite des doctrines et des conséquences du socia- lisme. Il leur manquait néanmoins à tous trois la donnée supérieure et traditionnelle qui rattache les principes socialistes aux philosophies et aux gouver- nements de l'antiquité, et qui les montre comme une doctrine politique depuis longtemps épuisée, bien moins ressource qu'obstacle pour les progrès de l'avenir. XVI. On a vu ^ dans le courant de ce livre, que lorsque M. Louis Blanc appela, pour la première fois, les cor- porations ouvrières au Luiembourg , elles n'avaient ni notions, ni tendances socialistes. Ce fut lui qui, réuni à quelques autres sectaires, osa, sans mission, prendre l'initiative et la responsabilité d'un aussi gravé désordre , jeté dans des esprits honnêtes , sans défiance contre les sophismes d'une fausse science. M. Louis Blanc ne se défend pas, dans un de ses discours aux ouvriers, d'avoir eu un immense orgueil. Il faut avoir eu en effet un orgueil poussé jusqu^au délire, pour précipiter trente-six millions d*hommes LIYRB DIXlkME. 155 daB8 les hasarda et daaa les abîiBes d'un ^stèaie ao- cial y quelque oonviotiOQ qa'<»i puisse avoir soi-oiéftie de sa vérité et de son efficacité. La frénâsîe de Tam- bitioQ peut seule rradre inseosible aux doutes Intù. naturels , aux tireurs bien légitimes d'une forte et noble société qu'on veut détruire; la frénésie de l'amour-propre blessé peut seule inspirer la haine qui s'exhalait des discours de M. Louis Blanc contre des traditions , des lois et des mœurs dont le seul crime était de se défendre. u Société immorale^ inique et infâme, s'écriait M. Louis Blanc, défends-toi, car je t'attaque, et je déclare qu'il faut te renverser. Je n'oublierai jamais que j'ai été un des plus malheureux enfants dn peupk '; que la société a pesé sur moi; et j'ai fait contre cet ordre social, qui rend malheureux ua si grand ncnubre de mes frères, le serment d'Annibal'.)) Et cependant, qu'avait réellement fait contre M. Louis Blanc cette société , à la destruction de la- quelle il se voua par serment , dès l'enfance , comme Annibal s'était vou4 à la destruction de Rome? Après avoir donné à son père une situation éminente et un emploi honorable, elle lui donna à lui-même, aux frais du tréscH* public^ une éducation brillante, c'est-à-dire un instrument de fortune et de gloire. Grâce à cette ^ Les bmgraphes de M. Louis nianc nous apprennent que ce mal- heureux enfant du peuple est filsd'un inspecteur général des finances ^ et qu'il a été élevé aux frais de VÉtat, au collège de Rhodez. ^ Commission du Luxembourg ^ discours de M. Louis Blafic, 29 avril fS48. • > 456 LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. faveur de la société , dont beaucoup de vrais enfants du peuple se seraient montrés reconnaissants, M. Louis Blanc parvint, en très-peu d'années, à Taisance, à la renommée, et enfin à un honneur digne des plus grandes âmes, Thonneur de gouverner son pays! Cette société n'était donc ni si immorale, ni si inique, ni si infâme, puisqu'elle donnait de tels appuis à la jeunesse intelligente. Elle pouvait être perfectionnée avec prudence; mais elle ne méritait pas d*étre détruite avec rage, puisqu'on pouvait y monter au premier rang, par le travail. M. Proudhon parle aussi de son orgueil. C'est le propre du socialisme de se glorifier lui-même. Cette doctrine, fondée sur le mépris de la nature huo^ine, qu'elle prétend façonner comme une matière vile , et sur le dédain de la tradition , dont elle repousse les enseignements, se nourrit de l'exaltation et de la superbe de la raison individuelle. C'est en 1837 que M. Proudhon commença de rêver et d'écrire *; et, après avoir été dix ans compositeur d'imprimerie et teneur de livres, il se crut en état à'eoopdher Dieu des affaires humaines , et de le remplacer dans la conduite de la société. Cet esprit d'orgueil, qui éclate dan3 les socialistes, et dont les génies créateurs de toutes les époques se montrèrent exempts, révélait à tous les hommes clair- voyants rinfirmité de leurs doctrines. ïjb vrai savoir est toujours modeste, parce qu'il se connaît, et parce ^ M. Proudhon , Confe$sion d^un révolutionnaire ^ chap. XI. LIVRE DIXIÈME. 457 qu'il s'estime petit ^ en se comparant à la grandeur des questions humaines et divines. Considéré comme doctrine politique , le socialisme scienti6qae des sectes glissa sur la société. Il fut^ im- puissant à pénétrer les classes ouvrières , et il fut re- poussé des classes lettrées. S il fut redoutable, ce fut comme stimulant des mauvais instincts et des convoi- tises déréglées. Les hommes déclassés, les natures faibles, les ambitions crédules^ oublièrent totalement les systèmes de M. Louis Blanc et de M. Proudhon, pour se souvenir de leur haine contre la société et de leurs promesses enivrantes. « Sachez-le , avait dit M. Louis Blanc aux ouvriers , tout ce qui est entre le ciel et la terre est à vous. Vous serez non-seulement puissants, vous serez non-seulement riches, mais vous serez rois M » Cest donc vers la fortune, vers la domination, vers la satisfaction des désirs grossiers, que les masses égarées furent poussées par le socialisme. Ce mouve- ment nouveau , imprimé à la révolution de Février, lui marqua pour but une immense orgie. Ce danger était visible et prochain. La société, qui se sentait beaucoup plus paralysée que protégée par la Constitution , s'abrita d'abord sous la dictature , et s'appliqua ensuite , comme à la recherche d'un port de salut, au choix du Président de la République. 1 Cotiférenees du LuooembourQf discours de M. Louis Blanc, S9 avriH848. LIVRE ONZIEME. DICTATURE DU GÉNÉRAL CAYAI6NAG. Établissement des pooToirs du général GaTaigoac— LeadrcoBstances en font un dictatear. — M. Pascal Daprat et l'état de tiége. — M. Degousée et la déportation. — Le général se montre plus modéré que ses amis. — Sus- pension des joomaax. — Arrestatioii de M. de Girardin. — 11 a été frappé par toua les régimes qu'il a servis. -— Transportation des insurgés. — Ré- criminations des émeutiers. — Sont-elles fondées? — Commission d'en- quête. — Elle est plus fatale à la démagogie que !a rictoire de juin. — Elle déshonore la révolution de février en mettant à nu ses misères. — Rapport de M. Bauchart. — La Constitution. — Préjugés qui s^opposaient à une bonne organisation du gouvernement. — On veut suivre la tradition révulutionnaire et éviter Texpérience monarchique. — Abas de l'idéologie. -^ Mauvaise constitution du pouvoir exécutif. — Il est responsable et enchaîné. — Organisation vicieuse du pouvoir législatif. — Fausses rai- sons alléguées en faveur d'une assemblée unique. — lîécesaité d'un oen- trepoids. — Mode d'élection du Président de la république. — Les répu- blicains veulent qu'il soit élu par l'Assemblée , parce qu'ils savent que la France n'est pas républicaine. ^ M. de Lamartine soutient Téleetion par le peuple. — Àlea jacia eai. — Antendement de M. Grévy. — Il mécon- naissait l'état de l'opinion publique. — Situation du général Cavaignac. — Serait-il homme d'État ou homme de secte? — Ce qu'eût h\i l'homme d'État. — Ce que fait l'homme de parti. — Il déclare la guerre à ceux qui ne croient pas à l'efficacité de la république. — Violence de ses menaces. •^ Soulèvement de l'opinion publique. — Déclin de l'autorité do général. — Les représentants ei mission. «• M. Baze el M. de Falleux. — lléoon- tentement de l'Assemblée. — Xe général Cavaignac change de système. — Il se rapproche des royalitles. —Ministère couleur de muraille. — M. Do- faure et M. Vivien. — > Le général perd son parti, aaas se donner nne majorité. — Illusions sur sa nomination à la présidence. — Il se compire à Sylla. — Ce qu'il a trouvé sur la place publique. — Ce qu'il trourera dans l'histoire. LIVRE ONZIÈME. 439 I. Aussitôt que la guerre civile , considérée par tous les bommes sensés comme inévitable, eut pris, le 24 juin, un caractère sérieux et menaçant, le parti républicain eut hâte de réaliser les plans qu'il avait arrêtés la veille. M. Pascal Duprat, homme déclassé du parti , en ce sens qu'il n'appartenait tout à fait ni au groupe du National ni à celui de la Réforme ^ et jaloux de se glisser, entre les deux, jusqu'au gouver- nement, fit, au nom de plusieurs de ses collègues et au sien, la proposition de déclarer Paris en état de siège, et de concentrer tous les pouvoirs entre les mains de M. le général Cavaignac. Les circonstances où Ton se trouvait, et surtout l'accord préalable des membres qui avaient préparé la mesure^ emportèrent aisément la proposition, malgré les réserves de quelques représentants, au nombre desquels était M. Dupin, qui se récrièrent contre la dictature. L'histoire doit cette justice à M. le général Cavai- gnac, qu'en acceptant le pouvoir des mains de ses amis, il sut d'abord se préserver de leurs passions, et discerner, parmi les mesures de rigueur insépara- bles du pouvoir exercé en des circonstances aussi difficiles, celles qui étaient strictement nécessaires au rétablissement de l'ordre et au salut de la société. Ceux qui avaient étudié de près les traditions du 160 LA RÉPUBLIQUE DB 4 818. parti républicain ne se faisaient aacune illusion sur la sincérité du culte qu'il avait toujours affecté de rendre 9 soit à la liberté de la presse, soit à la liberté individuelle; et ils étaient fermement persuadés que le jour où ces deux libertés lui feraient obstacle, il les briserait Tune et l'autre sans hésiter. Il faut bien le reconnaître néanmoins, nul n'avait pu soupçonner que ce parti, qui s'était si violemment élevé contre les lois du mois de septembre 1 834, débuterait envers la presse par la suppression des journaux ; et que ceux qui avaient réclamé, pendant dix-huit ans, contre les arrêts dont la justice avait légitimement frappé les émeutes, inaugureraient leur pouvoir par la transpor- tation, en masse et sans jugement, de dix mille émeu- tiers. Un démocrate de Técole du National^ M. Degousée, avait proposé, d»>s le 23 juin, d'arrêter immédiate- m^it les journalistes, de supprimer les journaux, et de déporter, toute affaire cessante, et après consta- tation de leur identité j au moins dix-huit cents per- sonnes, dont il considérait la présence sur le sol français comme incompatible avec la République ^ ^ Voici les paroles de M. Degousée : « Je demande que le pouvoir exécutif, dès cette nuit, fasse ar- rêter les journalistes , afin que demain ils n'empoisonnent pas la po- pulation... Je demande que demain ces journaux, dès l'instant où ils manifesteront la moindre idée d'anarchie , soient immédiatement saisis... Je demande que cette nuit on fasse arrêter une portion de ceux qui ont provoqué la guerre civile... Si nous ce profitons pas du désastre pour nous débarrasser de quinze ou dix-huit cents fau- teurs d'anarchie qui empoisonnent la capitale et le pays, la repu- LIVRE ONZIÈME. 461 M. le général Cavaignac trouva que ce procédé était peat-étre nn peu vif, poar un début politique; il se contenta de suspendre onze journaax et de faire arrêter nn journaliste. IL Si la pensée individuelle, lorsqu'elle s'exerce par la voie de la presse , dans la sphère des lettres , des sciences et de la morale, ne doit pouvoir, en aucun pays bien réglé, franchir les limites de Thonnételé publique, son action doit-étre bien^plus étroitement surveillée en matière politique, lorsque ses excès por- tent atteinte à la sécurité des citoyens. Nous avons eu trop d'occasions d'éprouver la funeste influence de la presse, pendant les époques agitées, pour qu^il fût possible, en 1848, de Texcuser entièrement. Aucun homme sensé ne songea donc à refuser au général Cavaignac l'action nécessaire dont le pouvoir a be- soin d'être armé contre le désordre, de quelque pré- texte que ce désordre s'autorise ou de quelque masque qu'il se couvre. Seulement, la presse en général avait le droit de s'étonner de ces rigueurs, venant d'un parti qui avait donné, en ce genre, l'exemple de tous les excès. blique ne pourra survivre... Je demande que, pour le crime du 4 b mai comme pour celui d'aujourd'hui , la déportation ait lieu sur la reconnaissance de ridentité des individus, » — Moniteur du Sl4 juin 4848. i6St LA RÉPUBLIQUE DE 4 848. L*arre6tatîon de M. deGirardin , opérée le 25 juin, était UB acte plus grave. L'autorité qui Tordonna pourrait seule dire si elle était excusable, c'est-à-^ire nécessaire à l'intérêt général. 11 est néanmoins juste de faire remarquer, sans chercher à expliquer un tel phénomène , qu'il n'a été an pouvoir d'aucun régime d'épargner à M. de Girardin les plus grandes sévé- rités. Il soutint la monarchie de juillet, qui le traduisit devant la Cour des Pairs; il soutint le gouvernement de février, qui le mit neuf jours au secret; il soutint le Président de la République, qui l'exila. L'histoire n^est pas obligée de porter un jugement sur ces étran- getés ; mais elle est forcée de constater que ta con- duite de chacun de ces trois gouvernements est un peu atténuée par l'exemple des deux autres. Le décret de transportation , rendu le 27 juin , ne fut que trop justifié par l'opiniâtreté et par l'horreur de la lutte; et cette lutte, ainsi prolongée, nous paraît avoir relevé le général Cavaignac de la pro- messe qu'il avait faite, le 25 juin, aux insurgés, de recevoir ceux qui se soumettraient à bras ouverts. Il y eut 4 5,000 prisonniers, sur lesquels un examen sommaire en fit mettre promptement 6,000 en liberté. Huit Commissions militaires , fonctionnant sans relâ- che, en élargirent encore 6,000, le 9 juillet. Res- taient 3,000, qui furent placés sur des pontons, à Cherbourg et à Brest, sauf 255, qui furent renvoyés devant des conseils de guerre. Des commissions de clémence, instituées par le général Cavaignac, en LIVitB ONZIÈME. 463 libèrent 991 le 25 sq^tembre^ et 833 an pra plus tard'. On osa dlée est pr^raUe à deux , parce que le travail s'y trouve simplifié et accélâ^é ; mais s'il s'4igit, comme il s'agissait en 18i8, d'un gouverne- ment relier à fonder, le b(m sens indique la néces- sité d'une inalilutioa qui serve de modérateur à T As- semblée unîqae; et rUsiiMre n'offre pas d'exemple d'une Assemblée Législative qui, dépourvue de ce O0nlre caeiliir les siennes; réservant ainsi à là France, hu- miliée et soumise, une république d'artôtocrates, une république de Venise on de Gènes, dans laquelle les Dandok) , les Doria et les Foscari se seraient ap- pelés Flocon, Bastide et Recurt. M. de Lamartine, plus fidèle aux principes de la R^ublique démocratique , inscrits dans la Constîtu- ti- pelaient alors d'une voix unanime, c'était un pouvoir libre, fort et résolu. C'est ce besoin universel de pro- tection qui ne fit pas seulement accepter la dictature du général Cavaignac, mais qui la rendit presque populaire. Eh bien, la proposition de M. Grévy ré- pondait àT cette soif de pouvoir par la négation de tout pouvoir. Était-ce un pouvoir en effet que ce Pré- sident du Conseil des ministres, esclave de la majo- rité, et toujours révocable? Quelle entreprise utile, quelle réforme importante étaient possibles avec ce premier Commis, perpétuellement menacé de son congé? Quelle négociation pouvait être entamée par ce diplomate de passage, qui , en expédiant un cour- rier pour une capitale, n'était jamais certain d'at- tendre son retour? Que devenaient l'esprit de suite, sans lequel il n'y a pas d'administration, et fa sta- bilité, sans laquelle il n'y a pas d'affaires? Mais l'utopie éclatait surtout dans cette étrange conception.  quelle condition PAssemblée aurait- elle pu attacher une autorité sérieuse au titane de Pré- LIVRE ONnÈME. 479 sâjdent da Confieil des ministreft? A la coedhioii d^ea posséder eUe-^méoid une très^grasde , dae à la ooa- fiaooe da pays. Or, c'est prédséoieiit parce qu^elle sentait le pays hostile, qu'elle aurait voala substituer à un grand Président nommé par le peuple, un petit Pré* sideat nommé par elle. L'Assemblée sans popularité, cha'cbaDt sa force dai^ un pouvoir de sa façon» aurait donc ressemblé à un négociant sans crédit, se signant un billet à lui-même. C'eût été une ombre, s'appuyant sur un rêve. Imagine-t-on ce qui serait i^sté de ce pouvoir exécutif, nommé par rAssemblée Constituante, lorsque cette Assemlrfée, disk>qnée par la proposition de M. Râteau , s*écrouIa aux applau- dissements de la France entière ? Dans les sociétés modernes, soumises à Topinion, les ^Hivemements n'ont de forces que celles que leur communique la confiance générale. Des idéologues seuls peuvent s'imaginer qu'en bâtissant une Consli-* tution, il leur est loisible de distribuer l'autorité comme ils veulent, et de la placer, à leur conve- nance dans le Législatif ou dans TËxécutif. Ceux qui font les constitutions peuvent conférer des quali- fications et des titres ; mais c'est la confiance publi- que qui donne le pouvoir. C'est ainsi qu'on voit les mêmes corps politiques fermes ou caducs, selon qu'ils la gagnent ou qu'ils la perdent par leurs actes* Ef- frayée des convulsions du Gouvernement Provisoire, la confiance du pays se concentra d'abord sur l'As- semblée. Ses hésitations , ses divisions , son impuis- 480 LA RÉPUBLIQUE DE 4 8i8. sanoe contre les émeates de mai et de juin firent que les espérances générales se retirèrent, d'abord de TÂs- semblée dans la Constitution , et puis de la Constitu- tion dans le Président de la République. L'Élu du 10 décembre lui-même aurait perdu, comme les autres, Tautorité avec la confiance, s'il n'avait su ré- pondre par sa sagesse et par son courage à l'attente du peuple. IX. La Constitution s'élevait ainsi, étage par étage, à l'abri d'une volonté forte et d'une vaillante épée. M. le général Cavaignac ne devait cette autorité sé- rieuse et respectée ni à son nom , encore nouveau , ni à sa popularité, toujours limitée; il la devait aux garanties que la société , menacée par les factions , trouvait dans sa dictature. Il avait dans ses mains tout le pouvoir que l'adhésion d'un peuple peut don- ner, et il dépendait de lui de l'affaiblir ou de le con- solider, selon qu'il le mettrait au service de ses visées personnelles ou des intérêts généraux de la France. Le général Cavaignac avait à choisir entre deux si- tuations : il pouvait être homme d'État, ou homme de secte. La République, née d'un hasard, subie avec rési- gnation , était tenue , envers les sentiments et les in- térêts anciens du pays , à d'autant plus de tolérance et de ménagements, que nul ne l'avait appelée. Ne représentant les aspirations de personne , ni des an- LIVREE ONZIÈME. i«^1 ciennes familles, ni da clergé, ni de la bourgeoisie, ni de l'armée, ni da peuple, le moins qu'elle'pùttaif^e était de tenir compte des convictions et de la digtiité de tous. Offrir un terrain neutre à toutes les idteni*- gences, à toutes les probités, à tous tes patriotismes *, faire à toutes les opinions honnêtes un présent qui ne fût pas un outrage à leur passé ; répudier la prépon- dérance du château , mais sans lui substituer c^le du club ; n'avoir ni les préjugés de l'aristocrate, ni ceux du sans-culotte; être de son temps enfin, en grouper les mérites, en diriger les efforts, en pardonner les faiblesses ; — voilà quelle était la tâche de rhomi(ne d'État. • Ce n'est pas ainsi que M. le général Gavaignac com- prit la sienne. Assurément , c'est comme fils d'un conventionnel et frère d'un socialiste que le Gouvernement Provi- soire l'avait élevé au pouvoir ; mais ce n'est à aucun de ces deux titres que l'opinion publique l'y soute*- nàit. Les souvenirs et les sentiments de famille sodt , dans tous les cas, honorables et respectables, lors- qu'ils se produisent sur leur théâtre naturel , c'est-à- dire au foyer domestique; mais le général Gâvaignac fat très-mal inspiré de les produire, le 2 septembre 1848, comme un drapeau, à la tribune nationale, parce que la .France a cent raisons plauisiblés de mau- dire les socialistes et les conventionnels. Le tort fut bien plus grand encore lorsque, chargé d'exercer le pouvoir au nom et dans l'intérêt de tous, 31 4M LA RKFUiUQUK DE 4848. il m 4écl«ra^ en ter^a» plein» de prà?eatioB ei de iMÙiie,. le patron et ro^ane^ de qndqneMsiQe» dési* g^Npit rimHienfle Hiajortté des cîtoyena auK {venrs d'une mînorîté ^ à bM{iielle ik promettait^ dana ses lottes, rapfNÛ partie et paaaiâQAô de Fautorité pu- Uiqne^ a U est de non devoir^ dit-il le 2 septembre 1S4&, de me poser en ennemi irrécotèciliable de toos ceux qni tradaîeent les ei^rances ou les vœux do passé en faits» et qm déclarent que la République est une c&esa lam'Moùe o/u iu$uff$a»ie. » le me ¥Qis af^lé à Êiirè à ces hommes une guerre d'hommes irréconciliables. Cest à cela» je le dôelare, qu'en ce qui me coaeerne, et en ce* qui con- cerne tous les hommes dévoués, qui se sont associés à moit c^est à cette /oito que nous somobes décidés à liTi*» tout ce que nous pouvons toi livrer, notre res- ponsabilité , notre repos , mare Iwnnem méme^ si la République pouvait jamais exiger un pareil sacrifice. » Nous laîsoiis appel y dans le pays, à tout ce qui partage notre conviction^ a tout ce qui est sin- clrement résolu, sans s^rière-pensée, sans calcul, à cambattre, je le répète, d'une mamère irréconciliable^ les deux opinions extrêmes que j'ai dé»gnées à F Assemblée. y» Quiconque ne voudra pas de la Rép^Uque est notre ennemi ^ notre ennemi sans retour. » Il y a une chose coiotre laquelle nous emploie^ ronsy à nos risques et périls, sous notre responsabilité, LIVRE ONZIÈaiE. m toutes ks armes que T Assemblée nous a données : c'est V attaque contre k principe républicain. » Le moment n'est pas loin où nous irons, à notre tonr, nous promener sur le Forum... , au milieu de ceux dont nous avons voulu proscrire les idées et les doctrines^ 19 A quelque point de vue qu'on envisage ces pa- rôles, il serait difficile de rien citer de plus violent et de plus insensé. X. Si la civilisation se mesure à la sociabilité des ca- ractères, à la douceur des mœurs ^ au respect de la conscience, enfin à toutes les garanties qui entou- rent la liberté et la dignité humaines, M. le général Gavaignac, par le tableau qu'il traçait des nécessités et des dispositions de la République, faisait de son établissement la cinquième invasion des barbares. Cette monarchie, contre laquelle il déployait tant de rigueur, n'avait proscrit ni les idées, ni les doc- trines des républicains. Elle leur avait laissé le droit, qu'ont toutes les idées qui ne sont pas antisociales, de se produire en paix, et de solliciter, par les voies légales, l'adhésion de l'opinion publique. Cette monarchie, dont il voulait abolir la ménKuré, même au prix de son honneur, n'avait ni traité en ennemis irréconciliables, ni combattu avec l'aro^ ^ Moniteur du 3 septembre 4848. — Disc, du général Cavaignac. 81. i84 LA RÉPUBLIQUE DE 4848. des lois, ceux qu\ la trouvaient mauvaise ou insufii- saute. Elle avait respecté le for intérieur de ces. hommes, pour faire tourner au bien de tous leur prol>itéy leurs lumières ou leur couragei. Elle avait fait de M. Dupont de TËure un ministre, de M. Arago un directeur de l'Observatoire de Paris, et.de M. Ca- vaignac un général. Ces royalistes enfin, dans lesquels il voyait, dans lesquels il disait à ses ministres de voir des ennemis, des ennemis sans retour, étaient accourds, à son appel, le 24 juin, par nombreux bataillons, de tous les points de la France. Guidés par Tamour de l'ordre, par le respect des lois, ils avaient bravement combattu, sous ses yeux , sans se demander si , en sauvant la société, reconnaissante de leur dévouement, ils sau- vaientaussi une république farouche et sans entrailles, payant leur sang versé de sa haine et de ses outrages. La République, telle que le général Gavaignac la comprenait, et telle qu'il entendait la pratiquer, ve- nait donc effacer tous les progrès sociaux dus à la culture de Tesprit, radoucissement des mœurs, la bienveillance des rapports, la tolérance des convic- tions, et même Tégalité devant la loi, puisque les idées les plus anciennes, les doctrines les plus loyales étaient proscrites, puisqu'on était traité par le gou- vernement en ennemi irréconciliable, dès qu'on se refusait à déclarer, même contre sa conscience, même contre Tévidence des faits, que le régime républicain était une chose bonne et suffisante. LIVRB OXZlfcMr. * ' i^sfi Une telle prétention était bien peu digne d'un chef de goavernement. Attribuer des qualités à la Répu- blique, ce n'était pas les lui donner. Ce n'est pas d'obliger les citoyens à proclamer les mérites de ses opinions qu'un homme d'État aurait été jaloux, mais de prouver qu'elles en avaient de réels et de solides. Quelle force pouvait donner au gouvernement une approbation de commande? A quoi lui aurait-il servi de faire dire qu'il suffisait à tout, si chacun avait pu voir de. ses yeux qu'il ne suffisait à rien? Telle fut l'impression universellement ressentie par tous les hommes sensés; et l'opinion générale, qui ne demandait pas mieux qu'à se donner, se retira peu à peu d'un système humiliant, qui prétendait faire ployer un grand pays sous les principes d'une secte et sous le joug d'une coterie. La dictature du général Cavaignac ne durait pas depuis trois mois, que son prestige était effacé et son autorité même en déclin. On le laissait toujours faire, mais on ne l'aidait plus à faire. Un déchirement était devenu possible; il ne tarda pas à se produire ; et pres- que au lendemain du jour où le Dictateur avait me- nacé la France, au nom de la République, la majorité de l'Assemblée lui répondit, par un vote solennel, que si tout le monde était prêt à accepter les bien- faits du nouveau régime, personne n'était disposé à subir sa tyrannie. 186 LA RÉPUBLIQUE DE 4848. XL Od venait d'apprendre, le 16 septembre, que le gouvernement se disposait à faire partir poar les dé- partements un certain nombre de représentants en mission j chargés, disait-on, d'aller achever l'éduca- tion républicaine de la France. Le souvenir lugubre laissé dans les provinces par la plupart des procon- suls de la Convention, leur férocité, leurs débauches, leurs rapines , se retracèrent immédiatement à tous les esprits. On rapprochait involontairement de cette mesure les paroles de haine, de haine aveugle, ré- cemment portées à la tribune par le Dictateur, contre tous ceux qui douteraient seulement de Tefiicacité ou de l'excellence du nouveau régime. L'on se de- manda surtout ce qu'allaient faire dans des départe- ments régulièrement organisés et administrés, des députés auxquels il était .impossible de donner des pouvoirs légaux; qui ne pouvaient être, auprès des Préfets, des Receveurs généraux, des Procureurs généraux , des Commandants des subdivisions mili- taires, des Évêques, des Recteurs, que des passants ou des espions, et dont les fonctions ne pouvaient pas échapper à ralternktive d'être terribles ou ridi- cules. M. Baze, avec du courage, M. deFalloux, avec du talent, attaquèrent à la tribune cet étrange projet, qui suscita une répulsion générale et profonde. M. le LIVU OfSSOÈWL Wi général GavaigDM aoeepta réaolÙDMrt riohîaltTe et la resfKmsabilité de l'acte qui \\à étaii atlribnét et M. MaHe en fit Mltemeat une quoslîon de cabinel. L'orage» qoi n'avait que gncmdé; éclata; la âéaooe fut suapendue} et te goaTerneoient , nieax avisée accepta un ordre da jour motivé, qui couvrait d'an voile tran^par&at le Uftme et fabandon de la mesare. Le premier coup était porté , les autres ne se firent pas attendre. Le 9 octobre fut volé l'article de la Constitution qui déférait au peuple Tékction du Pré- sident de la République. Le chef du Pouvoir exécutif et ses ministres , qui voulaient que TÉlection fèt donnée à l'Assemblée» virent une majorité immenaa, de pius de deux cents voix» se prononcer contre leur opinion. Le 4 Si, un député journaliste , M. Xavier Dorieui s'éleva c(mtrp la suspension des journaux, mainienne avec quelque sévérité par M. le général Cava]^;aac; et le gouvernement écbappa à grand'- peine, par une mi(joritô de quatre voix, à ua blàœ qui aurait frappé la dictature elle-mâme dans Taxée- cice de son principe le plus nécessaire. Les yeux du général Cavaignac s'ouvrir^iit enfia; et son bon sens, quelque temps obscurci par des pcé- ventîons de parti , reconnut qu'il est impossible de gOttv«*aer un pays , quand on ne ch^x^fae paa son appui dans la majorité des opinions honnêtes et des intérêts légitimes qui le constituenL Les prînoipes exclusifs qu'il avait proclamés naguère, fureat.éoMr- tés; les menaces adressées aux doctrines et aux vœux 488 LÀ RSPDBLIQUS DE 4848. du passé, furent oubliées. Au liçu de proscrire les opinions, il résolut de les concilier ; et , après avoir déclaré une guerre sans trêve à tous ceux qui ose- raient douter de Tefficacité de la République, il ap- pela, le. 14 octobre, dans son cabinet, trois anciens royalistes, dont deux, M. Dafaure et M. Vivien, avaient été ministres du roi Louis-Philippe. Ce changement de politique , pour être un peu brusque et inattendu, n^en était pas moins naturel, honorable et nécessaire. Le général Gavaignac avoua, le 16 octobre, à la tribune, qu'il avait senti le pou- voir s'affisriblir dans ses mains , par suite des prin- cipes qu'il avait d'abord adoptés. M. Sénard, plus explicite, déclara que le cabinet avait dû se modifier, parce que l'opinion publique se retirait de lui, dans les conseils généraux , dans les conseils communaux et dans l'Assemblée. Les hommes de février durent na- tnrell^nent se récrier, parce qu'ils.étaient abandonnés par celui-là* même aux mains duquel ils avaient placé l'épée de la République. M. Auguste Mie, député de la Dordogne , s'écria : « Nous restons avec Gode- froy, nous! » C'était là un parti comme un autre, pour ceux qui se contentaient d'être des utopistes; mais M. le génial Cavaignac, qui avait la charge et l'hon- neur de gouverner , était obligé de se mettre avec la France. Toutefois, les choix que le Pouvoir Exécutif venait de faire ne pouvaient pas le conduire à son but. Avec LIVRE ONZIÈME. a paa «■ 4e lall#. ^ Le» républloaiv» ae croyaient pas à la posaibilité de le répdMIqee. — Le pe«|^ de Paris a*a nommé aman tOuvcTBamaDt prorisoiiis. — BiMs 4e ces mensonges sur repinhm , en Ffeance et en lorope. ••./•....... pege 445 LlTBl CINQUIÈMB. i^ÈMWwtm, — Là oâne» wATioiiâLv ka niorkom, — DiSKoainoH SMMrANÉS M LA MOIfAIICini. Joomée du 99 férrier. — Paris sans défense. — Pourquoi. — Les rassem- blements n'ont pas le caractère républicain. — Préparatifs militaires pour le 93. -» Appel à la garde nationale. — Cette mesure compromet tout. ^- La garde nationale exige le reniroi do ministère. — Les démagogues se mettent à la tète des légions. — La garde nationale agite la ville , aux cris de Vw$ la ré formel ~- Le désordre se généralise. — Division au sein de la famille royale. — Entrevue du roi et de ses ministres. — Le oabinet se relire. — Joie de la garde nationale. — Paris livré aux brigands. — Nuit horrible. — If eebinattea éa bevleverd des Gapudnes. — Tombereau de oe- dtvres promené dans Paris.— Joemée de 94. — Le maréebal Bugeand pmd le oossmendesseet des troapee.-*-8es diepositions.— M. Tbiers et M. Barrot miaistree. -* Ils retirée! les ponveirs an maréchal et font rentrer les tiee- pes. — Le roi obsédé et trompé. — Il abdique. — Départ de la famille legrale. •» Madame la dvehesee étVIéans est conduite à la Chambre des députée per M. Bopin. -« ▲cclamaHoM et héntatioee. — Absence des Ministres. — > M. Bupin amMBoe que le roi a eonftré la régence à ma- dsme la duchesse é'Orléns. -^ Les partis extrêmes protestent. — AttiMe 4eiiteQse de M. de Lamartine. — lOI. Crémici» et Marie combattent la régienee de sMMlame la dechesse d'Orléans et demandent nn gemrernement pfDvisoire. — Mollesse de M. Barrot — La duchesse veut, parler. — L'émeute la force à quitter la Chambre. *— M. Ledru*Rollin appuie la demande d'un gouvernement provisoire. -* Bôle de M. de Lamariine. — Ses engage- neats secrets. — 11 noame on gonremement provisoire, et part pour rhôtel de ville. — M. Ledru-Rollin nomme un autre gouvernement, et se rend aussi à Thôtel de ville. — Comummatum est. — Consternation de la bourgeoisie Page 497 V IITRÈ StXIÊMB. LM aOUYiaiCEMBlIT ?aOV180UlS A l'bOTBL me TILLK. Lee quatre gowerneaMnlt pnoviteivee se vendent à l*h6tel de TÎHe. — > La tnditioa lévohMiomMive , mal eomprise , Ici y peoise» •- Ile y sont pri« «NHkien de k wHifdn **■ Lee maîtres d« joor. -• Arrivée anoceseive des 496 TABLE DBS SOMMÂIRBS. •maaûinê da gouveroeniMt. — Manirefte de M. de Lamartiie. — Il : . accorde U république , après quelqma aecoades de résistanee. ^- Il la proclame. -— EaTahisaemeQt noetarae de l'hôtel. — Gonditioiia fiitea aa gouvememeDt provisoire. — 11 les subit. •— Repos et distribiitioo des miDistères.. — r Le gouveraeineot provisoire a'aperçoit qu'il n'y a pas de révolution à ftire, eo 4848, parce qu'elle avait été faite en 4789. — Dif- férence ^des deux époques. — Rêves et illusions de 4789. — Expérience de 4848. — Ce qu'il faut penser de la clémence du gouvernement provi- soire. — Il n'est pas. clément I mais prudent. —,La soumission universelle es partis rend la persécution impossible. — Cette soumission tourne con- tre la République, en l'obligeant à rester dans la légalité. — N'ayant pas de grandes choses à faire, le gouvernement provisoire en fait de petites. — Il abolit les qualifications de Moruieur et de Madame. — 11 change le nom des rues. — II naît marqué du sceau de l'impuissance. . . Page 263 LIVRE SEPTIÈME. LA RÉPUBLIQUE DANS LES DÉPARTEMENTS. Effets de la proclamation de la République en province. — Consternation des classes politiques. — Satisfaction du peqple. — 11 avait, non l'esprit républicain, mais l'instinct démocratique. — Il accueiUe le suffrage universel avec joie. — La campagne se couvre de mais pavoises. — Dis- . positions universellement bienveillantes envers la République. — On at- tend ses actes. — Mauvais effet des commissaires. — Le peuple se sent humilié par de tels administrateurs. — laquiétudes et divisions créées . par les clubs dans les départements. — Mécontentement général suscité par les ateliers nationaux. — Ce qu'ils étaient, et ce qu'on les croyait. — V Exaspération produite par les .45 centimes. — Cet impôt frappe surtout les paysana. ■ — La République est condamnée dans l'esprit des cam- f pagnes Page S88 LIVRE HUITIÈME. LE GOITVERNBMEKT PROVISOIRE A L'OBUTRB. — DlTlSrON. — IMPUISSANCE. La France et l'Europe abusées sur la situation du Gouvernement provisoire. — On lui croit une force qu'il n>avait pas. — Eon côté de cette erreur. — Elle lui attire lé concours des forces réelles. — Il né répond pas à l'at- tente générale. — Divisions intérieures.— Il ne gouverne pas. — M. Ledru- Rollin et sa politique. — M. Flocon , autre dramaturge révolutionnaire. — M. Louis Blanc et M. Albert. — Leurs idées et leurs plans.— Groupe des répttbUcains modérés. — Situation ambiguë de M. de Lamartine. — 11 se .donne le tooderre pour coUègae. — M. Pagnerre se repose dans la Répnbll- ; que des fatigues ,de la Régence.^ Luttes du GeuTemeiiieftt prbiisoire.— Le TABLE DBS SOHHAIRBS. i9T dnit au travût rwoniiD. — lefo» da l'^yliqHC. — ÉUblUMMat dta MbHndom ds Lnembourg. — L* dnpan nmgt pnpst* h l'ÎMlitttitD 4» M. U)Bi( Bluo. — La panpls l'aD Toolait pu. — H. d« liiwiliii )• hit rtpauHV. — Il bit idopUr 1* roMlla roa(e. — giguBaBtwn tM1« «t Mm da riMMM dM boMMM â y«ft. — DéaoaiMtioii Umritto du 17 miu — Cmbbmi Me Uimm. — M. Ladrn-RtdUk pr^v* Vimmt» da (d anil pow^adra la dioutora. — Il noola as dvBiar nomant. — Trioinphe da l'ardre. — La diriùaa da GowraratMeal prariaaiN Muraa d« tealaa laa diaaafdaa tfrilaa Pi«« Ut LlTll HIOTlftHB. L'UBMILII COmiITtilNTI. — Ben laBiMtnriOH UtMK Ll DICtlTDat. L'Ai iiMb Ida aoaatilaaaU aat ablbtia par la ratard daa dltMiens. — Oa raiard daane mi alnba )a tavpi da u imikF, st aux payiana ta laspa daa'dslalrer. — Ftdlugii aulMib daa répabHcaiu al dai aaolaUttaa.— lia vaalaat orga- ■laar m louveruemeat pour au , non pour la Fraaae. — U. Ladra- Rallia, . H. Marrait et H. Louis Sliinc dirigent lei électiocs. — lU s'eiclucot mu- tuelleineDt de laure Listes. — La* olabùlea T^a|eurs de M. Ladm-Rollin. — Les ateliers oatioaiux da M. Harrait. — Las brosaieis et les cuisiniers â9 U. Louis Blsac. — Les partis s'ippvient sur les ouTrierg. — Les éleclions ftMhiMidaa par la aerotioda liit*. — LaadépotéaoerapTiaaBtaatpu la paya. — BM dMiat da l'Aïaamblée. — Ella aat la rlTala daa elnba. — OnMrtore da la aeaaioa, — Disaonrs da U. Dapest da l'Bura — Prsaaioa Marala aiartrfa sur FAïaatDbUa. — Sciaaioa da* psrtis. — NoMiulH» da Il eaBuaataa aiéentiva. — (Aule da H. da Lasirtia*. •- AttaaUt du 4tt «ai. — Tëaqoaan M valnaos de ae jour. — Las vaiaca* aharakeat ■M TtTiMfca. — Joméaa da laia. — Le |Mnl fltTsipM* ippald t la dlataHira par laa rdpnMaAa. — Batailla de tioia Jnva. — iMpaluanaa ê» l'AaaaabMt. — U PraKa aa rapaaa d*D* la dialMara. . Pa|a I» LITRI DIXllHI. LB BOCIALISHB DINS LÀ ttrDILIQDI Ht 4I4S. R^iaalMadn aedallMUa. — Inaar d« M. Laola BlaBo, ^ le mit «onaan. — U art la faraa daa toéMt prinlUna. — Le aaoiallaH* <■*■* la* r4p«Uifuaa Faaqaeai ^ La aaoialiaBe dan* la ripubliqn* nnai**. — Orgaaiiaiia» fiOTimiala ina nnyiian rllal l'nmpirfl Mnain. — L* aastimautd* lalibarld aida la dignité kMi^aM la dttouaaat. -i~ Las niTriar* ranaïaa iê^t^fimt * ^ m aaMMTOinaa. — le* îaDOBvtDianla dtaa 1* aoaiMi eiTile. — La abria- tiariaM l'appliqua I la via r^giaiua. — Laa caaTMIa aaaeèdaat k 1* vie eapHiplatifa. — iaitat daa eouTaota *ar la eitlli«alk«. — Paorqaui lu ai 498 TABLE D£S SOMMAIRES. sont tombés. — > Lt rensissaooe grecque remet en honnenr les théories socialistes de Tantiquité. — Socialistes da diz-buitième siècle. -— Brissot, Saint-Just et Babeuf. — Le socialisme était étranger aux ouvriers en 4849. — C'est M. Louis Blanc qui le leur prêche. — Eiposition et examen de sa doctrine. — Ses conséquences immorales et rétrogrades. — Elle est renouvelée de Minos. — M. Proudhon n'a pas de doctrine propre. — Con- tradiction de sa doctrine et de ses principes. — C'est un pur agitateur. — Il est félicité par les prostituées et par les forçats. — Il finit en cour d'assises. — Le socialisme n'a pas été compris par le public. — Ses chefs ODt dissimulé ses tendances. — Personne ne l'a soutenu k l'Assemblée con- stituante. — Le droit au travail n'y est pas défendu dans le sens du socia- lisme. -~ Discours de MM. Mathieu de la Drôme, Ledru-Rollin et Grémieux.' — Discours de M. Billaut. — 11 explique le droit au travail dans le sens chrétien et monarcl^ique. •— Ce qui manque aux discours de MM. Marcel Batthe, de Tocqueville et Thiers. — Orgueil des socialistes. — M. Lonis Blanc n'est pas un enfant du peuple.-- Il ne reste de M. Louis Blanc et de M. Proudhon que leur haine contre la société Page 440 LIVRE ONZIÈME. DICTATURE OU GÉNiRAL CAYAiaNAC. Établissement des pouvoirs du général Gavaignac. — Les circonstances en font un dictateur.— M. Pascal Duprat et l'état de siège. — M. Degousée et la déportation. — Le général se montre plus modéré que ses amis. — Sus- pension des journaux. — Arrestation de M. de Girardin. — Il a été frappé par tous les régimes qu'il a servis. — Transportation des insurgés. — Ré* criminations des émeutiers. — Sont-elles fondées? — Commission d'en- quête. — Elle est plus fatale à la démagogie que la victoire de juin. — Elle déshonore la révolution de février en mettant à nu ses misères. — Rapport de M. Bauchart. — La Constitution. — Préjugés qui s'opposaient à une bonne organisation du gouvernement. — On veut suivre la tradition révolutionnaire et éviter l'expérience monarchique. — Abus de l'idéologie. — Mauvaise constitution du pouvoir exécutif. — II est responsable et enchaîné. — Organisation vicieuse du pouvoir législatif. — Fausses rai- sons alléguées en faveur d'une assemblée unique. — Nécessité d'un con- trepoids. — Mode d'élection du Président de la République. — Les répu- blicains veulent qu'il soit élu par TAssemblée , parce qn'ils savent que la France n'est pas républicaine. — M. de Lamartine soutient l'élection par le peuple. — Âlea jacta $tt. — Amendement de M. Grévy. — Il mécon- naissait l'état de Topinion publique. — Situation du générai. Gavaignac. — Serait-il homme d'État ou homme de secte? — Ce qu'eût fait l'homme , d'État. — Ce que fait l'homme de parti. — II déclare la guerre à ceux qni TABLE DES SOMMAIRES. 4&9 ne crincnl pu k rsffieadU de la TéptAUqM. — TiolMiM de m* meoMM. — 8aa1èT«iii«ol de l'opipioa pnUiqua. — DMia de TiDlotité da général. -^ Les rapréteslMU en miuioo. — K. BtH et K. de Pdloui. — Hécooteo- tement de l'AtHmblit. — Le généril Civtigneo Dbaage de iTStèms. — Il M rapproche dei rojaliitee. — Hiniitére coBleor de manille. — M. Dn- bure et K. Tivien. — Le général perd san puti , md* »e doiuier nne majorité. — lUoiioiie but aa nominalioa i b préiidaace. — Il >e onupare t, SylU. — Ce qa'il ■ troOTé *ar la place publique. — Ce qu'il trooTera daoa l'hiitoire Pife UB \ I i TULi DM lomiiiiu DD Tovi p»nCR. \ É« ^ 7^ 1 JUN 2 8 1963